Mgr Lustiger, le wojtylien

Né le 17 septembre 1926 à Paris, l’archevêque de Paris constitue la figure phare de l’épiscopat des années 1980. Lorsque Jean-Paul II le désigne, le 10 novembre 1979, comme successeur du père Riobé à la tête du diocèse d’Orléans, Mgr Lustiger suscite un engouement éditorial particulièrement affirmé depuis La Croix jusqu’à TC en passant par Le Monde et Les informations catholiques internationales 1746 . L’ancien curé de la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal à la porte de Saint-Cloud est salué pour son envergure intellectuelle sanctionnée par la publication de ses sermons aux éditions Fayard 1747 . L’essentiel n’est cependant pas là. Converti au catholicisme en août 1940, Aaron Lustiger revendique explicitement sa judéité 1748 . Son transfert à l’archevêché de Paris le 2 février 1981 impose Mgr Lustiger au cœur du dispositif épiscopal, mais aussi intellectuel français. ”Moins de quarante ans après les insultes de la collaboration contre le ”talmudiste” Gerlier, accusé de protéger les persécutés, la nomination à l’archevêché de Paris d’un enfant d’Israël constitue en elle-même un événement historique de première grandeur”, relève Etienne Fouilloux 1749 . La singularité de cet itinéraire travaille la conscience historique du père Lustiger qui incarne une figure originale de l'Église catholique 1750 .

‘Ce que je constate, c'est que je suis porteur de beaucoup plus de significations que ma personne elle-même. Ce n'est pas seulement l'individu que je suis qui est en jeu, c'est tout ce dont je suis chargé historiquement. Je vois bien que, pour beaucoup de chrétiens, le geste qui a consisté à me donner des responsabilités aussi voyantes est pour eux un rappel de cette réalité historique et spirituelle que j'ai appelée ”les racines”.’

Lors de son ordination épiscopale, Mgr Lustiger ne prend que très peu la parole. A cette occasion, il évoque le sacerdoce qu'il présente comme n'étant ”ni une aventure, ni un risque, ni un pari, mais un acte de Dieu” 1751 . C'est à cette occasion que Mgr Marty insiste sur la charge épiscopale 1752 :

‘Le ministère de la parole est peut-être aujourd'hui plus urgent que jamais. Malheur à nous si l'église devenait la grande muette ! Avec humilité, mais sans fausse honte, le peuple chrétien doit proposer les béatitudes, annoncer l'Evangile. Tout l'Evangile, rien que l'évangile’

Le 3 février 1981, Henri Fesquet commente en première page du Monde, la nomination du nouvel archevêque de Paris. ”Partout le père Lustiger se fait remarquer par l'authenticité de sa vie spirituelle et sa volonté de ne pas se laisser enfermer par des tendances traditionnelles ou progressistes dont il reçoit tour à tour des marques de méfiance” 1753 . L'analogie avec Jean-Paul II ne manque pas d'être faite, Henri Fesquet évoquant ”une sorte de connivence entre Mgr Lustiger et le pape sur le plan doctrinal et apostolique, une fermeté et une indépendance d'esprit communes aux deux hommes” 1754 .

Dès son installation à Paris, le père Lustiger donne la priorité aux prêtres 1755 , à la paroisse et au secteur géographique plutôt qu'aux aspects spécialisés de la mission d'évangélisation qui font partie de l'héritage de Mgr Marty et de ses prédécesseurs. Au cours de la réunion générale des prêtres du diocèse réunis le 18 septembre 1981, le père Lustiger annonce la constitution de deux conseils épiscopaux avec un conseil restreint composé de sept vicaires généraux et un conseil élargi de 17 vicaires épiscopaux. ”Pendant que la pastorale exclusivement centrée sur la paroisse, avec une autorité plus ferme de l'évêque, certains se sont réjouis comme d'une revanche sur les structures précédentes. La réalité est différente”, relève Félix Lacambre indiquant que cette réorganisation est proposée à titre expérimental. Charge au diocèse de procéder à son évaluation après un an d'exercice 1756 . Enfin, un conseil de théologiens est également envisagé dès la fin de l'année 1981. Le père Lustiger souhaite simplifier la structure décisionnelle du diocèse avec une délégation directe des responsabilités aux vicaires épiscopaux aux dépens des relais intermédiaires. Pour Le Monde 1757 ,

