C/ L’épiscopat et la recomposition de l’église de France : acteur ou spectateur ?

Réintégrer l’action catholique dans le tissu diocésain

Frappée de quasi-obsolescence dans l'Église de France de la fin des années 1980, l'action catholique n'en demeure pas moins volontaire dans l'accompagnement des initiatives épiscopales comme en atteste son investissement dans la préparation du synode extraordinaire de 1985. Au creux des synodes diocésains elle alimente l'utopie communautaire au sein de l'Église. Or, la thématique de la conversion foisonne alors aux contours des débats synodaux. Le père Piétri y voit alors le signe d'une ”imprégnation de bon aloi” de la démarche de gouvernement pastoral par l'élan spirituel 1586 . ”L'expérience spirituelle n'est plus considérée là ni comme un préalable, ni comme une conséquence de la démarche pastorale” 1587 . Cette réhabilitation de l'action catholique se joue dans la rencontre avec la mouvance charismatique.

Le succès du rassemblement national de l'ACO de 1985 sonne comme un avertissement : l'action catholique n'a pas dit son dernier mot. Le 23 novembre 1985, Jacques Arfeuillère se félicite dans La Croix de ce succès. ”Malgré la lenteur à s'y mettre… beaucoup de directeurs de pèlerinages diocésains commencent à trouver intérêt à prendre contact avec les permanents laïcs et les aumôniers de tous les mouvements présents (ACI, ACO, JOC, JOCF, JIC, JICF, CMR, ACE) et à solliciter leur aide pour des rencontres, des animations de carrefours, etc.” se réjouit-il, sûr de trouver en l'épiscopat un soutien indéfectible à la pédagogie d'action catholique 1588 . Il s'agit alors pour le père mariste d'insérer plus adéquatement l'action catholique au tissu diocésain.

Le numéro d'août 1985 de Témoignage, revue du mouvement, publie ”un projet de rapport d'orientation” à amender, discuter puis adopter lors de son prochain congrès de l'Ascension 1986. Le 30 novembre 1985, Philippe Warnier s'enthousiasme pour le document dans le forum de La Croix 1589 :

‘[L'ACO] affirme sa volonté de prendre publiquement la parole pour participer à ce débat ecclésial, mais aussi d'être présente dans les lieux d'Église où il se mène, sans ”regretter le temps passé” à cette ”confrontation difficile” mais nécessaire.
Sans renier l'indispensable priorité à l'évangélisation de la classe ouvrière, l'ACO dit son intention de ”prendre sa place” dans ”certains rassemblements d'Église” diocésains ou nationaux et de ”donner son avis sur les décisions importantes que les Églises locales prennent” lors des conseils pastoraux, synodes, etc.
Elle reconnaît aussi (c'est le fruit d'une expérience qui a déjà plusieurs années) l'importance de la catéchèse et de la célébration des sacrements en paroisse, comme ”chemins d'accès” à la foi pour les travailleurs.’

En avril 1986, les responsables de la JEC adoptent de nouvelles orientations pour le mouvement au terme de deux ans de débats. ”Avec la tourmente des années 1970, il a fallu un moment au mouvement pour retrouver ses marques”, relèvent Thierry Daigremont, responsable national et la présidente du mouvement, Anne Ponse 1590 . La figure du militant est bien sûr à l'ordre du jour. ”Le militant pur et dur appartient à une autre époque”, relève La Croix à la lecture du rapport de l'équipe nationale. ”Désormais on veut bien porter un badge, style SOS racisme, sans pour cela être obligé de suivre 36 000 réunions”, poursuit le quotidien. Le succès du Renouveau charismatique est prégnant dans l'analyse que mène la JEC sur sa désaffection. Il semble alors que l'identité chrétienne soit de nouveau à faire valoir. ”Si le mot évangélisation semble ”ringard”, il recouvre pour nous aujourd'hui les actions que nous menons dans l'école et la société, sans prosélytisme”. Pris au mouvement intellectuel des années 1970, la JEC fait œuvre de révisionnisme. L'herméneutique biblique n'est plus un exercice structuraliste. La JEC se ressaisit des Ecritures ”en cherchant à comprendre ce que veut dire le texte et non en y cherchant ce que l'on veut y trouver. Aucune réponse n'étant imposée”, indique le rapport 1591 .

