1. Les différentes architectures envisagées

Pour un partage modal 3 modes sur une OD donnée, plusieurs architectures différentes peuvent être envisagées : structures multinomiales (logits multinomiaux ou modèles dogit) ou structures hiérarchiques. Le logit multinomial présente une contrainte d'opérationnalité forte : le respect de la propriété IIA (Indépendance des Alternatives non Associées) selon lequel si certaines alternatives sont enlevées de l'ensemble des alternatives disponibles, les probabilités relatives entre les alternatives au sein du sous-ensemble ainsi construit restent inchangées (cf chap 3 – I- 1.2.2.b). Concrètement, cette propriété signifie par exemple que le développement du réseau TGV entraîne des réductions identiques des trafics aérien et routier en termes de pourcentage, ou qu'une baisse du trafic aérien entraîne des pourcentages de réduction identiques des trafics ferroviaire et routier. Cette propriété n'est pas réaliste, que ce soit à l'échelle d'une origine-destination ou à l'échelle d'un pays. Les élasticités croisées de demande seraient fausses. Cette architecture est à proscrire.

Pour contourner l'obstacle de la propriété IIA, plusieurs pistes peuvent être envisagées. La première piste consiste à considérer un modèle Dogit généralisé (cf chap 3 – I – 1.2.2.c). Toutefois, cela impliquerait de caler 6 paramètres supplémentaires (les 6 ij), ce qui réduit la mesurabilité du modèle. Par ailleurs, les trafics air et fer étant beaucoup plus petits que les trafics routiers, les variations des trafics fer et air dues aux impacts des différents facteurs explicatifs risquent d'être invisibles à pareille échelle. Le modèle Dogit est a priori difficilement mesurable.

La deuxième piste consiste à étudier la possibilité de monter une structure hiérarchique : modéliser dans un premier temps un partage route / transports en commun puis dans un deuxième temps un partage air / fer. Pour modéliser un partage modal route – fer – air sur une origine-destination donnée, un partage modal logit hiérarchique paraît davantage réaliste qu'un partage multinomial. En effet, pour effectuer un voyage donné, on peut supposer que la personne effectue le choix du mode de transport en deux temps : dans un premier temps, elle choisit entre voiture particulière et transports en commun en tenant compte à la fois des qualités d'offre respectives des différents modes de transport (temps, prix, régularité, confort) mais aussi en fonction de déterminants spécifiques : motorisation, nécessité de posséder une voiture à destination, attirance particulière pour la voiture ; dans un deuxième temps, si elle a opté pour les transports en commun, elle choisit entre le train et l'avion. Le logit hiérarchique reproduit cette démarche : le panier inférieur du logit modélise le choix train / avion exclusivement en fonction de caractéristiques de ces deux modes de transport ; le panier supérieur du modèle de choix modélise le choix entre voiture particulière et transports en commun en fonction d'une utilité composite de ces deux modes et des facteurs de choix voiture particulière / transports en commun. Dans cette architecture, le partage air/fer se fait indépendamment des caractéristiques du mode routier.

Toutefois cette démarche en deux temps trouve son fondement théorique lorsqu'on raisonne au niveau de l'individu dans le cadre d'une démarche désagrégée. Cette démarche peut éventuellement être étendue pour modéliser le partage modal sur une origine-destination donnée, où la séparation des volumes de trafics des différents modes peut se hiérarchiser de façon analogue : séparation route / transports en commun puis fer / air. En revanche l'extension de la structure hiérarchique au cas d'un partage modal à l'échelle nationale semble plus problématique. En effet les trafics nationaux mélangent des segments très divers en termes de types de liaisons. Il n'existe pas de logique de choix hiérarchique où l'arbitrage se fait entre la route et les transports en commun puis entre l'air et le fer, mais une superposition de segments de marché où la compétition se fait tantôt entre la route et le fer, tantôt entre le fer, l'air et la route. Au niveau national, une amélioration de l'offre routière fait mécaniquement baisser l'usage du fer, à commencer par les liaisons où l'air n'est pas présent. L'amélioration de l'offre routière n'a pas ou peu d'impact sur l'air, en revanche elle en a beaucoup sur le fer, elle fait donc mécaniquement baisser la part de marché de l'air au sein du trafic fer + air. Une structure logit hiérarchique où le partage air / fer du panier inférieur se fait exclusivement en fonction des caractéristiques de l'air et du fer risque de ne pas être satisfaisante. En fait, pour prendre en compte la baisse mécanique du trafic ferroviaire au sein du partage air/fer due à l'influence de la route, on peut imaginer de prendre en compte parmi les déterminants du logit air/fer des caractéristiques relatives à la route. Il n'est à première vue pas très orthodoxe d'effectuer un partage modal air/fer en introduisant des caractéristiques routières dans les fonctions d'utilité ; toutefois il faut bien considérer qu'il ne s'agit pas d'un raisonnement microéconomique modélisant les choix d'un individu, mais bien d'une répartition des trafics tenant compte des influences des diverses variables. La significativité des caractéristiques routières au sein du partage air/fer sera de toute façon testée. L'architecture proposée est définie dans le schéma ci-dessous (Schéma 1).

