La démarche synodale, vecteur de démocratisation ?

A Perpignan, Mgr Chabbert estime que le synode répond à ”la nécessité de nouvelles implantations et de nouvelles structures ecclésiales” 1562 . ”La pastorale de l'Église de France a été une pastorale de milieu. Or, ici comme ailleurs, les milieux, traversés de courants culturels, ne sont plus aussi tranchés”, relève-t-il. Il est symptomatique de constater que l'évêque de Perpignan illustre son analyse avec la situation du monde ouvrier au premier rang des préoccupations de la réflexion épiscopale autour des nouvelles perspectives missionnaires : ”malgré la crise, on ne peut pas dire que le milieu ouvrier (même chez les immigrés) soit un véritable monde de pauvreté, comparé au tiers monde” 1563 . Par ailleurs, l'outil préliminaire à toute consultation synodale demeure la sociologie. ”Avant les assemblées synodales, nous mènerons une enquête sociologie et un sondage spécifique ; si vous voulez, une sorte de ”point image” de l'Église dans ce département” 1564 . Or, dès les premières réponses au questionnaire, il apparaît qu'un ”appareil critique se met en place, à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté chrétienne” 1565 .

Administrateur du diocèse, l'évêque insiste sur la dimension organisationnelle de l'impulsion synodale. ”Le village s'est transformé, de même nous nous acheminons vers une redéfinition de la paroisse”, indique Mgr Gilson 1566 . La pratique synodale jusque dans la réforme des structures induit une sensible mutation de l'exercice de la mission épiscopale : ”l'évêque et ses collaborateurs peuvent défendre une orientation sans pour autant tout diriger”, précise-t-il 1567 . Pour sa part, le diocèse de Corbeil-Essonnes entre en synode le 29 novembre 1987. Outre la théologie du peuple de Dieu à mettre en œuvre, Mgr Herbulot insiste sur la mission de l'Église locale dans le tissage du tissu social. Il précise également dans La Croix sa responsabilité 1568 :

‘Il s'agit de bien établir les compétences des uns et des autres. Je souhaite que les thèmes d'étude retenus puissent aboutir (la question de l'ordination d'hommes mariés ou de femmes, par exemple, n'est pas de la compétence du synode). La finalité d'un synode, c'est la vie d'une Église locale. Le synode est une assemblée consultative. Il revient à l'évêque de décider, de promulguer des orientations.
Mais dans la mesure où des personnes participent à la réflexion, au débat et qu'on arrive à un certain consensus, ces personnes ont donc une réelle responsabilité, un ”certain pouvoir”. Ce n'est pas seulement celui qui promulgue qui a le pouvoir. C'est ce que j'appellerais une coresponsabilité différenciée.’

Dès 1985, un forum des conseils pastoraux est organisé autour de thèmes tels que la coresponsabilité et l'évangélisation. Il s'agit alors d'associer les structures délibératives de l'Église à sa mission. A la Pentecôte 1986, le rassemblement diocésain qui rassemble 3 000 personnes révèle la nécessité de renouer le contact avec les pratiquants intermittents. Le vicaire épiscopal Jean-Pierre Ricard énumère les raisons d'un tel projet qui reprennent finalement la thématique nouée autour de l'identité catholique lors de l'assemblée de Lourdes 1981 1569 :

‘Il n'y a quasi plus de ces oppositions idéologiques qui amenaient certaines à dire qu'ils en se sentaient pas ”de cette Église là”. D'autre part, les chrétiens sont moins nombreux et ils se sentent tous embarqués dans la même aventure ? Enfin, la mise sur pied de formations pour les chrétiens, en responsabilités dans les aumôneries, les paroisses ou les mouvements, stimulent le dynamisme de l'ensemble.’

