1.2. Les modèles de demande directe calés sur séries temporelles

On peut citer les travaux de (Madre, Lambert, 1989 ; Madre, Pirotte, 1992) analysant l’évolution des trafics automobiles sur routes et autoroutes, ainsi que les modèles du SES qui étudient les trafics nationaux par mode (fer, air, autoroutes, routes nationales). Nous présentons les relations retenues, les variables macro-économiques utilisées et les valeurs des élasticités.

Il s'agit d'une modélisation déjà ancienne portant sur la période 1970-1982 qui modélise le volume total de trafic au niveau national en distinguant les différents types de réseaux : autoroutes concédées, autoroutes non concédées (généralement situées en milieu péri-urbain), et routes nationales.

Les variables retenues sont :

- PARC, parc automobile des ménages ; cette variable est modélisée en projection à l’aide d’un modèle démographique qui s’appuie sur les enquêtes conjoncture de l’INSEE,

- R, revenu réel moyen par ménage (revenu disponible brut de la comptabilité nationale) ;

- CARB, prix relatif des carburants, variable qui a un pouvoir explicatif nettement meilleur que celui de l’ensemble des coûts d’utilisation des véhicules ;

- L, longueur du réseau autoroutier en service au début de chaque année ; les auteurs notent que la réaction des usagers à l’ouverture de nouveaux tronçons est rapide, puisque cette variable retardée d’un an a un pouvoir explicatif moindre ; toutefois, ils soulignent que le trafic supplémentaire important qui apparaît dès la première année provient principalement d’un transfert d’anciens usagers du train, le « trafic induit » proprement dit (apparition de nouveaux déplacements générés par l’ouverture de la nouvelle infrastructure) ne se développe qu’à plus long terme ; les séries statistiques étudiées sont trop courtes et trop agrégées pour faire apparaître de tels effets différenciés.

- LIU la longueur du réseau autoroutier interurbain ;

- LPU la longueur du réseau autoroutier périurbain.

Deux types de modèles sont développés : linéaires et loglinéaires. Pour les autoroutes concédées, le modèle loglinéaire se révèle avoir un meilleur pouvoir explicatif. Pour les autres réseaux, le modèle linéaire se révèle préférable.

Pour les autoroutes concédées, modèle log-linéaire : R² = 0,9998

ln(CAIU) = -11,4 + 0,62 ln(LIU) – 0,28 ln(CARB) + 0,91 ln(PARC) + 0,75 ln(R)

(2,6) (6,9) (3,5) (6,1) (2,3)

Pour les autoroutes concédées, modèle linéaire :

CAIU = 1,62 LIU - 134 CARB + 1,37 PARC - 120 PEAG + 0,16 R R² = 0,9998

(2,1) (7,9) (7,6) (4,0) (3,2)

Pour les autoroutes non concédées :

CAPU = -15165 + 19,7 LPU - 57 CARB + 0,14 R R² = 0,984

(2,4) (14,1) (2,3) (2)

Pour les routes nationales :

CRN = 0,46 R + 1,38 PARC - 99 CARB R² = 0,997

(23) (17,3) (3,6)

Pour le trafic national total :

CTOT = -34514 + 3,64 PARC + 0,72 R - 212 CARB + 3,4 LA R² = 0,997

(1,7) (4,1) (4,5) (3,7) (1,5)

Les ajustements sont bons pour les trafics sur autoroutes concédées, les routes nationales et le trafic national total. Pour les autoroutes non concédées, les R² sont plus faibles, car les déterminants du trafic sont locaux (développement de l’habitat périurbain et de la motorisation corrélative), et donc malaisés à caractériser au niveau national. En effet, les deux tiers des autoroutes non concédées sont des voies rapides en zone périurbaine où le trafic est en pleine expansion et les facteurs introduits dans les modèles ne rendent compte de ce phénomène que de manière très indirecte (Madre, Lambert, 1989).

