4.1.3. Analyses spécifiques de l’impact des mises en service de TGV

La mise en service de lignes à grande vitesse ferroviaires entraîne des modifications profondes de partage modal (Klein, Claisse, 1997 ; Mignauw, 1998). Cette modification de structure modale est due à un détournement de trafic aérien et routier, ainsi qu’à de l’induction de trafic sur le mode ferré. La part de ces trois types de trafic dépend de la longueur de l’origine-destination ainsi que de l’ampleur des réductions de temps de parcours.

Lors de la mise en service du TGV Sud-Est, le trafic train gare à gare entre Paris et la région lyonnaise (Lyon + Saint-Etienne + Valence + Bourg-en-Bresse) est passé de 2,3 millions de voyageurs par an en 1980 à 5,1 millions de voyageurs par an en 1984, soit un trafic multiplié par 2,2 (INRETS, 1995). En considérant le seul trafic gare à gare Paris-Lyon, le trafic a été multiplié par 2,4 entre 1980 et 1984 (Beauvais, 1992). Dans le même temps, le trafic Air Inter sur cette liaison est passé de 1,1 million en 1980 à 0,65 million en 1984 (INRETS, 1995). Le trafic route a baissé dans le même temps de 2,9% sur l'axe Paris-Sud-Est (qui constitue un périmètre différent de la liaison Paris-Lyon) (INRETS, 1995).

Pour le TGV Atlantique, les chiffres sont moins éloquents car l'amélioration de l'offre a été moins radicale. De plus le retournement de conjoncture économique a entraîné une chute du trafic SNCF sur l'ensemble du réseau, qui doit être prise en compte pour analyser l'impact réel du TGV sur l'offre. Selon des données vente de billet, le trafic de l'axe Paris-Bordeaux a augmenté d'environ 20% entre 1988 et 1992 alors que le trafic de l'axe Paris-Strasbourg a baissé durant la même période d'environ 8% (SNCF, 1998). D’après le bilan LOTI du TGV A, sur les 21,7 millions de voyageurs de et vers les régions Atlantique, 16,8 millions seraient, soit des personnes qui se sont reportées des trains classiques vers les TGV (13,4 millions), soit des personnes voyageant toujours sur trains classiques (3,4 millions). 4,9 millions de voyageurs (soit 1/3 du trafic "hors projet") seraient du trafic induit (4,4 millions de voyageurs supplémentaires hors Espagne et Interconnexion qui se décomposent eux-mêmes en 2,0 millions d'induction pure, 1,4 million détourné de l'aérien, 1,1 million détourné de la route auxquels s'ajoutent 0,5 million de voyageurs supplémentaires Espagne + Interconnexion).

La mise en service du TGV Nord a entraîné une hausse de la fréquentation de 11% : 5% la première année, 6% la seconde (SES, 1998c). D’après l’enquête avant-après sur données de panel menée par le SES, cette hausse est due à une hausse de la fréquence des déplacements des individus mobiles et non à un élargissement de la base des déplacements. La répartition modale s’est modifiée en faveur du train : 37% de part de marché pour le TGV et 63% pour la route trois ans après la mise en service, contre 33,5% de part de marché pour le train et 66,5% pour la voiture auparavant. Toutefois, cette évolution de la part de marché semble être due à de l’induction en faveur du rail plus qu’à un report de la route vers le rail (SES, 1998c). Pour les habitants du Nord-Pas-de-Calais, la hausse du trafic s’est faite principalement sur le motif domicile-travail, le motif privé a reculé, le motif « classique » est resté stable.

Il est toujours délicat de mesurer exactement les parts respectives des différents types de trafic, détourné de l’aérien, de la route et induit, car il faudrait disposer à la même date des trafics avec et sans projet, ce qui est bien sûr impossible. Entre la situation avant et après projet, il s'écoule toujours un laps de temps de quelques années durant lequel le contexte socio-économique évolue, les compagnies aériennes concurrentes du TGV adaptent leur offre en termes de fréquence ou de prix. Le trafic induit est ainsi délicat à déterminer. L’évolution des trafics routiers est par ailleurs mal connue, dans la mesure où il est difficile d’isoler, au sein de l’évolution du trafic de l’axe concerné, la part d’évolution liée aux seules origines-destinations impactées par le TGV. Le détourné de la route présente lui aussi des difficultés d’estimation.