Schéma 1 : Architecture "classique"

La séparation air / fer se fait à l'aide d'un logit binomial qui fait intervenir dans les fonctions d'utilité les caractéristiques aériennes et ferroviaires et éventuellement aussi les caractéristiques routières. En revanche on peut s'interroger sur la manière de répartir trafic routier et trafic transports en commun : construit-on un modèle de partage modal ou des modèles de demande directe ? Si on utilise l'indicateur Tvlc, le trafic en transports en commun fer + air se trouve noyé dans la masse. Si on considère l'indice Ivlc (multiplié par le volume de trafic routier de l'année de référence), d'une part le problème de visibilité des trafics air et fer demeure (même s'il est de moindre ampleur), d'autre part le supplément de trafic train sur les autoroutes lié à la mise en service des autoroutes n'apparaît pas dans Ivlc, le partage modal route/fer est sous-estimé. Nous préférons donc modéliser séparément le trafic routier et le trafic air + fer par des modèles de demande directe. Ce modèle "mixte" (modélisation de la route par une équation de demande directe ; modélisation des trafics air et fer par un modèle génération / partage modal) est testé en section suivante.

Outre ce modèle "mixte" nous testons un autre type de modélisation : un modèle hiérarchique où sont distingués non pas 3 modes de transport : l'air, le train, l'autoroute mais quatre : l'air, le TGV, les trains classiques, l'autoroute. En effet le TGV peut être considéré comme un mode de transport à part entière qui se rapproche davantage de l'avion que du train classique : desserte des seules grandes métropoles sans point d'arrêt intermédiaire, proximité en termes de vitesse (temps de parcours souvent peu supérieurs à ceux de l'avion si on tient compte des temps d'accès aux aéroports et des délais de précaution de l'aérien, mais près de deux fois inférieurs aux temps de parcours initiaux en trains classiques). Là où le TGV est présent il existe une compétition TGV / air, ailleurs la compétition train / air est moins vive ; les trains classiques sont présents sur des dessertes courtes distances où s'exerce la concurrence routière ; les TGV sont présents sur des segments de marché plus longue distance. Nous testons alors une architecture originale de modèle qui consiste à hiérarchiser la séparation des trafics selon l'architecture ci-dessous (Schéma 2).

Schéma 2 : Architecture "grande vitesse"

Les trafics route et transports en commun sont modélisés séparément par des modèles de demande directe. La séparation du trafic total en transports en commun entre trains classiques et trafics à grande vitesse et la séparation des trafics à grande vitesse entre air et TGV sont modélisés à l'aide de partages modaux logit. Il est clair que ces partages modaux représentent des basculements d'aires de marchés géographiques d'un mode à l'autre plus que des évolutions de choix de modes de transport à aire géographique constante. L'évolution de la répartition trafics à grande vitesse / TRN vient en effet en grande partie du basculement de secteurs entiers de dessertes de l'escarcelle des trains classiques à celle des trains à grande vitesse avant l'impact des autres facteurs.

Dans les sections suivantes nous testons successivement l'architecture classique, puis l'architecture "grande vitesse". Dans toutes les architectures que nous testons, nous testons différentes fonctions d'utilité. En effet le choix de la forme des fonctions d'utilité ainsi que la caractérisation des variables explicatives constitue un élément déterminant de la pertinence des modèles de partage modaux.