L’étude précédente est affinée dans le cadre de prévisions régionales du trafic (Madre, Pirotte, 1992). Les évolutions des trafics automobiles par régions sont modélisées à l'aide d'un modèle sur données de panel à effets fixes :

Les séries modélisées sont : les consommations de carburant (qui traduisent le volume de circulation totale), la circulation sur autoroutes concédées VL seuls, la circulation sur autoroutes interurbaines VL seuls et la circulation sur routes nationales (VL + PL). La circulation sur autoroutes inter-urbaines est estimée en expurgeant les trafics des tronçons périurbains grâce à un lourd travail de données. Les variables utilisées sont : le parc automobile par tête (obtenu à partir des ventes de vignette) ; le revenu réel des ménages par tête ; le prix moyen des carburants ; la longueur des autoroutes concédées (ou selon la série modélisée la longueur des autoroutes interurbaines) ; une indicatrice valant 1 quand il n’y a pas d’autoroutes interurbaines en service dans la région i et 0 sinon. Les seules indicatrices Φt conservées sont les indicatrices relatives aux années 1974 et 1986.

Les circulations sur autoroutes concédées, interurbaines et routes nationales sont estimées à l’aide du modèle à effet fixe. Les consommations de carburant sont dans un premier temps modélisées par un modèle à effets fixes. Toutefois, partant de l’hypothèse que les consommations de carburant dépendent de la structure locale des réseaux, l’analyse des constantes de ce modèle à effets fixes (couplée à des éléments de réflexion d’ordre plus qualitatif) est utilisée pour définir trois groupes de régions (de transit, urbaines ou frontalières, touristiques) sur lesquels sont à nouveau calibrés des modèles à effets fixes.

Nous présentons uniquement les élasticités issues du modèle sur autoroutes concédées pour les seuls véhicules légers. L’élasticité-parc est très forte (1,7). Les élasticités par rapport au prix (-0,7) et par rapport à l’allongement du réseau sont assez élevées (beaucoup plus que dans le cadre de la modélisation de la circulation totale).

Le SES a calibré un certain nombre d'équations économétriques destinées à modéliser les différents types de trafic train, avion, voiture (Blain, NGuyen, 1994a, b).

Trafic intérieur Air Inter : période : 1975-1992

ln(aipkdo) = 0,75 (pibm) - 0,53 ln (aiprodm) - 0,017 ln (vktgv) + 0,56 (aisko)

(6,8) (7,2) (2,3) (8,8)

+ 0,054 ln (trend80) - 117,7

(2,6) (12,6)

R² = 0,9996 See = 0,011 DW = 2,45

aipkdo nombre de passagers.kilomètres sur les lignes intérieures

pibm produit intérieur brut marchand

aiprodm prix moyen relatif du kilomètre parcouru payé par le passager

vktgv nombre de voyageurs-kilomètres dans les TGV

aisko nombre de sièges-kilomètres offerts

trend80 trend temporel - trend 80- valant 0 de 1970 à 1979, 1 en 1980, 2 en 1982, etc...

Trafic routier sur le réseau national : période : 1976-1991

ln (partot) = 1,20 ln (pib) - 0,22 ln (ratiopx) + 0,25 ln (parctot) -0,60 ln (snvit) - 10,7

(12,1) (8,3) (3,0) (4,1) (10,6)

R² = 0,9992 See = 0,006 DW = 2,36

partot trafic routier total

pib produit intérieur brut total

ratiopx rapport du prix moyen du carburant nécessaire pour parcourir 1 km avec une

voiture particulière par rapport au prix du kilomètre parcouru en train.

parctot parc total des véhicules en France

snvit vitesse moyenne des rapides-express de la SNCF

Trafic sur autoroutes concédées : période : 1976-1992

ln(pautc) = 0,25 (pautc (-1)) + 0,92 ln (pibm) - 0,47 ln (pcarb) -0,96 ln (peagecu)

(2,7) (3,7) (4,3) (9,0)

+ 0,65 ln (resautc) - 11,3

(6,3) (3,4)

