Introduction

Les trafics interurbains de voyageurs circulant sur les réseaux à grande vitesse français (autoroutes, trains grandes lignes, avions) croissent à un rythme rapide, particulièrement les trafics des modes les plus polluants (avion, voiture) malgré des investissements considérables dans le ferroviaire. Entre 1980 et 2000, le trafic air intérieur métropole a été multiplié par 3. L'indice de circulation sur autoroutes concédées a été multiplié par 2,5. Le trafic ferroviaire intérieur est en revanche resté relativement stable puisqu'il n'a progressé que de 10% malgré des investissements massifs : construction d’un réseau de 1200 kilomètres de lignes à grande vitesse et fortes réductions de temps de parcours sur les principales liaisons entre métropoles.

Dans ce contexte, il est nécessaire de s'interroger sur l'évolution de ces trafics longue distance à un horizon de long terme et de disposer d'instruments de simulation permettant d'évaluer la croissance des volumes de trafics autoroutiers, ferroviaires et aériens selon différents scénarios de croissance économique et de politiques de transports. L'évolution future de ces trafics, tant en termes de croissance globale qu'en termes de partage modal, est en effet source d'enjeux majeurs aussi bien sur le plan de la congestion des infrastructures que d'environnement ou de coûts d'investissement.

Les trafics routiers et ferroviaires longue distance se concentrent sur un certain nombre d'axes menacés de saturation à court ou moyen terme sur certaines sections. Le risque de congestion est particulièrement aigu au niveau des grandes agglomérations où les trafics longue distance de voyageurs se superposent aux trafics marchandises ainsi qu'aux trafics périurbains et régionaux (Routhier et alii, 2000). Les couloirs du Rhône et du Languedoc-Roussillon, le sillon mosellan, l'axe Paris-Lille, puis dans un second temps les accès à la Côte d'Azur et aux stations des Alpes du Nord seront saturés à court ou moyen terme : les périodes de congestion, aujourd'hui limitées à des périodes spécifiques, risquent de s'étendre à des heures de semaines ordinaires (Inspection Générale des Finances, Conseil Général des Ponts et Chaussée, 2003). S'agissant du réseau ferroviaire, les grandes gares parisiennes ainsi que les noeuds Bordeaux-Angoulême, Montpellier-Nîmes, ou Lyon risquent d'être de plus en plus engorgés, au détriment du fret. En matière aéroportuaire, compte tenu de la croissance rapide des trafics aériens, les grands aéroports parisiens risquent de manquer de créneaux de décollage et d’atterrissage à court ou moyen terme.

Sur le plan environnemental, les transports sont responsables d'une part importante des rejets de polluants dans l'atmosphère, particulièrement en matière de gaz à effet de serre. Dans le cadre du protocole de Kyoto, la France s'est engagée à ne pas produire davantage de gaz à effet de serre en 2010 qu'en 1990, année de référence (Mission Interministérielle sur l’Effet de Serre, 2000). Or les émissions du secteur transport, gros producteur de CO2, ont augmenté de 22% entre 1990 et 2001 pour représenter 28% du total des émissions à cette date (Mission Interministérielle sur l’Effet de Serre, 2002). Ces données sont relatives à l'ensemble du secteur transports. Toutefois la longue distance voyageurs participe aux émissions 1 et inquiète d'autant plus que sa croissance est rapide. Au-delà du niveau de croissance des trafics, la répartition modale constitue un enjeu majeur car les consommations d'énergie sont bien moindres pour le train que pour les autres modes de transport (17grep/voy.km pour le train contre 30grep/voy.km pour la route 2 et 46grep/voy.km pour l'avion (Ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Equipement et des Transports, 1995)) ; par ailleurs l'énergie consommée par l'avion et la voiture est pétrolière à 100% contre seulement 13% pour le train (Ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Equipement et des Transports, 1995). Outre les gaz à effets de serre, les transports routiers et aériens sont à l'origine d'émissions de polluants (oxydes d'azote ou, dans une moindre proportion, oxydes de soufre), qui contribuent tous deux à des pollutions régionales (pluies acides) (Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, 2003).

