Mgr Gilson pour l’esquisse de médiation épiscopale

Le 29 juin, l'évêque du Mans reçoit six responsables de la campagne Témoignage chrétien pour ”une Église du dialogue, moins autoritaire et frileuse”. Prêtres, religieux, responsables de mouvements (MCR, MRJC…), services d'aumônerie et de catéchèse paraphent le manifeste. Le mouvement revendique 25 636 signatures. La Croix y voit ”un indice qu'un nombre non-négligeable de catholiques ne se reconnaissent pas ”dans des attitudes frileuses des plus hauts responsables de l'épiscopat et du Vatican”” 1900 . Deux signatures épiscopales émargent au bas du texte avec celles de Mgrs Gaillot et Lacrampe, prélat de la Mission de France. Signataires, ces derniers ne font cependant pas partie de la délégation que rencontre le père Gilson. Seuls, l’historien Jean Delumeau et Philippe Farine, fondateur du C.C.F.D, accompagnent le directeur de Témoignage chrétien 1901 .

Le mandat de l'évêque du Mans est restreint. Au terme des échanges, celui-ci ne s'exprime qu'en son nom propre et convient d'un malaise. Celui-ci n'est ”pas principalement une crise de communication ou de gouvernement”. Le père Gilson exprime alors son sentiment quant aux insuffisances de l'épiscopat dans la conduite de l'Église de France : ”le corps ecclésial s'est distendu. Les structures épiscopales ne sont plus adaptées. Nous n'avons plus d'instruments de mesure ni de cadre institutionnel qui nous permettent de réagir aux évolutions de la société et de l'Église”. L'évêque du Mans déplore également la pusillanimité de l'épiscopat français tant dans son dialogue avec les intellectuels contestataires qu’avec la commission Ecclesia Dei 1902 . Significativement, la rencontre intervient à la veille du premier anniversaire des sacres épiscopaux d’Ecône.

”Il ne s'agit pas d'organiser un collectif de contestataires, mais d'exprimer notre inquiétude devant des attitudes autoritaires dans l'Église et les départs, dans l'indifférence, de nombreux chrétiens”, déclare Georges Montaron 1903 . Un forum parisien du mouvement est annoncé pour le 21 octobre. Il s’agit d’opérer la jonction entre les intellectuels initiateurs du mouvement et ceux qu'ils désignent comme ”peuple de Dieu”. Or, l'enjeu est de taille ainsi que le suggère la lecture du courrier des lecteurs du Monde. Un certain malaise des militants catholiques se fait jour. Le 5 mai, le quotidien publie un courrier d'Eugène Descamps mettant en cause le manifeste de Témoignage chrétien 1904 .

Cette incapacité des chrétiens de gauche, pourtant aguerris par des années de militantisme, à fonder un mouvement populaire révèle un déracinement culturel patent de l'Église de France. Réduite comme peau de chagrin, la scène intellectuelle catholique connaît ses derniers soubresauts dans le sillage de la déclaration de Cologne. L'épiscopat français trouve sans doute une raison de sa relative discrétion dans le dialogue avec la modernité. Figure fuyante de l'Église de la fin des années 1980, l'intellectuel catholique épouse de plus en plus fidèlement les traits du ”troisième homme” 1905 .

Notes
1900.

Anne Ponce, ”Pour une opinion publique catholique”, La Croix, 1er juillet 1989

1901.

René Perrin, secrétaire général du CMR, D. Placé, secrétaire national JEC, A-M. Guian, ancienne secrétaire générale de l'ACGF et Philippe Villain complètent la délégation

1902.

Anne Ponce, ”Pour une opinion publique catholique”, op. cit.

1903.

Henri Tincq, ”La contestation dans l'Église catholique Les promoteurs de l'Appel des 25 000 préparent un forum”, Le Monde, 1er juillet 1989

1904.

”J'ai été surpris de ne point voir figurer parmi les premiers signataires d'Angleraud, Bouxom, Bottazzi, Peuziat ou autres militants issus de la JOC, exerçant ou ayant exercé d'importantes responsabilités syndicales ou politiques. L'absence de ces signatures peut donner à penser que ne réagissent que des intellectuels catholiques... alors que le refus de dialogue est vivement ressenti dans les milieux de l'Action catholique ouvrière (réputés d'une grande fidélité vis-à-vis de l'épiscopat) et chez bien des chrétiens du milieu populaire. La crise est sérieuse, elle déborde largement les théologiens ou intellectuels catholiques. Bien des laïcs qui voulurent témoigner d'une Église présente aux réalités de ce monde sont aujourd'hui désorientés et inquiets de leur Église”. Même marginale, telle assertion nous éclaire pourtant sur le contexte dans lequel évoluent les évêques de France à la fin des années 1980. Eugène Descamps, ”La contestation dans l'église”, Le Monde, 5 mai 1989

1905.

Théorisé en 1966 par François Roustang dans la revue jésuite Christus (52, octobre 1986). Au sortir de la réunion parisienne, Georges Montaron évoque ”une lente hémorragie des forces vives qui quittent l'Église sur la pointe des pieds”. Sorte d'aporie pastorale pour la génération épiscopale conciliaire, le troisième homme, dont le père Matagrin fait pour la première fois la rencontre au début de son épiscopat grenoblois avec un groupe d'amis de Témoignage chrétien ”s'éloigne sur la pointe des pieds. Il n'est pas en opposition, il n'est plus intéressé. Il garde quelque appartenance à l'Église, mais on ne sait pas laquelle” Mgr Matagrin, Le Chêne et la futaie, op.cit., p. 305