‘Tout dépendra des hommes choisis pour représenter l'archevêque, car cette ”simplification” du système pourrait aussi provoquer une reprise en main 1758 . Plus discutable, en revanche, est la priorité redonnée par Mgr Lustiger à la structure paroissiale géographique aux dépens des nouveaux lieux d'accueil installés dans les grands ensembles et les centres culturels - ces ”espaces de libertés” qu'appellent de leurs vœux les auteurs de Paris, où va ton Église ?

Tandis que Mgr Vilnet est triomphalement élu à la tête de la conférence épiscopale, le journal La Croix préfère réserver ses colonnes au nouvel archevêque de Paris. Le journal interpelle à cette occasion l'ancien aumônier sur la place des jeunes dans la société. Le père Lustiger révèle alors son style tranché emprunt d’allusions apocalyptiques 1759 :

‘Ils savent qu'ils ne sont pas aimés, ni désirés pour eux-mêmes et qu'ils n'ont pas leur place. Donc, ils n'ont pas envie de prendre les valeurs que nous voudrions leur transmettre, car ils sentent bien que ces valeurs les rejettent.
Si on veut que la jeunesse ait la foi, il faut d'abord qu'elle soit aimée.
Mais je veux souligner un second point, les générations actuelles sont blessées.’

Un an après, c’est au tour du Monde d’inviter l'archevêque de Paris à s’exprimer et procéder à un bilan de son action à la tête du diocèse de Paris. Dans cet entretien, Mgr Lustiger s'attache à inscrire sa pastorale en continuité avec son prédécesseur en écartant cependant l’hypothèse d’une pastorale d'ensemble à l’image de celle mise en œuvre sous l'épiscopat du père Veuillot. Archevêque d'une mégalopole, le père Lustiger nourrit sa réflexion pastorale de références architecturales et urbanistiques. ”Le bouleversement de l'urbanisme, souvent sauvage et toujours sélectif, crée une nouvelle mentalité et de nouveaux centres. Un autre type d'occupation de l'espace par des activités de travail, de commerce et de loisir est apparu, qu'il faut considérer non pas comme une désertification mais comme un nouveau mode de fréquentation de la ville” 1760 . Les initiatives diocésaines doivent prendre en compte les dynamiques de la population parisienne. La régionalisation puis la constitution des départements parisiens tendent à fixer à outrance le clergé dans son diocèse. La quasi-simultanéité des événements du concile Vatican II et de mai 1968 est également à considérer pour définir le profil de l'Église parisienne.

L'analyse sociologique n'a cependant pas le dernier mot. Avec vingt ans de recul, le cardinal Lustiger précise sa démarche initiale pour La Croix. ”Depuis longtemps, j'avais réfléchi aux travaux de la sociologie urbaine et religieuse. Celle-ci ne peut pas atteindre la réalité des personnes, de leur volonté, de leur liberté. Jésus bâtit son Église avec des pierres vivantes, c'est à dire des personnes libres assemblées dans l'amour par l'Esprit” 1761 . A la catégorisation en milieux ou en classes, l'archevêque répond par une analyse en termes de communion et d'union de l'Église. ”L'évêque reçoit comme une mission et souvent un fardeau, le rôle symbolique 1762 , public 1763 , autant que privé, de serviteur concret de cette unité” 1764 . De la même manière, le père Lustiger substitue le terme de baptisé à celui de laïc dont la source est la foi et le mode d'action est la charité.

