Rome en appelle à la responsabilité doctrinale des évêques français

Le 6 mai 1987, l'hebdomadaire du service catholique français de presse et d'information reproduit l'interview par lequel le cardinal Ratzinger introduit Donum vitae. Le secrétariat de l'épiscopat insiste alors sur le ”rôle des Églises locales et la responsabilité des évêques dans la réception et la compréhension d'un tel texte de la part des fidèles” 1493 . Maîtres de doctrine, les évêques doivent être en première ligne pour assurer la bonne réception du texte romain. En d'autres termes, même si ”depuis le concile de Calcédoine, l'histoire des dogmes dans l'Église catholique a cependant montré qu'un approfondissement des vérités énoncées était toujours possible”, convient le cardinal, les évêques français doivent une solidarité magistérielle à Rome 1494 . Dotés de toutes les prérogatives doctrinales, juridiques et administratives nécessaires pour faire respecter le magistère au sein des établissements hospitaliers et universitaires catholiques, les évêques sont invités à prendre leurs responsabilités tandis que l'UCL appelle au dialogue.

Mgr Derouet répond à l'injonction romaine par la fermeté. ”l'Évangile n'est pas une Bonne Nouvelle à bon marché”, rappelle-t-il avec vigueur 1495 . Dénonçant un libéralisme pénétrant la société par tous ses pores économiques, sociaux et politiques, l'évêque d'Arras oppose à la modernité le modèle du catholicisme intégral. La question éthique, dans ce qu'elle interroge la frontière ténue séparant les sphères privée et publique, surgit alors comme recours face à une tendance des catholiques à ”se constituer une sorte de secteur privé, dans un coin de [leur] conscience, où l'Évangile n'aurait pas droit de regard” 1496 .

L'évêque de La Rochelle privilégie une démarche pastorale, relatant les difficultés des couples confrontés à un document qui les condamne s'ils recourent à la fécondation in vitro. Ainsi, déplore-t-il que la congrégation pour la doctrine de la foi ait opté pour ”la forme rapide et sèche des questions réponses” 1497 . Mgr David s'efforce cependant de préciser la visée de son texte. ”Son but n'est pas de condamner mais de donner des points de repère, de faire réfléchir”, tente-t-il 1498 . C'est d'ailleurs, à la pensée du spécialiste de l'éthique au sein de l'épiscopat qu'il se réfère, en la personne de Mgr Jullien qui s'exprime en ces termes : ”Les pratiques actuelles n'ouvrent-elles pas la voie à la réduction de la personne à l'état d'objet ? Objet programmé, fabriqué, produit et traité comme tel. Accepté si conforme, éventuellement éliminé si pas conforme” 1499 . Finalement, les catholiques du diocèse de La Rochelle sont invités à prendre la mesure des intuitions anthropologiques du document pour mieux minorer son caractère prescriptif.

A l'inverse, l'archevêque de Paris n'élude pas cette dimension du texte romain. Civilisationnelle, la question sexuelle offre une matrice pour évaluer le devenir de la société française et occidentale. ”Ne galvaudez pas l'amour !”, prescrit-il à ses diocésains en dénonçant le processus de légitimation sociale à l'œuvre dans le domaine de la transgression sexuelle. ”Faire passer le mal pour le bien est la corruption la plus grossière : satanique”, assène le père Lustiger dans une critique du libéralisme et de sa tendance libertaire 1500 .

Le 13 mai 1987, Etienne Borne réagit dans La Croix à un dossier de L'actualité religieuse dans le monde consacré à la bioéthique en général et à l'instruction Donum vitae en particulier. Refusant de suivre l'hebdomadaire chrétien lorsqu'il titre le 15 avril : ”Ratzinger casse les éprouvettes”, le chroniqueur tente de retisser les liens d'un consensus éthique. Ainsi, souligne-t-il les ”maintes correspondances et convergences entre le document romain et l'avis” publié quelques mois auparavant par le comité national d'éthique 1501 . Au-delà du soutien à un texte dont les réponses sont ”contestables ou mauvaises”, Etienne Borne s'emploie à ménager ”ce bienfaisant retour à l'éthique” au cœur de la société française. Considérant la pertinence des questions posées par Donum vitae, et de l'analyse contenue dans l'avis du comité national d'éthique, l'intellectuel catholique réalise le consensus 1502 :

‘Le document romain a sans doute tort de fermer toutes les portes dont la plupart certes ouvrent sur l'abîme, sans laisser entrebâillée la seule qui pourrait ouvrir un espoir pour des couples en difficulté capables d'assumer lucidement et humblement les risques d'un remède à la stérilité, que même pratiquée avec les seules ressources du couple, reste selon l'avis du comité d’éthique, onéreuse et aliénante.’