Par rapport à ces enjeux – congestion et environnement – différentes politiques de transport sont possibles en termes d'investissements en infrastructures comme en termes de politiques tarifaires, et il est souhaitable de pouvoir anticiper l'impact de ces politiques sur l'évolution de long terme des trafics longue distance, en termes d'évolution du trafic total et de partage modal, afin d'évaluer leur efficacité. Il est d'autant plus important de prévoir les évolutions des trafics, que les politiques d'investissement sont coûteuses et engagent le long terme. Chaque ligne TGV (Sud-Est, Atlantique, Méditerranée ou Est) représente un investissement de plus de 3 milliards d'euros. Une autoroute coûte de 6 millions d'euros au kilomètre en rase campagne à plusieurs dizaines de millions d'euros en urbain dense (Bonnel, 2004) et les coûts des investissements risquent de croître en raison des exigences de plus en plus fortes en matière d'insertion environnementale et de sécurité. Or la rentabilité financière des projets est de plus en plus précaire et les futurs projets d'infrastructures ne pourront se faire sans l’apport de subventions publiques conséquentes, dans un contexte de rareté budgétaire. Coûteux à mettre en place, les projets de transport sont des projets de longue haleine dont l'utilité doit être évaluée dans la durée. Entre les premières études relatives au débat préalable et la mise en service d'un projet, il s'écoule une quinzaine d'années (Inspection Générale des Finances, Conseil Général des Ponts et Chaussée, 2003) et les infrastructures mises en place doivent pouvoir être adaptées aux besoins au moins une dizaine d'années supplémentaires. Les politiques tarifaires (augmentation éventuelle de la TIPP visant à freiner l'usage de la voiture) sont également "coûteuses" à mettre en place sur un plan politique dans la mesure où elles soulèvent des problèmes d'acceptabilité et ne peuvent être improvisées.

Dans ce contexte, il paraît nécessaire de disposer d’outils de simulation permettant d’évaluer l’évolution de long terme des trafics interurbains de voyageurs sur le réseau à grande vitesse, selon différents scénarios de politiques de transport et selon différentes hypothèses de croissance économique. L’objectif consiste à étudier la faisabilité d’un outil de simulation macro-économique de long terme apte à tester des scénarios stratégiques. L'objectif n'est pas de tester l'impact de projets de transport précis ou d'évaluer un niveau de congestion (ce dernier point nécessitant d'intégrer une dimension temporelle et une échelle d'appréciation spatiale fine), mais de pouvoir tester des scénarios globaux de politiques de transport (niveaux d'investissement sur les réseaux autoroutiers et TGV, politiques de tarification), afin d'évaluer l'ordre de grandeur de la croissance des trafics au niveau national, globalement et par mode. La modélisation doit permettre d’identifier les principaux facteurs explicatifs à l’œuvre dans la formation des déplacements de voyageurs à longue distance et d’évaluer leurs poids respectifs dans l’évolution des trafics. La modélisation doit être de long terme, un horizon de 20 ans constituant l'échelle de temps adaptée pour tester l'impact de scénarios de politiques de transport.

Notes
1.

D'après les Comptes Transports de la Nation 1999 (INSEE, [1]-vol.1999), 4% des émissions de gaz à effet de serre du secteur transport (transport intérieur hors DOM-TOM) sont dues au trafic aérien des lignes intérieures métropoles et 56% aux véhicules légers ; le fer est négligeable ; le reste relève du transport de marchandises. Les autoroutes concédées supportent 12% du trafic routier total en véhicules.kilomètres, le réseau national total un peu plus du tiers du trafic (contre un tiers pour l'urbain et un tiers pour le reste du réseau), (INSEE, [1]-vol.1999). Les émissions de polluants varient toutefois suivant les conditions de circulation, de 81g.éq.CO2/voy.km pour une voiture particulière en interurbain contre 160g.éq.CO2/voy.km pour une voiture particulière en urbain (CORINAIR, 1993).

2.

60grep/véh.km selon (Ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Equipement et des Transports, 1995), compte tenu d'un taux d'occupation moyen de 2 personnes/véhicule pour les trajets autoroutiers (d'après l'enquête nationale transport de 1993).