En septembre 1982, La Lettre consacre un numéro à ”L'Église de Paris” sous forme de bilan des 500 premiers jours de Mgr Lustiger à la tête du diocèse. Les auteurs du dossier s'attachent à mieux saisir la pensée et la personnalité du nouvel archevêque à travers l'analyse de ses discours et de ses écrits. Derrière la modernité du langage, Mgr Lustiger dissimulerait ”une option pour l'Église de Paris et une conception du christianisme très conservatrice” selon laquelle l'Église aurait ”toutes les réponses, essentiellement morales, aux affres de ce temps”, écrivent Michel Seruzier et Jean-Bernard Jolly 1765 . Témoignage chrétien se démarque des appréciations d'un dossier aux ”allures quelque peu pamphlétaires” 1766 . Le Monde reprend des extraits du dossier dans son édition du 5 octobre. Agnès Rochefort-Turquin y dénonce la mise à l'écart du père Alain de la Morandais, rédacteur en chef des informations internationales sur Radio Notre-Dame au profit de Jean Bourdarias, chroniqueur religieux du Figaro 1767 .

Décrié, l’archevêque de Paris se forge une réputation d’intellectuel 1768 . Maniant les corpus philosophique et anthropologique, le discours cardinalice prend quelques traits à la tradition contre-révolutionnaire. ”Je suis à l'aise avec ceux qui pensent librement et parlent clairement s'ils savent respecter leur interlocuteur. Mgr Pézeril me disait avec humour que j'avais une sensibilité laïque et non cléricale de la parole de Dieu”, indique Mgr Lustiger 1769 . De ses années sorbonnardes, l'archevêque de Paris conserve des liens privilégiés avec Paul Ricoeur, René Rémond, Yves-Marie Hilaire, Miklos Vetö, Renée et François Bedarida 1770 . Nommé évêque, celui-ci élargit son cercle au philosophe Jean-Luc Marion, à Jean Duchêne et Dominique Wolton ”qui jouent le rôle de francs-tireurs et de ”rabatteurs” d'hommes et d'idées. Ainsi l'archevêque de Paris est-il entré en relations avec François Furet et Michel Serres, les philosophes Luc Ferry et Michel Henry ou encore le linguiste Greimas” 1771 .

Dans son dialogue avec la modernité, Mgr Lustiger emprunte au pessimisme de l'encyclique Quanta cura (1864) qui inscrit le tragique de la société contemporaine dans le triomphe de l'athéisme des Lumières au détriment d'une société fondée sur un lien social chevillé à son empreinte divine. ”On a bien perdu, pendant des siècles, la clé des hiéroglyphes et d'autres écritures appartenant à des civilisations dès lors mortes. Pourquoi les prochaines générations saoulées d'ignorance et de performances, ne perdraient-elles pas la clé de l'Occident ?” s'interroge l'archevêque de Paris 1772 . A la veille des commémorations du bicentenaire de la Révolution française, Mgr Lustiger restaure pour partie la rhétorique intransigeante selon laquelle la société trouve ”son identité et sa cohérence” 1773 .

Convaincu que la responsabilité épiscopale C'est dans le droit fil du décret Optatam Totius du 28 octobre 1965, de la redéfinition de la formation sacerdotale. ”Contrairement à l'avis de plusieurs de ses confrères qui n'en finissent pas de s'interroger sur ”l'ecclésiologie” et le type de ”relation au monde” qu'implique ”le profil du prêtre de demain”, il croit, certes, que la sélection ne doit pas se faire en fonction de la nostalgie du passé - qui séduit les traditionalistes -, mais qu'elle ne doit pas non plus s'effectuer ”en prévision d'un avenir qui déjoue souvent les pronostics, car la modernité est capricieuse” ” 1774 . Lors de son intervention au synode romain sur la réconciliation (1983), Mgr Lustiger suggère au secrétariat du synode une réflexion pessimiste sur le dialogue entre l'Église et le monde 1775 :

