Problématique de la modélisation

La construction d’un modèle suppose une schématisation de la réalité : définition de l'objet d'étude, construction d'un schéma causal, spécification du modèle tant sur le plan de la forme fonctionnelle que des facteurs explicatifs, sélection des bases de données adéquates, calibrage du modèle. Toutefois, il existe une forte interaction entre ces différentes étapes. La définition de l’objet d’étude et le choix de la méthodologie de modélisation doivent être pensés conjointement, et en tenant compte des bases de données existantes. La qualité essentielle d'un modèle est d'être opérationnel, autrement dit de réaliser les performances qu'on attend de lui : "Un modèle apte à réaliser les performances que l'on attend de lui sera dit opérationnel. L’opérationnalité du modèle constitue donc sa qualité fondamentale" (Bonnafous, 1989). L’opérationnalité d'un modèle est soumise à trois conditions nécessaires et suffisantes : la pertinence (le modèle doit être conforme à ce qu’on croît être la réalité des choses), la cohérence (le modèle ne doit pas comporter de contradictions tant d’un point de vue interne que par rapport à ses objectifs) et la mesurabilité (il faut être capable de mesurer les variables avec des échantillons accessibles suffisamment significatifs et de paramétrer les coefficients de calage du modèle avec un minimum de fiabilité statistique), ces trois exigences étant malheureusement souvent contradictoires (Bonnafous, 1989). La triple exigence d'opérationnalité doit s'imposer à toutes les étapes de la modélisation sachant qu'il existe une interaction entre les différentes étapes.

Il existe plusieurs modèles de déplacements à longue distance construits sur le contexte français. Ces différents modèles reflètent la pluralité des objectifs, définitions et méthodes de modélisation envisageables, ainsi que l’interaction entre ces différentes composantes. Les caractéristiques de sorties et les buts assignés à ces modèles varient : modélisation des trafics à l’échelle nationale (Blain, NGuyen, 1994a, b ; Sauvant, 2002a ; Madre, Lambert, 1989), modèles spatialisés (Calio, Méteyer, 2001) voire spatialisés / temporalisés (INRETS, 1997a), modèles "de projet" fournissant des méthodologies d'évaluation de projets ponctuels de transport (Chopinet, 1998). Les définitions des objets d'études sont différentes : déplacements à plus de 100km de distance du domicile (Calio, Méteyer, 2001) ou trafics sur réseau (Blain, NGuyen, 1994a, b ; Sauvant, 2002a). Les données et les méthodologies utilisées le sont aussi : modèle génération / partage modal calé en coupe instantanée sur la dernière enquête nationale transport (Calio, Méteyer, 2001), modèles de demande directe calés sur données opérateurs (Blain, NGuyen, 1994a, b ; Sauvant, 2002a ; Madre, Lambert, 1989). Dans le présent travail, nous effectuons une revue bibliographique, en France et à l’étranger, des différentes méthodes de modélisation applicables dans le cas des déplacements à longue distance ; ces méthodes sont présentées en fonction du type de données qu’elles requièrent et analysées sous l’angle de l’opérationnalité afin de mettre en évidence leurs avantages et inconvénients dans l’optique d’une simulation de long terme.

Dans un objectif de modélisation macro-économique de long terme, privilégier les modèles calés sur séries temporelles apparaît fondamental. Les modèles calés sur séries temporelles permettent en effet de mettre en évidence des relations de long terme entre les fluctuations de certaines variables et celles des trafics, alors que les modèles calés en coupe instantanée manquent d'information dynamique et risquent de conduire à des élasticités biaisées. Les modèles calés sur séries temporelles sont très fréquemment utilisés pour modéliser des trafics à l'échelle nationale, bien plus que les modèles à quatre étapes calés en coupe instantanée sur une enquête (US Department of Transportation - FHA, 1999). Ces modèles présentent toutefois des inconvénients. Ces modèles sont presque toujours des modèles de demande directe. Les exemples de modèles de demande directe pour modéliser des trafics nationaux de voyageurs mode par mode sont courants dans la littérature (Fitzroy, Smith, 1998 ; Koshal et alii, 1996 ; Coto-Millan et alii, 1996). Par ailleurs, des équations de demande directe calées sur séries temporelles ont déjà été mises en œuvre sur le contexte français (Blain, NGuyen, 1994a, b ; Sauvant, 2002a). Or, ces modèles perdent la logique de marché génération / partage modal et on peut s'interroger sur leur pertinence et la constance des élasticités lorsqu'un mode est fortement soumis à la concurrence de modes alternatifs. Par ailleurs, ces modèles nécessitent la présence d'un nombre restreint de variables explicatives agrégées. Ce caractère agrégé n’est pas sans soulever des problèmes de pertinence, notamment pour caractériser l’offre de transport. Un enjeu du présent travail consiste à étudier ces difficultés, proposer des indicateurs agrégés les plus pertinents possibles compte tenu des données à disposition, tester différentes structures et spécifications de modèles.