A l'occasion de sa XIVe rencontre nationale au Mans, l'ACO doit faire le bilan de ses activités depuis la réunion marseillaise de 1983. Didier Niel, secrétaire général du mouvement, ne cache alors pas que l'influence des problématiques politiques persiste dans la vie de l'ACO. ”Au temps du programme commun, et quand la gauche était au pouvoir, c'était plus facile, même si chaque organisation [syndicale] avait une personnalité différente”, souffle-t-il à La Croix 1592 . L'ancrage ecclésial du mouvement continue d'interroger le mouvement. ”On peut dire que nous ne sommes pas à l'aise quand l'Église semble remettre en cause Vatican II ou renforcer l'esprit de corps comme s'il fallait lutter contre un adversaire”, poursuit Didier Niel. Le mouvement n'en demeure pas moins sensible à l'enseignement des évêques de France dans une posture critique propre à une double fidélité à la classe ouvrière et à l'Église de Jésus-Christ 1593 :

‘Nous avons l'impression d'un frein à notre action missionnaire quand les évêques descendent dans la rue pour soutenir l’école privée ou quand ils rédigent un texte comme ”Gagner la paix”.
Mais on se sent à l'aise quand l'épiscopat prend publiquement position sur les travailleurs immigrés ou quand il débat (comme à Lourdes en 1983) des priorités pour le monde ouvrier. Ou encore quand l'Église nous permet de participer à la préparation du prochain synode sur la responsabilité des laïcs.
En définitive, on sent qu'il y a dans l'Église un certain déblocage par rapport au monde ouvrier même si le fossé n'est pas comblé.’

Observateur des débats pour La Croix, Yves de Gentil-Baichis note un glissement de méthode entre les rassemblements Marseillais et Manceau : ”le débat d'idées avait fait place à des partages sur des réalisations concrètes” 1594 . Didier Niel ne manque pas de rappeler que les militants ACO ne doivent pas mettre ”leur clocher dans leur poche”. Pour sa part, Mgr Deroubaix intervient comme président de la commission épiscopale du monde ouvrier. ”Nous ne pouvons baisser les bras, nous résigner à subir, sans rien faire, la loi du dollar ou du baril de pétrole, les raison invoquées au plan économique et technologique. Rien n'est fatal. Nous croyons à la formidable capacité que Dieu donne à l'homme pour analyser, lutter, créer, changer son regard et son cœur, reconstruire des solidarités et en susciter de nouvelles” 1595 .

Quelques mois après, Mgr Deroubaix présente devant le conseil permanent des 9, 10 et 11 juin 1986, le rapport de la commission épiscopale du monde ouvrier. A cette occasion, l'évêque de Saint-Denis relève que si l'action catholique regroupe essentiellement des militants, celle-ci fait l'expérience de nouvelles présences à l'Église 1596 :

‘Si autrefois, les chrétiens portaient le souci d'être capables d'appartenir à une communauté humaine et d'y être actifs aujourd'hui, ils cherchent davantage à savoir comment être chrétiens et appartenir à l'Église quand on est engagé dans le monde. Progressivement, sans avoir toujours résolu les réticences par rapport à certains aspects de l'Église, il semble que la foi de l'Église comme sacrement deviennent premières. Cela se traduit par une plus grande liberté et critique par rapport aux diverses idéologies, la volonté de participer à la vie des communautés locales et diocésaines et un effort de formation spirituelle, théologique et biblique.’

La session nationale de la Mission étudiante réunit 90 aumôniers et permanents laïcs au début du mois de septembre 1986. Le thème est le suivant : ”Dans une société en mouvement, faire advenir l'homme : projet de la Mission étudiante”. Nouvel aumônier national du mouvement, le père Jean-Marie Mallet-Guy note ”la montée de l'individualisme, le repli frileux sur le petit groupe” 1597 . Par ailleurs, les responsables du mouvement décomptent les initiatives qui marque le souci d'une nouvelle concorde avec l'institution ecclésiale. Sur les 500 groupes réguliers que compte la Mission étudiante, une centaine offre la possibilité d'une formation biblique, 91 se consacrent à une formation à la vie chrétienne. Au surplus, pas moins de 86 groupes de prière sont dénombrés. ”Il y a six ans, la césure de mai 68 se faisait encore sentir. L'esprit critique était assez fort et les relations entre les personnes souvent difficiles. Aujourd'hui, le dialogue est plus facile et l'esprit plus positif”, relève alors le père Gérard Tournier, aumônier sortant 1598 .