‘Nous sommes entrés dans un temps d'extrême violence qui culmine dans la menace d'autodestruction de l'humanité : Les hommes doutent qu'un acte personnel puisse conjurer de telles forces collectives. […]
Nous sommes entrés dans un temps où la raison humaine a voulu ériger la dialectique des conflits en loi scientifique du progrès de l'histoire : les hommes doutent de l'efficacité de l'amour personnel qui fait miséricorde. […]
Nous sommes entrés dans un temps de massification où chacun éprouve un sentiment d'impuissance et d'irresponsabilité à l'égard du destin collectif : les hommes doutent que l'offrande secrète de leur liberté soit irremplaçable pour l'humanité. […]
Nous sommes entrés dans un temps de culpabilité collective : les hommes doutent qu'une parole personnelle de repentance puisse avoir une signification quelconque.’

Cette relecture qu'offre l'archevêque de Paris de l'ère contemporaine ne fait pas l'unanimité dans l'épiscopat 1776 . Elle n’en demeure pas moins largement relayée par les médias. Ainsi, les élections européennes de 1984 sont-elles l’occasion pour La Croix d’obtenir un long entretien du cardinal. qui déplace le débat économique et politique sur un plan historique et culturel. Réhabilitant le concept d'Europe centrale, de l'Atlantique à l'Oural, le père Lustiger reprend la ligne papale insistant sur la nécessité de ”reprendre la mesure culturelle et historique de l'Europe, dans sa part cachée à nos yeux : l'Europe centrale, éclatée ou disparue, et l'Europe de l'Est y compris la Russie qui fait partie du patrimoine historique de l'Europe, de sa culture”. Et de citer Kundera pour ériger le christianisme comme la matrice de l'occident, productrice de la rationalité technicienne et l'universalisme planétaire, souvent pervertis aujourd'hui. Pour le cardinal, la crise de l'Europe est une crise chrétienne. Seule la redécouverte de la foi peut ”apporter un remède spécifique à nos problèmes les plus actuels. C'est par la foi que nous pouvons nommer le mensonge homicide qui divise l'Europe, l'asservit ou l'aveugle quand il prend le masque de la dialectique du matérialisme et de l'idéologie”. Les événements d'Europe de l'Est agissent comme en miroir : ”On ne peut pas étouffer indéfiniment les gens. Il faut parler. Il y a toujours des gens qui parlent (…) On ne peut étouffer l'ancienne culture qui fait partie de la Russie actuelle. Il est important de ne pas être complice de cet étouffement et de nommer la violence qui arrache l'Europe à elle-même” 1777 .

L’originalité de la réflexion intellectuelle du cardinal appelle nécessairement de sensibles aménagements dans la pastorale parisienne tant au plan des acteurs que des structures. Ainsi le 27 avril 1986, le père Philippe Béguerie, curé de la paroisse Saint-Séverin, annonce à ses paroissiens son départ de la paroisse pour laisser la place à une communauté de séminaristes. Un article consacré à ”L'Église de Paris et les vocations” dans le bulletin diocésain Paris Notre-Dame a auparavant diffusé la nouvelle dans l'ensemble du diocèse. La décision intervient de façon abrupte. L'équipe de prêtres - deux à plein temps et quatre ayant d'autres activités - ainsi que les 15 laïcs du conseil pastoral se trouve devant le fait accompli lorsque le père Pézeril les informe tardivement de la décision de l'archevêché. Une bonne partie des prêtres quitte alors la paroisse. ”On peut prendre ces départs comme un désaveu”, rapporte La Croix. Vicaire épiscopal, directeur des œuvres des vocations, le père de Germiny est nommé nouveau curé de Saint-Séverin.

La mesure touche une paroisse particulièrement sensible du tissu paroissial parisien. Celle-ci s'illustre par un grand dynamisme au travers de sa vingtaine de groupes de ”découverte de la foi” et une intense recherche en matière liturgique. Outre cet avant-gardisme pastoral, Saint-Séverin offre la particularité d'être la paroisse accueillante des paroissiens de Saint-Nicolas-du-Chardonnay privés de leur Église par les intégristes. Pour Mgr Coloni, ”c'est un projet positif qui honore la communauté de Saint-Séverin - Saint-Nicolas”. Or pour Dominique Quinio, ”à un moment où l'on insiste sur la responsabilité de tous - prêtres et laïcs - dans la vie de l'Église, on aurait pu faire l'économie de ce hiatus. Notamment à cet échelon de la paroisse, où dans de nombreux lieux en France se joue une véritable coresponsabilité” 1778 .

