B/ La dyarchie Decourtray-Lustiger : échec à la collégialité

L’année 1988 révèle avec acuité l’importance de deux personnalités du catholicisme français : les pères Lustiger et Decourtray. Ces derniers occupent le devant de la scène médiatique catholique depuis leurs transferts respectifs à Paris et Lyon. Le 18 mars 1985, Mgr Decourtray est l'invité de L'Heure de vérité. Neuf jours après, c'est au tour du cardinal Lustiger d'être interrogé dans le cadre de l'émission Midi-presse sur TF1. Pour Etienne Borne, ”l'Église revient en force lorsque dans l'évêque, le docteur et le pasteur ne font qu'un. Avec un père Decourtray et un père Lustiger, l'Église de France est de retour” 1699 .

Dès lors, l’évocation de l’un ne peut se faire sans l’autre. Ainsi, en est-il du portrait que dresse Bernard Stephan du cardinal Decourtray au lendemain de son élection à la présidence de la conférence épiscopale 1700  :

‘L’élévation au rang de cardinal du père Decourtray puis son accession à la tête de la conférence épiscopale l’impose sur le devant de la scène médiatique. Entre le cardinal Lustiger et lui, existe une connivence sinon théologique, du moins de cœur. Ils ont marché ensemble à Auschwitz en 1983, là où mourut la mère du cardinal de Paris. En fait, les rôles des deux hommes-clés de l'épiscopat français ne sont pas concurrents, ils sont complémentaires. Jean-Marie Lustiger décide à Rome ce qu'il estime bon pour l'Église de France ; Albert Decourtray, héritier de la tradition missionnaire de cette Église, traduit à Lyon et en français les directives romaines. Ceci l'autorise à user d'une marge de manœuvre étroite dans la conduite des affaires de l'épiscopat, dans le dialogue et la communion avec Rome. Marge de manœuvre étroite qu'il peut mettre à profit pour créer un espace avec ses contradicteurs.’

En mai 1987, Olivier Mongin s'insurge dans Esprit sur la place prépondérante accordée à l'archevêque de Paris dans les débats de sociétés : ”Pourquoi devrait-il être quasiment le seul catholique habilité - avec Mgr Decourtray comme éventuelle roue de secours – à intervenir dans la presse ou la télévision ?” 1701 . Un an après, l’interpellation prend tout son sens tandis que les deux cardinaux déchaînent une vague d’anticléricalisme.

Notes
1699.

Etienne Borne, ”L'église de France est de retour”, La Croix”, 30 mars 1985. Yves-Marie Hilaire évoque pour sa part ”le renouveau du magistère”. Gérard Cholvy & Yves-Marie Hilaire, Histoire religieuse de la France contemporaine 1930-1988, Paris, Privat, 1988, pp. 462-470

1700.

Bernard Stephan, ”Albert Decourtray, homme des carrefours”, Témoignage chrétien, 2262, 16 novembre 1987

1701.

Olivier Mongin, ”Lustiger… Et les autres ?”, Esprit, 126, mai 1987