Fragilisation de la pastorale de l'épiscopat français

La publication du document intervient alors que le conseil permanent est réuni à Paris du 9 au 11 mars. Son commentaire du terme texte romain insiste sur trois axes : le respect moral de l'embryon humain dès sa conception, le respect de l'acte conjugal ainsi que ”le refus de la soumission à une logique technique qui serait celle de la ”fabrication” d'êtres humains” 1457 . Le conseil permanent plaide la pédagogie : ”il ne s'agit pas de ”dogmatisme” mais du service de l'homme et de l'avenir même de l'humanité” 1458 . Contraint à la solidarité avec Rome, il n'en abandonne pas moins sa méthode et son analyse en matière éthique. ”Dans cet esprit, il a demandé au père de Dinechin d'achever l'étude demandée sur les recommandations du comité consultatif national d'éthique concernant la recherche sur les embryons in vitro”, déclare le porte-parole de l'épiscopat 1459 .

Entre temps, le père de Dinechin tente d'atténuer la portée du document auprès du grand public. Le 14 mars, La Croix accueille son commentaire de l'instruction romaine sous l'intitulé ”Rome et les médecins, deux langages”. Le délégué de l'épiscopat aux questions éthiques convient du caractère dogmatique du document : ”reste le tranchant d'une conclusion générale fort différente des conclusions au cas par cas de la profession médicale” 1460 . Et le jésuite de souligner la place de choix qu'occupe la conscience personnelle dans la tradition morale de l'Église. Sous bien des aspects, l'instruction de la doctrine de la foi s'inscrit dans le droit fil de l'enseignement d'Humanae vitae. Témoignage chrétien 1461 comme les Cahiers ne tardent pas à le regretter 1462 :

‘Le document fait abstraction, de façon avouée et délibérée, des conditions dans lesquelles ces actes sont posés et des intentions dans lesquelles ils sont posés. Il se centre sur une analyse de ces actes humains en eux-mêmes, ”en soi”. Cette problématique est traditionnelle pour le magistère catholique, même si elle a été battue en brèche, de divers côtés, par des réflexions de théologie morale plus récentes notamment depuis le concile. Elle est difficile à comprendre pour la mentalité occidentale moderne, marquée par une pensée prenant en compte les tenants et les aboutissants de chaque acte particulier.’

L'instruction ne tarde pas à faire réagir la direction de l'université catholique de Lille (UCL). Les doyens de la faculté de théologie et de la faculté de médecine, le bureau du centre d'éthique médicale, le secrétaire du comité médical d'éthique du centre hospitalier Saint-Philibert, le chef du département de gynécologie obstétrique du centre hospitalier universitaire Saint-Philibert et le directeur général de ce centre hospitalier se réunissent le jour de sa publication. Au terme de la réunion, un communiqué, signé par les recteur et vice-recteur de l'université, indique que ”l'application immédiate de l'instruction de la congrégation pour la doctrine de la foi, en terme de suppression de la participation de médecins de l'UCL à des fécondations homologues in vitro, poserait de graves problèmes moraux aux responsables de l'UCL” 1463 .

L'UCL est alors la seule université catholique en France à disposer d'une faculté de médecine. En septembre 1986, son hôpital universitaire s'est illustré par la naissance d'un enfant par fécondation in vitro. Dans ce contexte, Donum vitae est perçu comme une remise en cause de l'éthique professionnelle du corps médical et hospitalier convaincu du bien fondé de son action. La crédibilité de l'UCL risque de pâtir du document romain dans le milieu de la recherche. Appelant à l'ouverture d'un débat, les recteur et vice-recteur de l'UCL ne dissimulent pas leur scepticisme quant à sa pertinence 1464 :

‘Nous sommes très attentifs à toutes les préoccupations et interpellations de la congrégation pour la doctrine de la foi qui stimuleront les travaux de recherche médicale et éthique de l'université catholique. Nous sommes ouverts à accueillir une telle évidence morale d'illicéité. Mais nous ne pouvons pas, en toute conscience, dire que ne l'ayons acquise aujourd'hui.’
Notes
1457.

DC, 1937, 5 avril 1987, p. 367

1458.

Ibid, p. 367

1459.

Ibid, p. 368

1460.

Olivier de Dinechin, ”Rome et les médecins, deux langages”, La Croix, 14 mars 1987. La revue Médecine de l'homme reproduit l'intégralité du texte du père de Dinechin dans un dossier consacré à Donum vitae(n°169, mai & juin 1987).

1461.

Albert Longchamp, ”Un non trop massif pour être compris”, Témoignage chrétien, 2227, 16 mars 1987

1462.

Collectif, ”La vie en plénitude”, Cahiers de l'actualité religieuse et sociale, 347, 15 mars 1987, page 3

1463.

DC, 1938, 19 avril 1987, page 434

1464.

Ibid, page 434