Tentatives de conciliations épiscopales

Participant, le 16 mars 1987, à la présentation d'un recueil d'articles sur l'encyclique Donum et vivificante de Jean-Paul II, le préfet de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi ”semble écarter la possibilité de sanctions directes contre les responsables qui ont manifesté leur désaccord avec le document”, selon La Croix 1475 . Le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi renvoie la responsabilité à chaque Église locale. Charge à chaque évêque d'évaluer la situation 1476 .

Les évêques de la région apostolique de la région Centre-Est sont alors à Rome pour leur visite ad limina. Le 17 mars, Mgr Matagrin donne une conférence de presse au séminaire français. L'évêque de Grenoble prend la défense de l'instruction romaine, faisant valoir que ”l'affectivité peut tenir à autre chose qu'à des liens de sang, et la fécondité, fondée sur la maîtrise de soi et le don de soi, peut être apostolique, spirituelle ou artistique” 1477 . Évoquant l'ostracisme de l'Église dans les années 1960, le père Matagrin revendique pour elle un droit à la parole dans le resurgissement de nombreux débats philosophiques sur la nature, l'homme, la mort ou encore l'éthique.

Dans sa livraison du 20 mars 1987, le bulletin diocésain de Bordeaux publie un texte de Mgr Eyt évoquant les ”trois rêves de l'humanité qui sont en passe de se réaliser : ”ne pas avoir d'enfants quand on ne veut pas”… ”Avoir des enfants quand on en veut”… ”Avoir les enfants qu'on veut”…” 1478 . La réflexion éthique de l'évêque coadjuteur de Bordeaux interroge la puissance technique que s'arroge le scientifique. A Bayonne, Mgr Molères évoque le mystère que constitue le corps humain comme ”temple de Dieu et temple de l'homme” 1479 . L'évêque insiste sur le caractère exigent du texte qui ne condamne pourtant pas, tandis que son homologue de Bourges énonce les trois principes qui fondent l'instruction : Respect de l'acte conjugal, respect de l'embryon humain dès sa fécondation et enfin, refus d'entrer dans une logique ”technicienne” de fabrication des êtres humains quelles que soient les bonnes intentions. Reste aux fidèles à faire leur examen de conscience 1480 .

Tandis que Mgr Coffy tente d'identifier les similitudes entre l'instruction romaine et l'avis du comité national d'éthique de décembre 1986 1481 , Mgr Marcus voit dans Donum vitae le bouc-émissaire des insuffisances du débat éthique 1482 . A Poitiers, Mgr Rozier fait œuvre de pédagogie en s'efforçant de dégager la visée fondamentale du texte et ses présupposés éthiques. Fondée sur un principe d'unité entre le corps et l'esprit, l'anthropologie chrétienne donne une priorité au sens 1483 .

Mgr Bouchex reprend l'analogie qu'opère Mgr Matagrin entre Donum vitae et Humanae vitae. Prophétiques, ces textes ”prophétiques” obligent les chercheurs à diversifier leurs recherches dans la double reconnaissance de la dignité humaine de l'embryon et de celle de la relation sexuelle dans le mariage. ”Comme cela est en train de se passer pour Humanae vitae, verra-t-on dans quelques années que la position de l'instruction sur le Don de la vie a stimulé une meilleure compréhension et une plus grande dignité de l'homme ?”, s'interroge-t-il 1484 . Mgr Séguy, évêque de Gap, retient l'analogie avec Humanae vitae et dénonce le caractère sélectif d'un néo gallicanisme lié à un refus ou une application désinvolte des normes liturgiques, disciplinaires et pastorales. Or, l'accueil avec foi, confiance et intelligence ”n'exclut ni la souffrance pour quelques-uns, ni la poursuite de la recherche à nouveaux frais” 1485 .

A Saint-Dié, l'évêque dégage de l'instruction trois fondements de l'anthropologie chrétienne selon lesquels la personne humaine constitue une unité substantielle d'une part, qu'elle appelle un traitement différencié de celui réservé aux choses d'autre part et qu'enfin, la conception puise sa dignité dans ce qu'elle procède de l'acte conjugal. Tel développement ”récuse l'autonomie de la pensée” insiste Mgr Guillaume en citant Donum vitae : ”la science n'est pas un absolu à qui tout doit être subordonné et éventuellement sacrifié, même la dignité de l'homme” 1486 .

