Le 15 septembre 1987, le conseil d'administration de l'hôpital parisien Notre-Dame du Bon-Secours décide que les fécondations in vitro ne pourront plus s'effectuer dans le cadre de cet établissement catholique propriété de la congrégation des sœurs augustiniennes de Notre-Dame de Paris. La commission médicale consultative de l'hôpital, composée d'une quarantaine de médecins, proteste contre cette mesure. Représenté par un prêtre au sein du conseil d'administration, Mgr Lustiger justifie la décision du fait du ”caractère propre” de l'établissement 1507 . Après plusieurs semaines de conflit, l'équipe médicale du docteur Chartier démissionne. ”L'une des plus brillantes sur la place de Paris en matière de médecine anténatale, a été décapitée” commente Le Monde 1508 . Le quotidien évoque la présence controversée du professeur Lejeune, fondateur de Laissez les vivre, au sein de l'association gestionnaire de l'hôpital Notre-Dame-de-Bon-Secours.
Le 16 janvier, les médecins de l'hôpital parisien adoptent à l'unanimité une ”mise au point” faisant acte de leur soutien au docteur Chartier et son équipe ; ”L'interdiction absolue de pratiquer la fécondation in vitro n'est pas une solution satisfaisante dans la mesure où elle n'emporte pas l'adhésion de l'ensemble des médecins catholiques qui doivent exercer leur profession en tenant compte des instructions de la hiérarchie catholique et de ce que leur dicte leur conscience” 1509 .
La mise en œuvre de mesures disciplinaires dans les maternités catholiques précipite la rupture entre l'Église et le monde de la santé. Les Cahiers suggère alors un exil de l'Église enseignante hors du débat éthique pour reprendre langue avec le milieu médical par ”un retour au social” - notamment avec la question des inégalités dans l'accès aux soins. La proposition sonne comme la mise au rancart d'une décennie de maturation intellectuelle par l'épiscopat. Émanant des Cahiers, qui abritent les plumes des pères de Dinechin et Vespieren, la suggestion pèse de tout son poids sur le devenir de la pastorale en milieu médical.
Outre la rupture d'une dynamique consensuelle en direction du monde de la santé, Donum vitae tend à diluer la collégialité épiscopale. L'épiscopat ne recourt plus qu'épisodiquement à une prise de parole collective sans grand succès 1510 . Celle-ci s'opère sur des thèmes éthiques plus traditionnels comme le droit à la vie.
Au début de l'hiver, l'association pour la prévention de l'enfance handicapée (APEH) soumet aux parlementaires un projet de loi. Le premier article du texte stipule qu'un ”médecin ne commettra ni crime ni délit en s'abstenant d'administrer à un enfant de moins de trois jours les soins nécessaires à sa vie quand cet enfant présentera une infirmité inguérissable et telle qu'on prévoit qu'il ne pourra jamais avoir une vie digne d'être vécue” 1511 . L'épiscopat ne tarde pas à réagir. Dans un communiqué du 5 novembre, Mgr Vilnet dénonce une ”stratégie d'ensemble de l'avortement à l'euthanasie” dans laquelle s'inscrit la proposition de l'APEH dont le président d'honneur démissionne confronté au feu nourri des critiques 1512 .
A cette occasion, la parole épiscopale s'inscrit dans un large consensus réunissant l'association SOS Futures mères, l'union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés (UNAPEI), l'ordre des médecins, le parti socialiste, l'association des paralysés de France ainsi que le secrétaire d'état aux droit de l'homme, Claude Malhuret. Tous protestent dans un seul mouvement contre une telle perspective 1513 . Pour l'occasion, l'épiscopat reprend l'initiative. L'archevêque de Paris se fait vigoureux. Le droit à l'euthanasie légale des enfants handicapés consacrerait ”un cas de barbarie légale, indigne de notre temps et de notre civilisation. Il s'agit de déterminer ce qui est humain et ce qui ne l'est pas. […] Tout cela me fait penser à la théorie du sous-homme et à ce qui s'est passé en 1933. La condition humaine ne se discute pas. Un mongolien est un homme. Un nègre est un homme. Un sidaique est un homme”, martèle-t-il 1514 .
Les évêques français sont rejoints le 10 novembre par l'office chrétien des handicapés (O.C.H.). Celui-ci dénonce ”un travail insidieux [qui] va se poursuivre pour préparer les mentalités à accepter, un jour, la légalisation de ce qui est un crime. Il convient de rester mobilisé devant cette menace” 1515 . Alerté du projet de l'APEH dès le mois de mars 1986, l'O.C.H. consacre au sujet un numéro spécial de sa revue Ombres et Lumière au mois de septembre 1987 1516 .
Au terme de ce panorama des diverses tentatives épiscopales pour enrichir la doctrine sociale de l’église, nous devons convenir d’un relatif échec. Désavoués par Rome sur le plan éthique, les évêques français se voient contester tout magistère en matière économique tandis que les nouvelles Semaines sociales prennent le relais d’une commission sociale exsangue. Au terme de la décennie, la parole épiscopale se love dans le mouvement émergeant de la société civile. A l’avant-garde dans la défense de l’immigré, l’épiscopat français rejoint les aspirations des mouvements associatifs tels que SOS Racisme. De fait, la parole des évêques se désinstitutionnalise. Le document ”Gagner la paix”, adopté en 1983, fait figure d’exception si on considère l’intérêt public qu’il a suscité. Depuis, l’épiscopat français semble aphone, éprouvant la difficulté à mettre en œuvre La lettre au cardinal Roy de Paul VI.
Anonyme, ”Les fécondations in vitro interdites au Bon-Secours”, Témoignage chrétien,
Henri Tincq & Nouchi Franck, ”Le divorce des médecins catholiques”, Le Monde, 13 janvier 1988
José de Broucker, ”Premier dialogue sur la fécondation in vitro”, L'actualité religieuse dans le monde, 53, 15 février 1988
Ainsi, les évêques tentent de reprendre l'initiative sur le terrain de l'éthique médicale par une déclaration sur le sida rendue publique le 23 juin 1987. Le père Tony Anatrella du diocèse de Paris, psychanalyste, membre du groupe des experts sida du comité français d'éducation pour la santé, participe à la diffusion du texte dans les médias. Tony Anatrella, ”Le défi de la solidarité”, Témoignage chrétien, 2242, 29 juin 1987
Jean-Yves Nau, ”La proposition de loi sur l'élimination des nouveau-nés handicapés : Une vie digne d'être vécue”, Le Monde, 7 novembre 1987
Anonyme, ”Le débat sur les bébés handicapés M. Caillavet abandonne la présidence d'honneur de l'APEH”, Le Monde, 10 novembre 1987
Anonyme, ”Le débat sur les nouveau-nés handicapés”, Le Monde, 9 novembre 1987
Ibid
Anonyme, ”Communiqué de l'Office des Handicapés”, Snop, n°689, 18 novembre 1987
”Sa vie nous est confiée”, Ombres et lumière, septembre 1986