Retisser un discours pastoral

Pour Mgr Chabbert, le synode est également l'occasion pour l'Église d'entrer en conversation avec la modernité. ”Nous voulons prendre en compte les grandes requêtes de l'homme d'aujourd'hui et ses interrogations. Les progrès de la biogénétique, de l'informatique, de la télématique, les idées qu'apportent les sciences humaines provoquent des bouleversements culturels dont nous devons tenir compte” 1553 . La démarche est alors pastorale. ”Pour nous la question est de trouver un langage de foi qui puisse faire écho à ce mouvement. Mais pour répondre aux attentes, nous avons besoin d'un approfondissement de notre foi et pas d'abord d'un langage moralisateur” 1554 . Le mécanisme synodal permet alors d'inscrire ces intuitions dans le marbre législatif ayant ”force de loi canonique”.

En septembre 1987, Gaston Piétri livre sa réflexion sur le phénomène synodal aux Cahiers pour croire aujourd'hui. Outre les questions intra ecclésiales, l'enjeu nodal d'une telle pratique consiste dans un renouvellement de la problématique de la présence de l'Église au monde 1555 :

‘Il faut ajouter que les synodes seront parole d'Église pour la société. L'Église ne peut dire authentiquement l'Évangile que si elle veut servir l'homme d'aujourd'hui avec autant d'humilité que de courage. Au plan national, la parole publique des mouvements de laïcs, celle des tribunes comme les Semaines sociales, les congrès de l'Union des œuvres, les semaines des intellectuels catholiques, se sont estompées. Les évêques doivent parler en certaines circonstances au nom de leur responsabilité propre. Mais toute parole publique de l'Église ne saurait être exclusivement épiscopale. Je rêve d'une Église qui peu à peu, par le long chemin des synodes diocésains, réapprendrait l'art délicat et nécessaire d'une parole mûrie par le ”nous” des chrétiens.’

L'analyse des rapports de synthèse du synode de Saint-Dié par Louis de Courcy révèle une attention à la dimension pastorale de l'Église. Réunis en 710 équipes, les 6 000 chrétiens jugent l'Église dans sa capacité à être présente au monde. ”Ce qu'ils expriment émane d'un besoin répandu bien au-delà de leurs cercles, mouvements, groupes et paroisses identifiées. Ils sont à la fois partie prenante et caisse de résonance du monde auquel ils prennent part”, souligne Louis de Courcy 1556 . Les catholiques adressent leurs suggestions à Mgr Guillaume dans un document au titre significatif : ”pour une morale dynamique”. Émerge alors le souci de concilier conscience individuelle et utopie communautaire 1557 :

‘L'Église diocésaine doit soutenir notre recherche pour nous aider à discerner entre la fidélité à l'Évangile et notre propre idéologie. […]
Il faut pour cela que le diocèse envisage comme prioritaire que tous aient la possibilité de se retrouver en groupe par affinité de personnes. Ceci pour favoriser la liberté d'expression, la découverte de l'amour qui présidera à la prise de décisions personnelles et communautaires.’

”Un synode doit se saisir des problèmes que la société pose à l'Église”, indique Mgr Coffy tandis qu'il annonce en décembre 1987 la réunion d'une assemblée synodale pour 1989. L'institution synodale est indissociable du projet missionnaire que l'Église développe à l'adresse du monde. ”Ici, à Marseille, on ne peut éviter la question de la communauté musulmane. Ni la mutation des entreprises avec les conséquences que cela entraîne sur l'emploi : le chômage augmente et le monde ouvrier évolue”, indique cet ancien professeur du grand séminaire d'Annecy. L'attention aux réalités sociales du diocèse ne doit cependant pas être confondue avec une lecture politique du monde.

Or, au terme des débats des 13 et 14 mai 1989, les 350 délégués du synode de Beauvais reproduisent deux approches de la présence de l'Église au monde selon Gaston Piétri : ”Un clivage, tolérable, certes, s'est clairement laissé percevoir cependant, entre ceux qui, pour répondre à des besoins nouveaux, veulent créer des structures catholiques bien identifiée, et ceux qui, au contraire, désirent responsabiliser les chrétiens afin qu'ils soient moteurs là où ils se trouvent dans la société” 1558 .

Il n'est dès lors pas anodin de constater que les 4 000 propositions émanants des 1 386 groupes de travail du synode isérois révèlent une faible attention aux problématiques extérieures à l'Église. Les rapports diocésains le concèdent eux-mêmes. ”Même si le synode est fait en priorité pour un aggiornamento d'une Église locale, il est important que tous, y compris ceux qui sont loin de l'Église, puissent se faire entendre. La nouvelle étape synodale qui s'ouvre devra être particulièrement vigilante sur ce point” 1559 . Par ailleurs, Mgr Matagrin, Mgr Dufaux, son coadjuteur et Mgr Mondésert son auxiliaire se trouvent confrontés à deux sensibilités quant au partage des responsabilités identifiées ainsi par La Croix 1560 :

‘Deux mouvements apparaissent : l'ouverture à des regroupements plus larges de vie chrétienne, et le désir de partager dans des petites communautés, la communication étant le moyen indispensable de créer un réseau, un tissu chrétien.’

Préoccupations intellectuelles et sociologiques nourrissent abondamment les 150 propositions formulées à l'approche de l'assemblée synodale du Mans. La mise en place d'une formation chrétienne décentralisée adaptée aux âges et milieux culturels est sollicitée expressément. Il est par ailleurs souhaité la mise en place d'un comité d'éthique diocésain. Jusque dans sa composition, l'assemblée synodale relève les contradictions de l'Église. Les cadres et les professions intellectuelles y sont représentés à 22 % alors que la Sarthe n'en compte que 2%. A l'inverse les 5% d'ouvriers de l'assemblée contraste avec leur présence à plus de 16% dans le département 1561 . Reste le souci prégnant de renouer avec la mémoire religieuse. Sur les 650 équipes conviées à discuter les 14 thèmes du synode, 110 d'entre elles ont opté pour ”religion populaire et foi en Jésus-Christ”.

Notes
1553.

Yves de Gentil-Baichis, ”Revitaliser le diocèse de l'intérieur”, La Croix, 18 septembre 1986

1554.

Ibid

1555.

Gaston Piétri, ”Les synodes diocésains”, Cahiers pour croire aujourd'hui, 1, 15 septembre 1987, page 7

1556.

Louis de Courcy, ”Vosges : un synode-miroir”, La Croix, 13 septembre 1989

1557.

Ibid

1558.

Louis de Courcy, ”Les chrétiens prennent leur église en main”, La Croix, 16 mai 1989

1559.

Louis de Courcy, ”L'Isère à la conquête de son synode”, La Croix, 20 septembre 1989

1560.

Ibid

1561.

Louis de Courcy, ”Du ”peps” pour l'Église du Mans”, La Croix, 25 février 1988