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Protestations de l’épiscopat français

Au terme de l'entretien auquel assistent les cardinaux Mayer et Ratzinger, le président de la conférence épiscopale française obtient la censure d'un document romain prévoyant de nouvelles facilités liturgiques pour les traditionalistes. Par ailleurs, la commission ”devra davantage tenir compte de l'avis des évêques qui sont au contact du peuple de Dieu” 1940 . Conformément au motu proprio Ecclesia dei du 2 juillet 1988 qui encadre la mission de la commission 1941 .

Au lendemain de la rencontre romaine, l'évêque de Chartres dénonce les ambiguïtés du processus de réintégration. Le père Kuehn est interrogé dans La Croix sur l'ouverture des portes de la cathédrale de Chartres aux pèlerins traditionalistes du centre Charlier 1942 :

‘Je ne peux juger le fond des cœurs. Mais je suis obligé de tenir compte du fait que leurs responsables ont dit qu'ils étaient tout à fait soumis à l'Église. Il y a un mois, ils sont venus s'excuser auprès de moi des calomnies me concernant qu'ils avaient répandues… Des excuses non publiques, elles, évidemment. La réalité me semble tout de même ambiguë, dans la mesure où ils donnent l'impression d'une absolue continuité dans leur démarche de pèlerinage, comme si c'était l'Église qui, elle, avait changé à leur égard.’

L'évêque n'hésite pas à critiquer le Vatican. ”Je constate un retour à un courant identitaire, mouvement soutenu par certains personnages à Rome qui poussent en ce sens” 1943 . Pour sa part, Mgr Thomas regrette qu’il ait été ”effectivement pratiqué une grande largeur de vue et fait de grandes concessions aux catholiques de sensibilité traditionnelle” 1944 . Tout en concédant par ailleurs la nécessité de faire la place aux diverses sensibilités du catholicisme, l'évêque de Versailles dénonce explicitement les méthodes de la commission Ecclesia dei 1945 .

La critique a d'autant plus de poids que l'évêque de Versailles trouve dans La Croix les moyens d'incarner, dans une certaine mesure, le catholicisme français. En effet, celui-ci est régulièrement sollicité par le quotidien catholique à la fin des années 1980 pour des commentaires liturgiques ponctuels à l'occasion des fêtes religieuses 1946 . Par ailleurs évêque coadjuteur de Mgr Simonneaux à Versailles, le père Thomas a été la cheville ouvrière du dialogue avec les intégristes de Port-Marly durant les incidents de l'année 1987 1947 avec le soutien indéfectible de son presbyterium 1948 .

Le père Thomas révèle avoir tenu un discours très ferme au cardinal Mayer lors de l’assemblée plénière 1988. ”Il m'a demandé s'il pouvait me rendre service dans le travail de réconciliation. […] Je lui ai répondu que le premier service à me rendre était de ne pas interférer dans les affaires de mon diocèse mais qu'il pouvait être le dernier recours auquel je pourrais m'adresser en cas de difficulté” 1949 . L'évêque de Versailles vient alors de trouver un accord de la communauté de Notre-Dame des Armées à Versailles - 800 à 1 000 personnes - pour une liturgie fondée sur des livres liturgiques de 1962. ”Elle devient peu à peu, une communauté catholique romaine qui n'est pas opposée au concile”, se réjouit-il en espérant en obtenir le même accord avec les occupants de l'église de Port-Marly.

Le 2 juillet 1989, Dom Gérard reçoit des mains du cardinal Mayer la bénédiction abbatiale, ainsi que l'anneau, la crosse et la mitre, signes de son nouveau rang épiscopal. Celui-ci devient ainsi le premier lefebvriste rallié au Pape promu évêque. Un millier de fidèles assiste à l'événement. Les supérieurs des grandes abbayes traditionalistes (Fontgombault dans l'Indre, Randol dans le Puy-de-Dôme) font le déplacement, ainsi que Mgr Tchidimbo, ancien archevêque de Conakry, réputé très conservateur, Bernard Antony, député européen du Front national, président du centre Charlier, Jean Madiran, directeur de Présent, ami de quarante ans de Dom Gérard, Patrice de Plunkett, rédacteur en chef du Figaro Magazine. Des abbayes moins traditionnelles sont également représentées avec Saint-Benoit-sur-Loire, La Pierre-qui-Vire, Aiguebelle, Sénanque. Restent des absents de taille avec l'abbé-primat des bénédictins et surtout celle de Mgr Bouchex. Selon le droit canon, l'archevêque d'Avignon, comme ordinaire du lieu, aurait dû conférer la bénédiction abbatiale à Dom Gérard. ”La date a été fixée par le Vatican. J'ai été prévenu trop tard”, déclare au Monde Mgr Bouchex, retenu par une cérémonie de confirmation 1950 . L'évêque délègue un vicaire général à la cérémonie. Aucun autre responsable de la conférence épiscopale n’a été invité. ”Nous n'avons pas voulu mettre l'épiscopat français en situation de devoir refuser notre invitation”, précise un responsable du Barroux cité par Le Monde 1951 .

