V. Conclusion

Nous avons ainsi abouti à deux types de modélisation : une architecture correspondant au calage d'un modèle de demande directe et une architecture correspondant à un modèle mixte : équation de demande directe pour modéliser la route + modèle de génération / partage modal pour modéliser le partage modal air/fer.

Si le trafic autoroutier se prête bien à des modélisations sur séries temporelles, les trafics des modes collectifs, particulièrement le trafic ferroviaire, sont plus délicats à modéliser. Le trafic ferroviaire est en effet soumis à la double concurrence de l’autoroute et de l’air. Le trafic longue distance consiste en la superposition de plusieurs marchés. Dans le présent chapitre, plusieurs architectures ont été testées. La variable Rf traduisant l’extension du réseau TGV et l’augmentation de la vitesse du fer, a été construite de façon à intégrer des seuils de concurrence entre l’air et le fer. Néanmoins, pour améliorer la qualité de la modélisation, il aurait été souhaitable de pouvoir segmenter les trafics air et fer et caler des modèles génération / partage modal sur séries temporelles segmentées. Malheureusement les données adéquates n’étaient pas disponibles. Les données ferroviaires ne sont disponibles que sur la période 1996-2000, ce qui est trop court pour les mettre en face des données aériennes (qui sont par ailleurs des données aéroport à aéroport et non pas des matrices origines-destinations). Le recueil de données origines-destinations ferroviaires sur une plus longue période et la connaissance des origines-destinations aériennes (et non pas simplement de trafics aéroport à aéroport) permettrait d'affiner la modélisation. D’autres éléments liés à la mesurabilité sont venus limiter les possibilités de modélisation : ruptures comptables dans les séries de données, manque d’information sur les politiques tarifaires, grèves.

Malgré ces limites qui ont été explicitées tout au long du chapitre, les études sur séries temporelles se révèlent précieuses pour analyser les poids respectifs des trafics à longue distance. En effet, pour produire des simulations sur le long terme, il est nécessaire de s’appuyer sur de la variance temporelle. Les différentes équations étudiées ont permis de mettre en évidence des relations structurantes de long terme entre les séries de trafic et certains facteurs explicatifs. Les trafics observés et reconstitués par les modèles sont proches. Les modèles de demande directe et de génération – partage modal conduisent à des résultats similaires en termes d’élasticités, ce qui est un gage de robustesse.

L'élasticité par rapport au PIB est supérieure à 1 pour les trafics aériens et autoroutiers (1,5 pour le trafic aérien et 1,3 pour le trafic sur autoroutes concédées) mais est plus petite pour le trafic ferroviaire (0,3 à 0,5). Etendre le réseau autoroutier a un impact important sur la croissance du trafic autoroutier. L'élasticité de l'indice de croissance de la circulation par rapport à l'indicateur d'utilité autoroutière est de l'ordre de 0,74, ce qui fait une élasticité par rapport à la longueur du réseau autoroutier de l'ordre de 0,30. L'élasticité du trafic total VL sur autoroutes (y compris extension du réseau) par rapport à la longueur autoroutière est de l'ordre de 0,8. L'élasticité du trafic sur autoroutes concédées par rapport au coût du kilomètre sur autoroutes concédées (carburant + péages) est de l'ordre de –0,6. Les impacts de l'extension du réseau ferroviaire à grande vitesse et de l'évolution des tarifs ferroviaires sur la croissance du trafic sur autoroutes concédées ne sont pas très significatifs. L'élasticité du trafic ferroviaire par rapport à notre indicateur de vitesse du fer est de l'ordre de 0,3 à 0,45. L'élasticité du trafic aérien par rapport à l'indicateur de vitesse ferroviaire est faible et pas toujours très significatif. Il est difficile de produire des élasticités des trafics ferroviaires et aériens par rapport aux indicateurs de produit moyen ferroviaire et aérien. La SNCF a amélioré sa politique commerciale, mettant en place une politique de yield management et optimisant ses tarifs en fonction du degré de concurrence de la route et de l'air par rapport au fer selon les origines-destinations. Cette évolution de la politique tarifaire a dû modifier l'élasticité du trafic ferroviaire par rapport au produit moyen du fer et les augmentations des produits moyens du fer du début des années 1990 et de la fin des années 1990 n'ont pas la même signification. Pour l'aérien, l'ouverture du ciel à la concurrence en 1997 a entraîné le même type de problème. Par ailleurs le changement d'indicateur de prix en 1997 pour représenter l'évolution du coût de l'aérien a automatiquement eu des conséquences sur l'élasticité. D'après les modèles il semblerait que les élasticités du trafic ferroviaire par rapport au prix du fer et du trafic air par apport au prix de l'air soient élevées, celle du trafic air par rapport au prix du fer également élevée, celle du trafic fer par rapport au prix de l'air moindre, mais il faut être prudent.