Le matin de Pâques 1989, Mgr Plateau annonce la convocation d'une assemblée synodale pour le 25 mars 1990. Planifiant l'élection des 300 membres de cette assemblée pour le mois d'octobre 1989, l'évêque de Bourges invite son clergé et ses diocésains à accélérer la mise en place de conseils pastoraux au niveau des paroisses et secteurs diocésains 1570 . A défaut de structures, la période pré synodale qui s'ouvre s'appuie sur une démarche de réflexion entreprise au lendemain du synode romain de 1985. Des centaines de catholiques ont alors réfléchi autour de la constitution conciliaire Lumen gentium. Par ailleurs, le diocèse s'est doté d'un livret baptisé Points de repères pour une pastorale diocésaine.

En novembre 1987, Mgr Balland soumet un document de travail au conseil presbytéral en vue de réunir les acteurs de l'Église autour de trois pistes de réflexions. ”Qu'est-ce que nous vivons de la mission originale confiée aux paroisses? Avec réalisme et imagination, que suggérons-nous comme modifications territoriales et comme lien nécessaire avec les voisins pour l'avenir viable et durable de la paroisse ou du secteur paroissial qui est le nôtre, et pour quelles raisons ? A quelle échelle faut-il créer un conseil pastoral ?” 1571 . La géographie constitue une des préoccupations majeures de l'évêque de Dijon. Le père François Garnier, vicaire général du diocèse pose l'équation en ces termes : ”Le diocèse compte 700 communes et presque 600 paroisses, avec des prêtres qui ont parfois la responsabilité de 15 à 20 clochers” 1572 . Une large consultation est alors lancée entre février et octobre 1988 autour d'un document ”l'avenir des secteurs paroissiaux”. ”Il s'agit de rendre perceptible le souci missionnaire de toute l'Église dans un lieu et un temps précis, concrets, actuels” 1573 .

Finalement, pour une partie des acteurs, ainsi que le suggère Jacques Palard, la convocation d'un synode est avant tout une œuvre de gouvernement. Majorer cet aspect de la démarche n'est d'ailleurs pas sans risque. Ainsi Mgrs Gufflet et Soulier en font-ils les frais. Entre mai et juillet 1988, un prêtre du diocèse de Limoges conteste auprès de Rome le découpage des paroisses prévu par le synode pour le 1er octobre. Au mois de septembre, le Vatican exhorte Mgr Soulier de différer la mise en application de la réforme. Des mois durant, le diocèse s'est ainsi trouvé, en situation de vacatio legis en attente d'une décision finale de Rome 1574 . Pour le père Pierre Plantevigne, secrétaire général du synode d'Angoulême, cette dimension de la démarche synodale n'en n’est pas moins déterminante 1575  :

‘Il ne faut cependant pas croire pour autant que de grandes nouveautés vont faire soudain leur apparition, car si quelqu'un avait une idée de génie, cela se saurait déjà. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est cette grande possibilité de rencontre et de partage. C'est aussi le sens du diocèse et celui de la responsabilité individuelle retrouvée. Un sang vif vient irriguer les canaux de l'Église de Charente.’
Notes
1562.

Christiane Haumey, ”Adapter la pastorale à la vie”, La Croix, 9 octobre 1985

1563.

Ibid

1564.

Ibid

1565.

Ibid

1566.

Louis de Courcy, ”Mgr Gilson : Ce peuple voulait prendre la parole, il l'a fait”, La Croix, 25 février 1988

1567.

Ibid

1568.

Dominique Quinio, ”L'aventure spirituelle de tout un diocèse”, La Croix, 27 novembre 1987

1569.

Yves de Gentil-Baichis, ”Le synode de Marseille”, La Croix, 28 & 29 février 1988

1570.

Benoît de Sagazan, ”Synode en Berry”, La Croix, 7 avril 1989

1571.

Louis de Courcy, ”Les chrétiens auscultent leur diocèse”, La Croix, 28 avril 1988

1572.

Ibid

1573.

Ibid

1574.

Marie-Jo Hazard, ”Voyage dans la France des synodes”, L'actualité religieuse dans le monde, avril 1989

1575.

Louis de Courcy, ”A Angoulême, on retourne la terre”, La Croix, 27 & 28 décembre 1987