Confronté à l'action catholique, la théologie du cardinal Lustiger ”distingue les ordres et ne trouve pas, en effet, dans l'engagement temporel du chrétien le lieu de la fidélité à Dieu, mais elle centre cette fidélité sur le culte à partir duquel peut se déployer l'activité du chrétien”, relève le père Valadier 1779 . ”Le cardinal ne paraît pas soupçonner qu'on pourrait adresser à sa propre position le reproche de s'enfermer dans un redoutable dualisme et qu'en privilégiant le culte, non seulement le cléricalisme n'est pas loin mais que la vocation spécifique du laïc n'est pas nécessairement respectée ni reconnue”, poursuit le directeur de la revue Etudes 1780 .

‘La théologie du cardinal postule également un rapport ambigu à la modernité. ”La foi oui, mais sous le contrôle de la foi. Une société politique démocratique oui, mais sous l'encadrement du christianisme ou, selon une formule redoutablement vague, ”le primat de Dieu sur toutes choses humaines” 1781 . Ce n'est pas du traditionalisme, mais le projet politique et social sous-jacent reste incertain, contestable pour autant qu'on l'entrevoie. Ses effets sur la théologie expliquent assez certaines options pastorales du cardinal quant à la formation des séminaristes et ses réserves à l'endroit d'une théologie qui croirait pouvoir entrer franchement en débat avec les rationalités modernes, ou y chercher un renouvellement de problématique.’

En 1987, le cardinal Lustiger remodèle le diocèse de Paris, reprenant la carte des doyennés de Paris dressée par le cardinal Feltin en 1962 en vue de faciliter une plus étroite collaboration et de favoriser l'accord des recherches et des initiatives pastorales” 1782 . Mais pour l'archevêque de Paris, ce nouveau schéma n'est pas un recours à la désertification religieuse de la capitale. ”Il n'y a pas disparition de la religion sur le terrain parisien mais la renaissance d'une vie chrétienne avec des éléments nouveaux”. Lorsqu'il procède au remodelage du diocèse de Paris en 1987, Mgr Lustiger confie les secteurs à ses six vicaires généraux parmi lesquels de futurs évêques : les chanoines André Vingt-Trois, pour Paris-rive droite, et Thomazeau, pour Paris-rive gauche. L'abbé Michel Pollien se voit confier Paris-Sud-Est.

Cette même année, la sortie de son livre entretien, Le Choix de Dieu est un véritable événement pour la scène catholique française. La Croix y consacre les deux premières pages intérieures de l'édition du 3 décembre. ”Ses grandes intuitions religieuses s'organisent autour d'un axe central : Dieu est Dieu. Seul, il peut sauver l'homme en perdition. Jean-Marie Lustiger est très sensible à la dimension profondément dramatique de l'existence humaine. Il aime souligner que la liberté de l'homme peut, à tout instant, basculer vers l'abîme. Ne sommes nous pas tous capables de vouloir le mal ?” 1783

”Très réactif, il est bon dans la controverse et bien meilleur que dans des émissions plus officielles. Le cardinal fait partie de ces personnalités dites du ”deuxième cercle” qui n'appartiennent pas directement au sérail politique. Si la télé a raison de s'intéresser à elles, elle devrait également définir des règles et des maquettes d'émissions différentes selon les types d'acteurs. Elle ne le fait pas assez. On ne peut pas mettre cet homme dans les mêmes conditions de débat qu'un ministre ou un leader politique”, déclare Dominique Wolton à la veille de la diffusion des deux émissions entretiens avec le cardinal Lustiger, menée avec Jean-Louis Missika 1784 . Invité de l'émission Sept sur Sept le dimanche de Pâques 1989, le cardinal Lustiger attire l’attention du journal Le Monde qui lui consacre une long commentaire 1785 :