Le débat autour de la réception de l'instruction romaine s'inscrit dans un contexte général dans lequel famille et procréation artificielle intéressent largement le débat public et avec acuité. Ainsi, les 21 ministres de la famille, membres du conseil de l'Europe se réunissent-ils à Bruxelles entre le 19 et le 21 mai 1987 pour discuter de la baisse de la natalité, de la recomposition de la famille, etc. La procréation artificielle s'invite au débat. Or pour le rapporteur des travaux, la belge Meulderf-Klein, ”l'essentiel est de trouver au plan médical, social, éthique et juridique un équilibre entre les intérêts et les valeurs à protéger” 1503 .

Une nouvelle fois, les jésuites opèrent la jonction avec les débats internes à l'Église. Les 12 et 13 juin, le centre culturel Les Fontaines consacre un colloque à la relecture de Donum vitae 1504 . Le père Vespieren, directeur du département d'éthique biomédicale du centre Sèvres, y apporte son regard de moraliste, tandis que Madame Labrusse, juriste intervient en tant que membre du conseil national d'éthique. Gynécologues, neuropsychiatre et psychanalystes alimentent les débats. L'initiative jésuite intervient tandis que le diocèse de Montpellier organise une soirée d'étude autour de l'instruction en présence de théologiens et de médecins 1505 . A Nanterre, le père Baubin, délégué diocésain pour la pastorale de la santé, et le père Turck, vicaire épiscopal, responsable de l'apostolat des laïcs, convoquent des médecins pour mener une réflexion sur le sujet 1506 .

Outre ces lieux de débats, le secrétariat national de l'épiscopat organise la diffusion de l'information et de la réflexion par le biais de son bulletin Documents-Episcopat. Ainsi doit être publié l'étude du père de Dinechin sur l'avis rendu le 15 décembre 1986 par le comité national d'éthique concernant les recherches sur les embryons humains in vitro et leur utilisation à des fins médicales et scientifiques. Or l'événement Donum vitae implique une nécessaire réévaluation de cette réflexion. L'article paraît finalement sous le titre, ”La recherche sur l'embryon humain in vitro”. Les évêques se voient alors proposer une interprétation de la doctrine de l'Église, en général, et de Donum vitae, en particulier.

Notes
1493.

Anonyme, ”L'instruction romaine sur le Don de la vie”, Snop, n°669, 6 mai 1987

1494.

Ibid

1495.

Mgr Derouet, ”Le respect de la vie humaine en ses commencements”, Bulletin diocésain d'Arras, n°9, 1er mai 1987

1496.

Ibid

1497.

Mgr David, Bulletin diocésain de La Rochelle, n°9, 8 mai 1987

1498.

Ibid

1499.

Ibid

1500.

Mgr Lustiger, ”Ne galvaudez pas l'amour!”, Paris Notre-Dame , n°169, 13 mai 1987

1501.

Etienne Borne, ”Casser les éprouvettes ?”, La Croix, 13 mai 1987

1502.

Ibid

1503.

Jean-Charles Duquesne, ”L'Europe au secours de la famille”, La Croix, 20 mai 1987

1504.

Pour sa part, le centre Sèvres propose un programme d'enseignements autour de l'éthique biomédicale avec les pères de Dinechin et Vespieren.

1505.

Anonyme, ”Soirée d'étude autour de l'instruction rassemblant des théologiens et des médecins”, Bulletin diocésain de Montpellier, n°20, juin 1987

1506.

Bulletin diocésain de Nanterre, n°66, octobre 1987