”Quand on parle de l'action catholique, c'est souvent avec dix ans de retard : la JOC a toujours organisé des assemblées de jeunes ; aujourd'hui cet effort se différencie ; du repas pris ensemble - une ”petite bouffe” - à des assemblées plus vastes comme pour préparer le rassemblement Villavenir”, insiste Mgr Deroubaix 1599 . Outre le soutien du chef de fil de l'épiscopat sur la question ouvrière, l'action catholique reçoit un hommage appuyé de Mgr Vilnet lorsqu'il se retire de la présidence de la conférence épiscopale. Celui fait écho aux options missionnaires prises par l'épiscopat en 1981. Jean Potin salue alors une réhabilitation a posteriori de l'action catholique 1600 :

‘On a jeté un regard dépréciatif sur l'action catholique pour n'accorder sa confiance qu'aux mouvements spirituels. Sans s'en rendre compte, certains ont réagi, comme si le monde tel qu'il est ne pouvait être sauvé et devait être abandonné à ses propres lois, c'est à dire les forces de la politique et de la finance. Pourtant, le ”voir, juger, agir” de l'action catholique aurait permis d'analyser lucidement les implications inconscientes ou volontaires masquées de certaines prises de position, notamment en ce qui concerne les pays en voie de développement.’

Les 20 et 21 novembre 1987, 200 personnes célèbrent le centenaire de l'action catholique de la jeunesse française à l'occasion (1886-1956) d'un colloque organisé par le centre Sèvres. C'est alors l'occasion pour les historiens René Rémond et Jean-Marie Mayeur de mettre en perspective un ”répertoire d'expériences” qui fait de l'ACJF à la fois ”un lieu théologique et un lieu de civilisation” dans la France du début du XXe siècle 1601 .

Réunie en conseil national du 29 au 31 janvier 1988, l'ACI réaffirme son option militante dans la mission autour du thème de ”l'éveil”. Elisabeth Picaud, présidente du mouvement, réaffirme par ailleurs la vocation d'Église de l'action catholique des milieux indépendants avec prudence. ”On souhaite ouvrir les gens à Dieu, oui, et si l'ACI peut y contribuer, tant mieux, mais il y a d'autres chemins” 1602 .

Notes
1586.

Dominique Quinio & Louis de Courcy, ”Comment faire nôtres les décisions ?”, La Croix, 27 & 28 décembre 1987

1587.

Ibid

1588.

Jacques Arfeuillère, ”Une présence originale de l'action catholique”, La Croix, 23 novembre 1985

1589.

Philippe Warnier, ” Ça bouge à l'ACO”, La Croix, 30 novembre 1985

1590.

Isabelle de Wazières, ”La JEC sort du tunnel”, La Croix, 18 avril 1986

1591.

Ibid

1592.

Yves de Gentil-Baichis, ”Fidèles à la classe ouvrière et à l'Église”, La Croix, 8 & 9 mai 1986

1593.

Ibid

1594.

Yves de Gentil-Baichis, ”Le pari du réalisme”, La Croix, 13 mai 1986

1595.

Mgr Deroubaix, ”Quel avenir pour les plus démunis ?”, La Croix, 13 mai 1986

1596.

DC, 1921, 6 juillet 1986

1597.

Florence Quille, ”L'aumônerie contre l'anonymat”, La Croix, 6 septembre 1986

1598.

Ibid

1599.

Gwendoline Jarczyk, ”L'Église est devenue leur affaire”, La Croix, 11 octobre 1986

1600.

Jean Potin, ”Le retour de l'enseignement social”, La Croix, 11 & 12 novembre 1987

1601.

Gwendoline Jarczyk, ”Un répertoire d'expériences”, La Croix, 24 novembre 1987

1602.

Louis de Courcy, ”Respectons les chemins humains”, La Croix¸2 février 1988