‘Cette omniprésence du " sacré ", dont on annonce la fin et qui resurgit toujours, est la trame de toute son analyse sur le Bicentenaire de la Révolution et des droits de l'homme, sur Auschwitz, et sur l'Islam qu'”il faut respecter et apprendre à connaître, au risque d'assister à de nouvelles ratonnades”.
Le cardinal Lustiger règle des comptes avec le dix-huitième siècle, siècle des Lumières, mais qui a ”inventé le concept de race” (Gobineau). Il cite longuement François Mauriac, qui, préfaçant la Nuit d'Elie Wiesel (1958), fait remonter les racines du génocide au triomphe de la Raison sur le sacré. ”Il y a dans l'homme quelque chose de sacré qui est son droit fondamental, souligne l'archevêque de Paris. Il faut dire à l'Occident que, pour défendre le droit et la légalité, il faut être aussi capable de respecter la réalité religieuse fondamentale qui concerne tous les hommes de tous les pays et de toutes les religions. A-t-on le droit de tourner en dérision le fait religieux ?”
Par des amalgames parfois rapides, le cardinal Lustiger aura sans doute irrité plus d'un téléspectateur. Entre le ton de la colère et celui de la méditation grave qui ont alterné tout au long de cette émission, il y a sans doute place pour une réflexion sereine entre deux affaires retentissantes...’

Mgr Lustiger reprend sensiblement la ligne de Jean-Paul II mise en valeur par Danièle Hervieu-Léger, consiste à ”faire jouer la marginalité culturelle de l'Église 1786 à l'envers, comme anticipation prophétique d'un dépassement possible d'une modernité désormais incertaine d'elle-même...” 1787 .

Notes
1746.

Brigitte André, ”Jean-Marie Lustiger : intellectuel et homme de terrain”, ICI, 545, décembre 1979 ; Brigitte André, ”Orléans : un diocèse à conquérir”, ICI, 545, décembre 1979 ; Pour sa nomination au siège de Paris, Témoignage chrétien titre par une adresse au nouvel archevêque : ”Bon vent Jean-Marie Lustiger !”. Saluant en l'ancien curé de Jeanne-de-Chantal, ”un homme de la Parole”, Georges Montaron lui accorde un a priori favorable. Georges Montaron, ”Un homme de la Parole”, Témoignage chrétien, 1909, 9 février 1981

1747.

Jean-Marie Lustiger, Sermons d’un curé de Paris, Paris, Fayard, 1978

1748.

Le 4 février 1981, Mgr Lustiger indique, ”je suis né juif et je le resterai même si cela est inacceptable pour beaucoup”. Trois mois après, René Samuel Sirat s'installe Grand Rabbin de France le 5 avril. A cette occasion, celui-ci reprend les mots de l'archevêque de Paris pour avancer à l'inverse qu'on ”ne saurait sans abus de langage parler de religion judéo-chrétienne. On est juif ou on est chrétien”. La Croix apprécie ces échanges verbaux comme les marqueurs d'une évolution des deux mémoires religieuses du judaïsme et du christianisme contemporain. ”Après une période de relations entre les deux confessions marquées par le souvenir de l'holocauste et le combat contre la renaissance de l'antisémitisme, le dialogue désormais portera aussi sur l'approfondissement des questions fondamentales qui distinguent judaïsme et christianisme”. Jean Potin, ”Peut-on être juif et chrétien ?”, La Croix, 11 avril 1981

1749.

Etienne Fouilloux, ”Lustiger Jean-Marie (1926- )” in Encyclopédie du christianisme, Paris, Universalis, 2001, pp. 613-616

1750.

Mgr Lustiger, ”Puisqu'il le faut…”, Le Débat, n°20, mai 1982. Interview par Y. Ben Porat et D. Judkowski du journal Yediot Haharonot à Tel-Aviv, des 6, 15 et 21 janvier 1982.

