L’épiscopat reste sur la défensive

Certes l'action catholique fête le trentième anniversaire de sa permanence lourdaise, le Pavillon du lac, mais ses effectifs militants sont bien faibles. L'ACE revendique 100 000 adhérents, l'ACI 13 000 adhérents, l'ACO 15 000 adhérents, le CMR 20 000 adhérents, la JEC comptent 1 500 adhérents, la JIC-JICF, 6 500 adhérents, la JOC-JOCF 20 000 adhérents, le MRJC, 10 000 adhérents 1611 . Mgr Derouet suggère des pistes aux mouvements d'action catholique pour l'avenir 1612 :

‘Il semble que si l'action catholique a connu une phase d'idéologisation, elle peut recevoir du Renouveau une certaine liberté d'expression de la foi, un certain approfondissement de la relation à Dieu aussi. Le Renouveau lui, peut recevoir de l'action catholique cette importance donnée à l'engagement de la foi, à l'incarnation et puis au discernement.’

Mgr Derouet présente un rapport sévère de la commission épiscopale des milieux indépendants devant le conseil permanent réuni du 13 au 15 mars 1989 1613 . À force de réévaluer son analyse des milieux, les animateurs de l'ACI courent au devant d'un appauvrissement de son bagage critique et intellectuel, avance-t-il. Pour l'évêque d'Arras, le risque n'est pas nul de voir ces derniers s'enfermer dans des stéréotypes au moment même où ils ”se sentent traversés par des courants, des questions et des situations multiples et contradictoires” 1614 . Dans La Croix, Louis de Courcy ne cache pas son scepticisme. ”Quelle leçon les évêques tirent-ils de ce constat ? Aucune, à en croire le rapport. Mais beaucoup de questions en revanche, dont celle-ci : ”Quel est l'impact de l'Ecriture sur l'engagement apostolique ? N'y a-t-il pas des décloisonnements à opérer ?” 1615 .

Il n'en demeure pas moins que faisant état de son travail auprès des milieux indépendants, Mgr Derouet relève des glissements dans la pratique des adultes de cette branche de l'action catholique. ”Chez les uns et chez les autres, on remarque une liberté de jugement par rapport à l'enseignement éthique de l'Église, l'adoption d'une éthique personnelle, en particulier en matière de morale conjugale ou dans le domaine de l'éthique sociale ; une liberté par rapport aux formes classiques d'expression de la foi, en particulier la pratique régulière ou l'engagement dans les paroisses ; une allergie à dire les mots de la foi dans les formes reçues” 1616 . Telle évolution serait le corollaire d'une mutation sociologique des milieux indépendants avec l'émergence des professions intermédiaires telles qu'instituteurs, infirmières, cadre B de la fonction publique, techniciens… qui rassemblent une jeunesse instruite et mimant le mode vie de leurs hiérarchies avec le souci de connaître une ascension sociale. L'évaluation des activités concernant les jeunes n'est pas plus optimiste.

Et le président de la commission de s'interroger quant à la pertinence de la pédagogie proposée par l'action catholique pour une jeunesse de plus en plus individualiste et spontanéiste. La faible audience de l'ACE auprès des enfants ne pourra être améliorée qu'au prix d'une collaboration des mouvements tels que le scoutisme ou le MEJ Reste que, ”l'ACE fait preuve de vitalité apostolique. Un évêque cite l'ACE comme étant le seul mouvement à travailler à l'amélioration des conditions de vie des enfants” 1617 . Tel contraste confirme la consécration progressive de la seconde évangélisation comme nouvelle ”feuille de route” de la mission pour une partie de l'épiscopat.

La jeunesse étudiante chrétienne (JEC) fête les 3, 4 et 5 avril 1989 son soixantième anniversaire à Anglet, près de Bayonne. Dès l'annonce de l'événement, le mouvement ne fait pas mystère des tensions qui subsistent avec la hiérarchie de l’église. Ainsi, un conte adressé aux journalistes en guise de dossier de presse met-il en scène le mouvement dans le rôle de la brebis égarée de l'Église. Pierre Laurent, président du mouvement, indique qu'à l'exception de la vingtaine de diocèses accueillant la JEC, la majorité des évêques ne se montrent pas très enthousiastes à son endroit. ”Mal aimés, vraiment, par exemple, dans l'archevêché de Paris ou ailleurs, lorsque le représentant de la JEC s'entend dire par tel évêque qu'à cause du manque de spiritualité du mouvement, les jeunes de la bourgeoisie n'ont pas été accueillis, d'où l'influence grandissante des charismatiques”, indique La Croix 1618 . Pour Louis de Courcy, le mouvement continue de payer un glissement vers l'extrême gauche au cours de la décennie 1968. ”Difficile, encore aujourd'hui, de remonter le courant”, affirme le président jéciste. Cela étant, ”il existe aujourd'hui une demande de religieux qu'on ne maîtrise pas bien. Nous redéveloppons donc la commission foi du mouvement. Les jeunes ont besoin de points de repère”, poursuit-il.