Crise lefebvriste et fronde théologienne provoque l’église à une réflexion sur la liberté. Le printemps et l'été 1989 des Cahiers de Meylan sont consacrés à ce thème. Les trois livraisons successives des Cahiers trouve écho dans La Croix 1952 . Marcel Neusch saisit l’occasion définir la liberté selon les textes conciliaires. ”Le concile parlait de l'autonomie externe de la conscience, ce qu'on appelle l'immunité de contrainte. Mais tout en protégeant la ”liberté de consciences” contre toute coercition externe, il refusait de cautionner la ”liberté de conscience” 1953 . S'inscrivant dans le droit fil de l'enseignement de Pie XI, Marcel Neusch que la conscience ne peut prétendre se soustraire intérieurement à l'exigence de vérité et se défaire de l'obligation de la rechercher. Or, le commentateur prend acte du fait que ”dans l'Église, la liberté cherche encore son statut”. L'appel de Cologne fait résonner Gaudium et Spes et son enseignement. ”Qu'on reconnaisse aux fidèles, aux clercs comme aux laïcs, une juste liberté de recherche et de pensée, comme une juste liberté de faire connaître humblement et courageusement leur manière de voir, dans le domaine de leur compétence” (GS, n. 62). Marcel Neusch rappelle alors le principe ecclésial selon lequel la liberté de conscience est soumise à la parole de Dieu mais également aux régulations du magistère.

Telle réflexion amène l’église de France à interroger son rapport aux droits de l'homme. En septembre 1989, la fédération internationale des universités catholiques et l'université catholique de Lyon organise un colloque sur ”la culture chrétienne devant les droits humains” dans la capitale des Gaules. A cette occasion La Croix rappelle que ”le colloque n'a pas hésité à recommander à l'Église ”le droit à la défense pour les auteurs dont les travaux et les enseignements sont mis en question”” 1954 . En toile de fond, la question de la dette révolutionnaire point avec insistance. Or le malaise sur le sujet se fait de plus en plus palpable dans l’Église de France.

Notes
1940.

Ibid

1941.

”[La commission] a la charge de collaborer avec les évêques, avec les dicastères de la curie romaine et les milieux intéressés, dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale de prêtres, séminaristes, communautés ou religieux et religieuses, pris individuellement, qui jusqu'ici étaient de diverses manières reliés à la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre et qui désirent demeurer unis au successeur de Pierre dans l'Église catholique, en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques, à la lumière du protocole signé le 5 mai dernier (1988) par le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre”.

1942.

Louis de Courcy, ”L'Église n'est pas une forteresse”, La Croix, 18 mai 1989

1943.

Ibid

1944.

Yves de Gentil-Baichis, ”Mgr Thomas : Nous devons être plus ouverts aux diversités”, La Croix, 1er juillet 1989

1945.

La manière dont la commission Ecclesia dei et ses responsables ont travaillé n'a pas été conforme à ce que prévoit le droit de l'Église. Le rôle d'un évêque dans un diocèse est plus important que celui d'un cardinal, fut-il résident à Rome, lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes dont l'analyse ne peut être bien perçue que sur le plan local. La grande tradition de l'Église n'a jamais été de faire de l'évêque le simple correspondant local d'un chef situé à Rome. Yves de Gentil-Baichis, ”Mgr Thomas : Nous devons être plus ouverts aux diversités”, La Croix, 1er juillet 1989

1946.

Mgr Thomas, ”Le jour le plus ambigu”, La Croix, 18 mars 1989 ; Mgr Thomas, ”L'honneur de Dieu”, La Croix, 23 mars 1989 ; Mgr Thomas, ”Mourir d'amour”, La Croix, 24 mars 1989 ; Mgr Thomas, ”Disciples du ressuscité”, La Croix, 25, 26 & 27 mars 1989 ; Mgr Thomas, ”Anticiper l'avenir”, La Croix, 25 novembre 1988 ; Mgr Thomas, ”Pourquoi viens-tu ?”, La Croix, 22 décembre 1988 ; En 1988, La Croix confie la semaine sainte à Mgr Maziers. Il intervient également 1987. Mgr Maziers, ”Et il a habité parmi nous”, La Croix, 23 décembre 1987

1947.

Yves de Gentil-Baichis, ”Porter sur la situation un regard évangélique”, La Croix, 15 avril 1987

1948.

Conseil presbytéral du diocèse de Versailles, ”Nous n'admettons pas qu'un petit groupe dicte sa loi”, La Croix, 16 avril 1987. L'assignation en référé de Christian Marquant et Bertrand Doussau, respectivement président et secrétaire de l'association cultuelle ainsi que le bénédictin Arnaud de Blignières, alias père Bruno, par le père Caro inscrit l'action de l'auxiliaire de Versailles dans le légalisme. Axel Bellengier, ”L'affaire de Port-Marly devant le tribunal”, La Croix, 5 juin 1987

1949.

Yves de Gentil-Baichis, ”Mgr Thomas : Nous devons être plus ouverts aux diversités”, op. cit.

1950.

Henri Tincq, ”Le prieur du Barroux promu Père abbé par le Vatican Dom Gérard, intégriste repenti”, Le Monde, 4 juillet 1989

1951.

Ibid

1952.

Cahiers de Meylan, 1989, 80 pages

1953.

Marcel Neusch, ”Le conflit des libertés”, La Croix, 4 août 1989

1954.

Jean Périlhon, ”La foi source des droits humains”, La Croix, 26 septembre 1989