Soumission romaine et cavalier seul du président Decourtray

Le 4 février 1988, Mgr Decourtray se trouve à Rome pour participer aux travaux des dicastères romains. Il décide alors de rédiger un communiqué destiné à mettre fin aux interrogations des théologiens moralistes, des médecins et des familles catholiques au sujet de la procréation artificielle. La veille, le père Navarro-Valls, rendait compte des échanges de la rencontre du 9 janvier avec les responsables des universités catholiques. Par son intermédiaire, Rome invalide la ligne définie par le recteur de l'université de Lille. Il n'est ”pas possible que, dans des institutions catholiques, des pratiques médicales déjà qualifiées de moralement illicites soient tolérées de facto”, déclare le représentant de la curie 1531 . Dans le droit fil de cette déclaration, le cardinal Decourtray affirme le caractère impératif de Donum vitae 1532  :

‘Cet enseignement est discuté publiquement par certains théologiens catholiques français, dit l'archevêque de Lyon. Même si cet enseignement de Donum Vitae ne se veut pas infaillible, les fidèles sont tenus d'observer une instruction donnée par l'autorité légitime de l'Église pour un exposé de la doctrine. [...] L'autorité doctrinale et morale de cette instruction ne se tire pas de l'argumentation rationnelle proposée ni du dénombrement des réactions qu'elle entraîne. Elle tient à la responsabilité magistérielle du Pape qui laisse et fait enseigner cette doctrine. […] Les catholiques, doivent faire confiance à leurs pasteurs. L'Église ne les égare pas.’

Le communiqué du président de la conférence épiscopale intervient sans consultation avec le président de la commission épiscopale de la famille. La rédaction de La Croix joint au téléphone le père Jullien pour lui en donner lecture et finalement recueillir son commentaire. L'évêque de Rennes convient alors que ”l'argumentation rationnelle n'est pas totalement convaincante”, relève Yves de Gentil-Baichis 1533 . Le président de la commission épiscopale de la famille n'est cependant pas en mesure de se désolidariser du cardinal Decourtray. Et d'évoquer une légitimité historique de l'enseignement moral de l'Église 1534 :

‘Dans les choses de la vie, il est parfois difficile d'argumenter de façon totalement convaincante et c'est parfois un faisceau de convergence qui permet d'aboutir à une certitude morale.
Dans ces cas-là, l'instinct de la foi précède souvent la démonstration intellectuelle qui peut tarder. Cela est arrivé plusieurs fois dans l'histoire de l'Église. Ceci peut engendrer des situations très inconfortables, surtout quand elles appellent des décisions pratiques. Dans cette affaire, Rome rappelle que le sérieux de son engagement va au-delà des arguments rationnels qui peuvent être apportés.’

Pour sa part, Yves de Gentil-Baichis doute du caractère prophétique de l'intervention épiscopale. ”A partir du moment où l'Église engage son autorité magistérielle, les théologiens français doivent rentrer dans le rang”, relève-t-il 1535 . Évoquant la position inconfortable dans laquelle Rome et le père Decourtray mettent les recteurs et chercheurs des universités catholiques, Yves de Gentil-Baichis opte pour que chacun réponde aux questions éthiques en jeu ”face à sa conscience” 1536 . Pour le père Jérome Régnier, vice-recteur de l'université catholique de Lille, la mise au point n'est pas une réelle surprise. Reste aux universités catholiques belges et françaises à unir leurs efforts dans la discussion avec Rome. Concernant les expérimentations en matière de fivete, ”Lille ne fera pas autre chose que les autres” , déclare ainsile père Régnier. ”En clair, ils n'arrêtent pas si les autres n'arrêtent pas”, résume Dominique Quinio 1537 .

Notes
1531.

Yves de Gentil-Baichis, ”Du dialogue à la fermeté”, La Croix, 6 février 1988

1532.

Henri Tincq, ”Un rappel à l'ordre du cardinal Decourtray à propos des fécondations in vitro”, Le Monde, 6 février 1988

1533.

Yves de Gentil-Baichis, ”Un caractère prophétique ?”, La Croix, 6 février 1988

1534.

Yves de Gentil-Baichis, ”Une certitude morale au-delà des arguments rationnels”, La Croix, 6 février 1988

1535.

Ibid

1536.

Ibid

1537.

Dominique Quinio, ”Le dialogue se poursuit”, La Croix, 6 février 1988