1751.

Marguerite Laforce, ”L'ordination épiscopal du P. Lustiger”', La Croix, 11 décembre 1979

1752.

Ibid

1753.

Henri Fesquet, ”Mgr Lustiger devient archevêque de Paris”, Le Monde, 3 mars 1981

1754.

Ibid

1755.

Le père Lustiger présente ses projets en octobre 1981 au cours d'un séminaire à Issy-les-Moulineaux

1756.

Félix Lacambre, ”Paris : une nouvelle organisation du diocèse”, La Croix, 23 septembre 1981

1757.

Alain Woodrow, ”Une reprise en main ?”, Le Monde, 7 novembre 1981

1758.

Le père de Laclaux est remplacé à la tête de la direction des aumôneries de l'enseignement d'Etat. Le père Albert Rouet le remplace. Dans Le Monde, Alain Woodrow évoque une ”reprise en main” dans le diocèse de Paris. Le Monde, 25 & 26 octobre 1981

1759.

Yves de Gentil-Baichis, ”Les jeunes n'ont pas leur place dans la société”, La Croix, 31 octobre 1981

1760.

Henri Fesquet & Alain Woodrow, ”Un entretien avec Mgr Lustiger : Mon premier but est d'établir un minimum de consensus”, Le Monde, 10 avril 1982

1761.

Jean-Marie Guénois & Mgr Lustiger, ”Le seul programme de l'Église, c'est le Christ”, La Croix, 5 mars 2001

1762.

Le père Lustiger développe un soin particulier à développer une liturgie évocatrice. En 1981, lors de la célébration du jeudi saint, celui-ci lave les pieds de 12 prêtres en la cathédrale Notre-Dame. Anonyme, ”Jeudi saint à Notre-Dame de Paris”, La Croix, 18 & 19 avril 1981

1763.

Élevé au cardinalat deux ans après sa nomination à Paris, Mgr Lustiger reçoit le président de la République dans sa résidence rue Barbet de Jouy. Une telle réception n'avait pas eu lieu depuis que le cardinal Feltin pour son accession au cardinalat en 1952 avait invité 1 500 personnes. Retour à une activité mondaine de l'Église ?”, s'interroge Témoignage chrétien. Près de deux cents représentants des corps constitués sont présents à la réception.

1764.

Henri Fesquet & Alain Woodrow, ”Un entretien avec Mgr Lustiger : Mon premier but est d'établir un minimum de consensus”, op. cit.

1765.

”L'Église de Paris : les 500 premiers jours de Mgr Lustiger”, Lettre, 285-286

1766.

Anonyme, ”L'Église de Paris”, Témoignage chrétien, 2002, 22 novembre 1982

1767.

Alain Woodrow, ”Paris et Rome sous les feux de la critique”, Le Monde, 5 octobre 1982

1768.

”Cet intellectuel bardé de philosophie, qui reçoit à sa table d'archevêque Glucksmann, Leroy-Ladurie ou Jean Daniel, est aussi un homme d'action”, relève Henri Tincq dans La Croix. Henri Tincq, ”Jean-Marie Lustiger, l'inclassable”, La Croix, 24 avril 1984

1769.

Jean-Marie Guénois & Mgr Lustiger, ”Le seul programme de l'Église, c'est le Christ”, op. cit.

1770.

En atteste le colloque organisé pour les vingt ans d'épiscopat parisien de l'archevêque dont les actes sont réunis dans un ouvrage collectif : Collectif, L'Église à venir, Paris, Flammarion, 2001,

1771.

Henri Tincq, ”Le cardinal Lustiger remplacera Mgr Decourtray à l'Académie française”, Le Monde, 17 juin 1995

1772.

Mgr Lustiger, ”Le christianisme reste l'un des ressorts fondamentaux de notre société civile”, Le Monde, 5 octobre 1988 ;

1773.

Ibid

1774.

