Vers une recomposition de l'évangélisation et de ses acteurs

Dans La Croix, Philippe Warnier dénonce le caractère fixiste du clivage séparant progressistes et conservateurs. ”Ce qui m'agace profondément, et m'apparaît fort dangereux pour l'unité ecclésiale, la santé des débats et la préservation, voire le dépassement des acquis conciliaires, c'est la tendance de chrétiens sincères […] à mettre tous les gens qui ne sont pas de leurs chapelles dans le même sac, et à se croire toujours en 1960 ou 1970 sans voir que la situation ecclésiale a changé” 1636 . Tout en concédant une tendance charismatique à ”passer directement de l'Évangile à l'action sans mesurer l'importance des médiations (analyses et stratégies)”, Philippe Warnier insiste sur l'impossibilité de classer ces mouvements ”dans des catégories d'hier” dans la mesure où ”les débats d'hier leur sont assez étrangers” 1637 .

L'oreille attentive que prête l'épiscopat aux mouvements charismatiques ne manque cependant pas d'alimenter le débat. Pour Georges Mattia, la visite ad limina des évêques du Nord est l'occasion pour Jean-Paul II de nuancer la portée du phénomène dans l'Église et sa mission. La Croix reproduit alors de larges extraits de l'adresse du Pape évoquant l'hypothèse d'un retour du religieux avec les évêques français 1638 :

‘Les analyses se sont multipliées à ce sujet, pour en cerner la valeur ou, parfois les ambiguïtés. C'est vrai qu'il peut les signifier surtout le refus d'une société utilitaire, anonyme […]. Il peut aussi traduire un désir de la créativité, de la fête, de la célébration […. Il peut être une réaction contre une désacralisation […]. Mais il peut dégénérer aussi en fausse mystique, dans une recherche d'efficacité magique et le recours à des forces obscures.’

Président de la commission épiscopale chargé du Renouveau, Mgr Duchêne est alors sollicité par La Croix pour expliciter les propos tenus par le Pape en la matière. Le quotidien catholique répond alors à la demande formulée par une partie de son lectorat charismatique de ”nettement distinguer le retour du sacré et le renouveau spirituel” 1639 . Mené conjointement par Yves de Gentil-Baichis et Georges Mattia, l'interview pointe la double critique papale à l'encontre de toute prière intéressée et du charisme des guérisons. Point par point, l'évêque de Saint-Claude s'applique à nuancer l'analyse proposée par La Croix afin d'insister sur l'insertion totale des intuitions charismatiques dans la dynamique missionnaire de l'Église.

Avec dix ans de recul, après un transfert à Marseille et la convocation d'un synode diocésain, le père Coffy voit dans l'émergence des mouvements charismatiques une occasion pour l'Église conciliaire de procéder à son autocritique. ”On a peut-être dit un peu vite, après le concile, qu'il suffisait d'une réforme pour que les gens s'engouffrent dans les églises. Mais la conversion c'est tout autre chose que la mise en place d'une réforme. Or, les membres du Renouveau ont une intuition intéressante quand ils disent ”ne parlons pas de Dieu mais parlons à Dieu”” 1640 . Pour Paul Valadier, le père Coffy incarne une mutation intellectuelle radicale d'une partie déçue de l'épiscopat par l'action catholique. Intervenant dans le bulletin du centre catholique des médecins français, Médecine de l'homme, de janvier-février 1987, l'archevêque de Marseille développe une théologie relative aux phénomènes de guérisons miraculeuses 1641 . La réunion, autour de Mgr Duchêne, les 23 et 24 novembre 1987, d'une quarantaine de représentants des groupes de prières et communauté du Renouveau charismatique est l'occasion pour les évêques de constater combien guérisons comme conversions sont centrales dans la vie des communautés. Unanimes sur la nécessité d'accueillir le souffle charismatique dans la dynamique de l'Église missionnaire, les évêques de France restent relativement réservés sur le diagnostic à dresser quant à son insertion réelle dans l'Église en France au seuil de la décennie 1990.

Reste que par le jeu des nominations épiscopales, la conférence épiscopale évolue sensiblement vers un profil toujours plus ouvert au Renouveau. L'enquête menée par Catherine Grémion et Philippe Levillain pour la publication de leurs Lieutenants de Dieu est riche en enseignement. La sociologue et l'historien insistent sur les deux nominations de Mgr Bagnard, supérieur du séminaire de Paray-le-Monial, à la tête du diocèse de Belley 1642 et du dominicain Albert de Monléon, pionnier du mouvement charismatique en France aux côtés de l'Emmanuel 1643 .

Notes
1636.

Philippe Warnier, ”Vous avez dit : communautés nouvelles ?”, La Croix, 22 décembre 1987

1637.

Ibid

1638.

Georges Mattia, ”Prier sans déserter le monde”, La Croix, 24 janvier 1987

1639.

Yves de Gentil-Baichis & Georges Mattia, ”Le renouveau spirituel : un dynamisme positif”, La Croix, 17 mars 1987

1640.

Yves de Gentil-Baichis, ”Il y a du religieux dans la vie des gens”, La Croix, 28 et 29 février 1988

1641.

Yves de Gentil-Baichis, ”La paix du cœur peut guérir”, La Croix, 10 janvier 1987

1642.

Voir biographie, DC, 1946, 6 septembre 1987, page 879

1643.

Catherine Grémion & Philippe Levillain, ”Les évêques français sous Jean-Paul II”, Le rêve de Compostelle, Paris, Centurion, 1989, pp. 71-89