Dans La Croix, Yves de Gentil-Baichis voit dans la controverse l'illustration du difficile dialogue qu'entretiennent les catholiques avec la modernité. Le journaliste fonde sa réflexion sur le colloque organisé le 29 novembre 1986, par son journal, à la Baume-les-Aix. Les interventions de la sociologue Danièle Hervieu-Léger et du père Defois servent alors son propos. ”L'histoire des rapports entre l'Église et la modernité est à la fois riche et contrastée”, convient le journaliste. Reste, cependant, qu'il ne ”faudrait pas que nous entrions dans une phase où la défiance l'emporterait sur la confiance…”, poursuit-il 1487 .

Le 18 avril, René Coste prend fait et cause pour Donum vitae. La soutenance, en juillet 1986, à l'institut catholique de Toulouse, d'une thèse sur ”la fivete au risque de l'éthique chrétienne” convainc le théologien du bien fondé de l'initiative romaine. ”Le document romain peut, certes, paraître intransigeant. Mais ne contient-il pas des vérités essentielles et n'est-il pas, en définitive un appel à la sagesse ?” 1488 . Plus qu'un ”nouveau conflit entre la foi et la science”, René Coste identifie dans la crise, le reflet d'un malaise du monde médical.

Le 24 avril 1987, le bulletin diocésain de Verdun propose une analyse historique et culturelle de la réception de Donum vitae sous le titre provocateur, ”1968 : pas de sexe sans bébé ; 1987 : pas de bébé sans sexe” 1489 . Pour sa part, Mgr Hardy, évêque de Beauvais, évoqueun ”oui à la vie” en contraste avec une ”société matérialiste et matérialisante”. L'instruction ”allume un clignotant rouge. Elle signale quels dangers nous menacent tous, essentiellement celui-ci : que l'enfant devienne un produit” 1490 . Pour son homologue de Dijon, le mauvais accueil qui est réservé au texte ne dit pas l'essentiel, sinon en creux : ”la parole de l'Église, prophétique et donc dérangeante, finit par rencontrer la conscience des hommes et la révéler à eux-mêmes” 1491 . Disant cela, l'évêque de Dijon rappelle la fonction essentielle du processus de conversion dans l'appréhension de l'Église comme force dynamique de la société. Pris au mouvement d'une judiciarisation plus grande de ses espaces public et privé, la société du droit se voit opposée à la société anthropologique fondée sur le don, régulateur premier des sociétés primitives : ”L'enfant n'est pas un dû, mais un don”, insiste alors Mgr Balland 1492 .

Notes
1475.

Anonyme, ”Mgr Ratzinger : ”On ne peut pas prendre de mesures à partir d'un seul lieu”, La Croix, 18 mars 1987

1476.

Le même jour, le quotidien catholique publie un communiqué de l'université catholique de Lille : ”Nous demandons le dialogue”. Jérome Régnier & Michel Falise, ”Nous demandons le dialogue”, La Croix, 18 mars 1987

1477.

Alexandra Viatteau, ”Un non qui est un oui à la vie”, La Croix, 19 mars 1987

1478.

Mgr Eyt, Bulletin diocésain de Bordeaux, n°12, 20 mars 1987

1479.

Mgr Molères, ”Insensible à l'amour ?”, Bulletin diocésain de Perpignan, n°11, 18 mars 1987

1480.

Mgr Plateau, Bulletin diocésain de Bourges, n°6, 27 mars 1987

1481.

Mgr Coffy , Bulletin diocésain de Marseille, n°11, 22 mars 1987

1482.

Mgr Marcus , ”La signification d'un choc”, Bulletin diocésain de Nantes, n°6, 28 mars 1987

1483.

Mgr Rozier , ”Des ”non” d'un texte au ”oui” d'un message”, Bulletin diocésain de Poitiers, n°11, 28 mars 1987

1484.

Mgr Bouchex , Bulletin diocésain d'Avignon, n°7, 5 avril 1987

1485.

Mgr Séguy, Bulletin diocésain de Gap, n°349, avril 1987

1486.

Mgr Guillaume, Bulletin diocésain de Saint-Dié, n°7, 3 avril 1987

1487.

Yves de Gentil-Baichis, ”Les catholiques et la modernité”, La Croix, 11 avril 1987

1488.

René Coste, ”L'anthropologie au cœur du débat”, La Croix, 18 avril 1987

1489.

Yves Gérard, ”1968 : pas de sexe sans bébé ; 1987 : pas de bébé sans sexe ”, Bulletin diocésain de Verdun, n°8, 24 avril 1987

1490.

Mgr Hardy, ”Oui à la vie”, Bulletin diocésain de Beauvais, n°10, Snop, 3 juin 1987

1491.

Mgr Balland, ”Vous êtes ressuscités avec le Christ”, Bulletin diocésain de Dijon, n° 292, mai 1987

1492.

Ibid