Tel jugement à l'endroit de l'action catholique ne manque pas d'inquiéter la frange missionnaire de l'Église de France. ”Je souhaite que ne soit pas boycotté ou évacué, dans l'Église de France, le courant missionnaire de ces cinquante dernières années”, déclare un prêtre ouvrier interrogé dans La Croix le 25 mai 1989 1619 . Xavier Nicolas (s.j.) veut pour sa part prévenir l'émergence d'un ”catholicisme à deux vitesses” selon l'expression d'Ivon Tranvouez 1620 introduisant une césure entre ”le peuple chrétien” et les ”intellectuels”. Le risque n'est pas loin de voir consacré un anti-intellectualisme latent dans la culture du catholicisme français 1621 :

‘Pour le premier, un catholicisme simple, pieux, peu intellectuel et peu critique, répondant aux besoins religieux des gens, ”quitte à se confesser si on n'arrive pas à s'identifier aux consignes de l'Église”. La ”seconde évangélisation” viserait à la conquête ou la conservation de ce peuple-là, tandis que les intellectuels seraient laissés à leur esprit critique, à leur raison dévoyée.’

Dans le même temps, l'UOCF annonce l'organisation du troisième forum des communautés chrétiennes pour le printemps 1991. Il s'agit alors de tirer les conséquences de l'échec de la manifestation de l'année précédente à Montpellier. Les formules éprouvées à Lyon et à Montpellier sont ”usées” selon Henri Robin. ”A Montpellier, nous avions abordé des problèmes de société difficiles et je crois que ces questions trop brûlantes ont fait peur. Pour Strasbourg, nous retrouvons un thème plus religieux”, précise le maître d'œuvre de la manifestation 1622 . Le thème annoncé pose explicitement la question de Dieu. ”Dieu, comment en parler aujourd'hui ?”. Confrontée à son échec, l'UOCF tente de ménager un équilibre entre son attachement au concile Vatican II et sa tradition de la confrontation d'une part et le constat de la déprise de sa méthode :

‘La question de Dieu était, il y a quelques années, une question perdue. Nous vivons aujourd'hui le retour de la question de Dieu. […]
Retour de Dieu et retour du religieux sont mêlés. Un discernement est nécessaire. De même pour ce qui concerne le retour du ”dire Dieu” et les appels à la nouvelle évangélisation.’

A l'été 1990, Mgr Maziers rejoint à Lourdes la permanence du pavillon du Lac. Ancien aumônier de la JOC et de l'ACO, penseur de la condition ouvrière au sein de l'épiscopat de la décennie 1970 au titre de président de la commission épiscopale du monde ouvrier entre 1970 et 1976, l'ancien archevêque de Bordeaux est tout désigné pour la mission 1623 :

‘Le monde dans lequel je suis né a disparu. J'ai couru pour voir passer une auto. J'ai écouté avec émerveillement les premières émissions de radio… Actuellement, l'Église n'est plus assez présente dans la société. Les mouvements d'action catholique doivent donc être en mesure - toujours plus de rendre compte de l'espérance qui les anime pour prendre part à la nouvelle évangélisation.’
Notes
1611.

Ibid

1612.

François Vayne, ”Le lien entre foi et vie”, La Croix, 26 août 1988

1613.

Le dernier rapport date de 1985

1614.

Anonyme, ” Rencontre du Conseil permanent avec la participation des présidents de commissions”, Snop, n°746, 24 mars 1989

1615.

Louis de Courcy, ”Un regard hors hexagone”, La Croix, 18 mars 1989

1616.

Anonyme, ” Rencontre du Conseil permanent avec la participation des présidents de commissions”, op. cit.

1617.

Ibid

1618.

Louis de Courcy, ”La brebis en quête de repères”, La Croix, 31 mars 1989

1619.

Yves de Gentil-Baichis, ”Que notre Église soit servante et pauvre”, La Croix, 25 mai 1989

1620.

Ivon Tranvouez, Catholiques d'abord, Paris, éditions ouvrières, 1988, 264 pages

1621.

Xavier Nicolas, ”Seconde évangélisation : de quoi s'agit-il ?”, La Croix, 27 mai 1989

1622.

Anne Ponce, ”Un deuxième souffle à Strasbourg”, La Croix, 27 mai 1989

1623.

François Vayne, ”Accueillir avec un parti pris d'espérance”, La Croix, 4 & 5 novembre 1990