En juillet 1986, Martine Cohen suggère dans les Archives des sciences sociales des religions que l'émergence des mouvements du Renouveau charismatique préfigure une sensible recomposition de l'Église catholique et de son mode de gouvernement 1624 . Dans le même temps, la sortie de l'ouvrage Vers un nouveau christianisme ? de Danièle Hervieu-Léger et Françoise Champion 1625 , tandis que les publications en sociologie religieuse trouvent un public, porte avec acuité le débat concernant la place du Renouveau dans l'Église 1626 .
Mgr Coffy est alors en pointe dans la défense des mouvements charismatiques depuis sa rencontre avec la communauté albigeoise du Lion de Juda et sa nomination en 1975 comme responsable officieux des rencontres entre l'épiscopat et les animateurs du mouvement. Entre temps, Mgr Marcus a présenté son rapport sur ”le Renouveau spirituel” devant l'assemblée plénière de 1982 1627 . Un tournant s'opère alors pour une officialisation des rapports liant l'épiscopat à l'ensemble des acteurs du Renouveau ”dont la foi est à couper au couteau”, selon le mot d'Henri Fesquet 1628 . C'est dans cet esprit que, les 27 et 28 novembre 1984, Mgr Coffy, Chabbert, Delorme, Gaidon et Simonneaux les rencontrent. Ils plaident, à cette occasion, pour la définition de points de repère pour éclairer les évêques, les prêtres et les laïcs qui, la plupart du temps, sont loin des réalités et perspectives charismatiques 1629 .
Des liens de plus en plus étroits se tissent au fil des ans. Du 21 au 23 avril 1985, le cénacle de Versailles accueille la troisième rencontre des délégués diocésains des évêques pour le Renouveau charismatique. Plus de cinquante prêtres et un diacre se retrouvent autour de Mgrs Simonneaux et Delorme pour partager sur leur ministère et s'interroger plus particulièrement sur le phénomène des guérisons dans le courant du Renouveau. ”La prière pour la guérison des malades est une pratique qui irrite beaucoup de catholiques. Les raisons en sont multiples. C'est pourquoi les délégués ont pris conscience de la nécessité d'approfondir ce ministère” indique le compte-rendu de la réunion qu'offre le Snop 1630 . L'une des pistes ouvertes consiste en une revalorisation d'une anthropologie d'inspiration biblique et patristique tout en ne faisant pas l'économie d'un détour par les sciences humaines comme ressource compréhensive. Intervenant comme expert, le docteur Fernand Sanchez de la Communion du Lion de Juda et responsable d'un centre thérapeutique de la région de Castres stigmatise l'abandon de l'Église de la démarche psychique et spirituelle de conversion et de réconciliation aux psychiatres et psychologues.
L'année suivante, 50 délégués diocésains chargés de suivre le Renouveau se réunissent à Versailles les 14 et 15 avril. Mgrs Duchêne, Badré, Delorme et Gaidon président la réunion. Un courrier hostile au Renouveau abonde à la rédaction de La Croix. Le quotidien catholique profite donc de l'événement pour faire le point. Chargé par l'épiscopat d'accompagner les charismatiques, Mgr Duchêne apporte des précisions au fil d'une interview, notamment syntaxiques. Il apparaît alors que les autorités de l'Église de France tente de substituer l'expression générique de ”renouveau dans l'Esprit” à celle de ”Renouveau charismatique”. ”L'essentiel ne réside pas dans les charismes extérieurs, mais plutôt dans la profondeur de la conversion personnelle”, commente le père Duchêne 1631 . Telle distinction semble prévenir toute désinstitutionnalisation achevée de l'Église dans la mesure où le mouvement charismatique invite les évêques à redécouvrir une théologie d'une ”Église qui n'est pas seulement institutionnelle, mais qui est aussi mystère”, selon les propres mots de l'évêque de Saint-Claude 1632 .
La réunion versaillaise intervient alors que les charismatiques ont ”le vent en poupe” selon Yves de Gentil-Baichis 1633 : l'évêque d'Autun a confié à l'Emmanuel la responsabilité du centre de pèlerinages de Paray-le-Monial, le Chemin neuf est au premier rang pour l'organisation de la venue du Pape à Ars le 6 octobre 1986. Les 25-26 novembre, Mgr Duchêne réunit une nouvelle fois les responsables des communautés et groupes de prière à Paris. A cette occasion, Etienne Dahler, berger responsable du Lion de Juda à Pont-Saint-Esprit rend hommage aux évêques accueillants au mouvement charismatique. ”Néanmoins, le Renouveau n'est pas un mouvement d'Église. C'est un souffle, un élan qui doit garder sa force et son dynamisme”, insiste-t-il 1634 . Reste que l'ensemble des diocèses français ne réserve pas un accueil net aux charismatiques. ”Les gens sont parfois surpris par la manière d'être du Renouveau. Aussi devez-vous vous insérer dans la vie pastorale”, conseille Mgr Duchêne, rappelant que l'Église de France et ses évêques restent marqués par l'empreinte laissée par l'action catholique en matière d'évangélisation 1635 .
Martine Cohen, ”Vers de nouveaux rapports avec l'institution ecclésiastique : l'exemple du Renouveau Charismatique en France”, Archives des sciences sociales des religions, 62-1, juillet septembre 1986
Danièle Hervieu-Léger & Françoise Champion, Vers un nouveau christianisme ?, Paris, Le Cerf, 1986, 395 pages
Jean-Louis Schlegel, ”Un monde désenchanté ?”, Le Monde, 15 avril 1988
Brigitte André, ”Une instance de mûrissement”, ICI, 580, novembre 1982
Henri Fesquet, ”L'assemblée de l'épiscopat français s'apprête à reconnaître la valeur des communautés charismatiques”, Le Monde, 24 & 25 octobre 1982
Anonyme, ”Rencontre annuelle des dirigeants français du Renouveau avec les évêques”, Bulletin diocésain de Rennes, n°4, 13 février 1985
Anonyme, ”Rencontre nationale des délégués diocésains du renouveau charismatique”, Snop, n°589, 12 juin 1985
Yves de Gentil-Baichis, ”Le renouveau, un don fait à l'Église”, La Croix, 26 avril 1986
Ibid
Yves de Gentil-Baichis, ”Le vent en poupe”, La Croix, 26 avril 1986
Yves de Gentil-Baichis, ”Charismatiques : du bouillonnement à l'enracinement”, La Croix, 4 décembre 1986
Ibid