Yves-Marie Hilaire, ”La formation des prêtres du XXIe siècle”, L'Église à venir, Paris, Flammarion, 2001, page 288

1775.

Anonyme, ”Le cardinal Lustiger : Plaidoyer pour la responsabilité”, La Croix, 7 octobre 1983

1776.

Sur ce point, la parole de l'Église catholique en matière de morale sexuelle est notamment contestée par Mgr Mondésert, évêque auxiliaire de Grenoble :

On a comme l'impression que l'Église, sous couvert de condamner l'égoïsme, la recherche effrénée du plaisir ou de l'hédonisme, condamne d'un bloc l'aspiration de nos contemporains au bonheur. Comme si elle avait du mal à considérer que l'individualisme contemporain a aussi ses richesses et témoigne à sa manière de la grandeur de l'homme, de sa croissance vers l'autonomie et la liberté.

Dans le même sens, je pense que notre Église n'a pas suffisamment mesuré combien l'apport des Lumières a été bénéfique pour les mentalités, pour elle-même aussi. Même s'il faut, bien entendu, discuter les affirmations des philosophes de l'époque, même si la Révolution française a engendré des excès, il reste que ce mouvement d'affirmation de la liberté, de la conscience, de la raison revendiqué par les Lumières a profondément imprégné notre culture. Jusqu'à aujourd'hui. […]

Sans doute suis-je bien d'une certaine manière fils des Lumières… Mais, pour ma part, je n'ai jamais compris que dans les discussions conciliaires les évêques achoppent sur cette question. Reconnaître la liberté de conscience individuelle m'est toujours apparu comme préalable à toute proposition de foi.

Mgr Mondésert, Libres propos sur l'Église, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, pp. 72-73

1777.

Anonyme, ”L'Europe et ses racines chrétiennes”, Témoignage chrétien, 2074, 9 avril 1984

1778.

Dominique Quinio, ”Nouvelle mission pour Saint-Séverin”, La Croix, 27 mai 1986

1779.

Paul Valadier, ”Les choix de Jean-Marie Lustiger”, Témoignage chrétien, 2268, 28 décembre 1987

1780.

Paul Valadier, ”Les choix de Jean-Marie Lustiger”, op. cit.

1781.

Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, Paris, Fallois, 1987, page 231

1782.

Yves de Gentil-Baichis, ”S'adapter à la vie urbaine”, La Croix, 10 septembre 1987

1783.

Yves de Gentil-Baichis, ”Une personnalité incontournable”, La Croix, 3 décembre 1987

1784.

Henri Tincq, ”L'album de famille de Mgr Lustiger”, Le Monde, 8 février 1988. 1988 est une année faste pour l'archevêque de Paris. Celui-ci multiplie les interventions médiatiques. Le 2 avril 1988, il est le rédacteur en chef du ”journal inattendu” de RTL avec Jean-Claude Larrivoire.

1785.

Henri Tincq, ”Le courroux du cardinal”, Le Monde, 28 mars 1989

1786.

Pour être chrétien à Paris, il faut le vouloir. Les conditions sont plus dures, plus exigeantes et plus austères qu'en province, pour les chrétiens qui veulent vivre leur foi. A Paris, il suffit de tourner la tête pour tout oublier. Le christianisme n'est plus porté socialement. Il faut être porteur pour avoir la foi. Anonyme, ”Mgr Lustiger, un an après sa nomination”, La Croix, 27 février 1982

1787.

Collectif, Voyage de Jean-Paul II en France, Paris, Le Cerf, 1988, 195 pages. Au lendemain du synode extraordinaire de 1985, le cardinal Lustiger prévient : ”l'absence d'un discours sur la croix vient finalement de l'inconscience ou de l'aveuglement de ceux qui, prisonniers de leur bien-être, ne perçoivent pas le malheur et le pêché qu'au travers de leur intime angoisse ou de leur culpabilité”. Yves de Gentil-Baichis, ”Revenir en arrière n'avait aucun sens”, La Croix, 10 décembre 1985