R² = 0,9984 See = 0,027 DW = 1,98

pautc trafic sur les autoroutes concédées à l’année n

pautc(-1) trafic sur les autoroutes concédées à l’année n-1

pibm produit intérieur brut marchand

pcarb prix des carburants

peagecu mesure des prix du péage : on divise la recette des péages en francs constants

par le nombre de véhicules-kilomètres parcourus sur les autoroutes concédées

resautc longueur du réseau autoroutier

Par son caractère autorégressif, les élasticités estimées par cette équation ne sont pas entièrement comparables à celles des autres équations présentées ci-dessus ; pour estimer les élasticités de long terme, il convient de diviser leur valeur par 0,75 (soit 1-coefficient de la variable autorégressive).

Variables Elasticité de court terme Elasticité de long terme
PIBM +0,92 +1,23
PCARB -0,47 -0,63
PEAGECU -0,96 -1,28
RESAUTC +0,65 +0,87

Trafic sur le réseau principal SNCF : période : 1976-1992

ln (snvkrp) = 0,43 ln (cfm) - 0,70 ln (snprodm) + 0,20 ln (pcarb) +1,08 ln (snvitrp) -1,80

(2,7) (3,8) (3,5) (2,4) (2,5)

R² = 0,967 See = 0,016 DW = 2,34

snvkrp nombre de voyageurs-kilomètres sur le réseau principal

cfm consommation des ménages

snprodm produit moyen SNCF en francs constants

pcarb prix des carburants

snvitrp vitesse moyenne des trains sur le réseau principal

Cette équation relative au fer a été réactualisée dans (Sauvant, 2002). L'équation est désormais basée sur des séries 1978-2002 :

ln(Tf) = 2,37 + 0,94*ln(cfm) – 0,74 ln(pf) + 0,38 ln(pr)

avec Tf : trafic ferroviaire

cfm : consommation finale des ménages

pf : produit moyen du fer

pr : prix des carburants

Pour le ferroviaire, la vitesse qui était significative sur la période 1975-1994 ne l'est plus si on considère l'ensemble de la période 1978-2002. L'élasticité au PIB est passée de 0,4 à 0,9 entre les calages effectués sur 1975-1992 et ceux de 1978-2000. (Sauvant, 2002a) l'interprète par l'augmentation de la part des TGV au sein du trafic ferroviaire. "L'élasticité-revenu obtenue pour l'ensemble du transport ferroviaire de voyageurs correspond vraisemblablement à la superposition d'un secteur avec une élasticité au revenu proche de 1,5 (TGV) et d'un autre avec une élasticité au revenu proche de 0 (train classique)." L'élasticité au prix du fer reste identique (-0,7), celle au prix de la route aussi (0,4).

Au niveau de l'aérien, l'élasticité au PIB est de 0,75. On note toutefois que la variable nombre de sièges.kilomètres offerts figure parmi les variables explicatives. Or le nombre de sièges.kilomètres offerts dépend au moins autant du volume de voyageurs.kilomètres que l'inverse. Le nombre de sko est directement lié au nombre de passagers.kilomètres par la relation : aipkdo = aisko * coefft de remplissage. Les compagnies aériennes veillent à ce que leur taux de remplissage soit le plus élevé possible et sur la période de calage du SES ce taux est resté stable pour Air Inter à 0,65 (Mémentos statistiques de l'OEST). Le nombre de sièges.kilomètres offerts ne constitue pas en lui-même un critère d'appréciation de l'offre aérienne par les passagers ; seule la fréquence revêt de l'importance. Il est normal que le nombre de sièges.kilomètres offerts soit fortement explicatif du nombre de voyageurs.kilomètres, mais en pratique la relation de causalité est plutôt inverse. L'introduction du nombre de sièges.kilomètres offerts conduit ainsi à faire baisser artificiellement les valeurs des coefficients relatifs aux autres variables. On peut penser que l’élasticité du trafic aérien par rapport au PIB est en réalité supérieure à 0,75. Des publications ultérieures du SES (Sauvant, 2002a) proposent d’ailleurs une élasticité du trafic aérien au PIB nettement supérieure, de l'ordre de 1,5.