Le trafic aérien détourné dépend de l’ampleur de la réduction du temps de parcours et du temps de parcours final. Supérieure à 90% en-dessous de 2 heures de temps de parcours, la part des trains à grande vitesse au sein du trafic TGV+air tombe à 60% à 3 heures de temps de parcours puis 40% à partir de 4 heures avant de décroître progressivement (Tableau 22). Pour mieux visualiser ces données nous les avons représentées graphiquement (Graphique 104). La tranche [2h-3h] et dans une moindre mesure la tranche [3h-4h] constituent des tranches horaires cruciales où s’effectue un basculement important de trafic de l’air sur le fer. Au-delà de 4 heures les gains de temps ont moins d’importance. L’importance de la tranche [2h-3h] sur le rapport de force entre train et avion est soulignée dans (Klein, Claisse, 1997).

Tableau 22 : Part de marché du fer sur le total fer + avion
Relations km Temps de parcours ferroviaire Part de marché fer/(fer+avion)
Paris-Bruxelles (310km) 1h25 95%
Paris-Lyon (430klm) 2h00 90%
Madrid-Sevilla (471km) 2h15 82%
Tokyo-Osaka (515km) 2h30 85%
Paris-Londres (450km) 3h00 60%
Paris-Bordeaux (570km) 3h00 60%
Stockholm-Goeteberg (460km) 3h00 60%
Tokyo-Hiroshima (820km) 4h00 40% à 50%
Paris-Pays-Bas (450km) 4h00 40% à 50%
Paris-Toulon (830km) 5h00 20% à 30%
Paris-Toulouse (830km) 5h00 20% à 30%
Paris-Perpignan (940km) 6h à 6h30 10% à 20%
Paris-Nice (990km) 6h à 6h31 10% à 20%

Source (Mignauw,1998)

Graphique 104 : Part de marché du fer au sein des trafics air + fer en fonction du temps de parcours
Graphique 104 : Part de marché du fer au sein des trafics air + fer en fonction du temps de parcours

Source : à partir de (Mignauw, 1998)

Pour les différentes mises en service de TGV ayant eu lieu en France, il aurait été intéressant de posséder les séries chronologiques de l’ensemble des trafics à la fois ferroviaires et aériens. En pratique nous disposons seulement des séries chronologiques pour les trafics aériens aéroport à aéroport. Nous avons représenté l’évolution des trafics aériens annuels sur les principales radiales entre 1980 et 1999 (Graphique 105 et Graphique 106). Le Graphique 105 montre l’évolution des trafics sur les liaisons aériennes concernées par la mise en service du TGV Sud-Est. Le Graphique 106 montre l’évolution des trafics sur les liaisons aériennes concernées par la mise en service du TGV Atlantique. La liaison Paris-Strasbourg a été intégrée sur les deux graphiques à titre de référence : elle n’a pas bénéficié de mise en service de TGV.

Lorsque le TGV abaisse le temps de parcours de 4h à 2 heures, le trafic aérien chute de façon spectaculaire : les trafics sont divisés par 2 sur Paris-Lyon en 1981/1984, Paris-Nantes et Paris-Rennes en 1989-1991, avant de reprendre leur croissance. Pour des réductions de temps de parcours de moindre ampleur, les réductions de trafic sont moins spectaculaires.

Graphique 105 : Evolution du trafic aérien sur les principales radiales concernées par le TGV Sud-Est

Source : d’après données DGAC

Graphique 106 : Evolution du trafic aérien sur les principales radiales concernées par le TGV Atlantique.

Source : d’après données DGAC