Ces résultats sont certes à prendre avec une certaine prudence, néanmoins ils rejoignent en ordre de grandeur des résultats produits par d'autres modèles. Ainsi la hiérarchie des facteurs est la même selon MATISSE (INRETS, 1997b) et selon nos modèles. L'élasticité apparente du trafic aérien par rapport à la croissance économique sur la période 1992-2015 est de 1,3 contre 1,5 pour nous, celle du trafic fer par rapport à la croissance économique sur la période 1992-2015 est de 0,5 contre 0,4 à 0,5 pour nos modèles génération / partage modal (les modèles de demande directe produisent une élasticité de 0,20). L'élasticité du trafic autoroutier par rapport à la croissance économique est de 1,0 sur 1992-2015 selon (INRETS, 1997b) et est ainsi inférieure à la nôtre (de l'ordre de 1,3). Toutefois les définitions des trafics routiers sont différentes : trafics autoroutes concédées + autoroutes non concédées à plus de 50km pour (INRETS, 1997) ; tous trafics sur autoroutes concédées pour nous. Entre 1980 et 1992, la croissance des trafics observée est de 94% selon (INRETS, 1992) contre 126% pour nous alors que si les définitions étaient analogues, les croissances seraient identiques. Notre plus forte élasticité à la croissance économique est à rapprocher de la plus forte croissance des trafics observés avec notre définition que dans la définition (INRETS, 1997). L'élasticité du trafic autoroutier par rapport au coût autoroutier est de –0,5 selon MATISSE alors qu'elle est de –0,6 dans nos modèles. L'élasticité du volume de trafic autoroutier par rapport à la longueur du réseau autoroutier est de 0,50 sur 1992-2015 selon MATISSE alors qu'elle est de l'ordre de 0,6 à 0,8 selon nos formulations. En fait MATISSE prévoit une rupture de l'élasticité du trafic autoroutier par rapport à la longueur du réseau autoroutier : 0,85 sur 1980-1992 puis 0,50 sur 1992-2015. Les élasticités du trafic ferroviaire et aérien par rapport aux indicateurs relatifs au réseau ferroviaire ne sont pas comparables car ce ne sont pas les mêmes indicateurs. Toutefois, on peut essayer de comparer, sur la période 1992-2015, les impacts de l'amélioration du réseau TGV, entre MATISSE et nos modèles : MATISSE évalue la variation du trafic ferroviaire sur cette période à +20% et celle du trafic aérien à –20% ; les modèles de demande directe produisent +17% d’augmentation pour le trafic ferroviaire et –6% pour le trafic aérien ; les modèles de génération / partage modal produisent +11% d’augmentation pour le trafic ferroviaire et aucun impact significatif sur l’air. Nos modèles semblent légèrement sous-évaluer l’impact de la mise en service des TGV sur le trafic ferroviaire. Par ailleurs, nos modèles semblent sous-évaluer la baisse de trafic aérien engendrée par le TGV ; toutefois la fourchette de 0% à -20% de baisses produites par les divers modèles est à comparer aux +120% d'augmentation du trafic aérien sur la période, ce qui relativise largement les divergences d’estimation. En ce qui concerne le prix du fer, l’évolution de la tarification SNCF entre 1980 et 1992 a entraîné selon le modèle MATISSE une hausse du trafic ferroviaire de 0,4%/an, alors que le produit moyen par voyageur.kilomètre a augmenté de 0,1%/an. Ce phénomène est dü à l’évolution de la structure des tarifs SNCF qui ont augmenté sur les courtes distances et baissé sur les longues distances davantage soumises à la concurrence intermodale. Ceci montre les limites du calcul d'une élasticité apparente au produit moyen, lorsque le produit moyen n’a pratiquement pas varié alors que la structure tarifaire a évolué. En ce qui concerne le mode aérien, les résultats produits dans (INRETS, 1999) ne distinguent pas impact des prix et impact des fréquences, ce qui rend caduc le calcul d'une élasticité apparente.

Cette modélisation nous permet de tirer des conclusions quant à l'évolution des trafics longue distance à un horizon 2020. La croissance économique constitue le facteur prépondérant dans l'évolution des trafics ; une hausse du PIB de 2% par an sur 20 ans conduit à une hausse de 22% des trafics ferroviaires, 67% des trafics autoroutiers, 80% des trafics aériens. Le développement du réseau TGV permet d'améliorer les perspectives du trafic ferroviaire. Si à l’échelle de certaines origines-destinations, le TGV est apte à reprendre des parts de marché à l’aérien, à l’échelle nationale, ses performances se révèlent insuffisantes à elles seules pour contrecarrer durablement la hausse du trafic aérien, ou pour affecter la croissance du trafic autoroutier. Jouer sur le prix de la route constitue un levier d'action intéressant sur le trafic autoroutiers, même si l'élasticité est inférieure à 1 (-0,6). Cette élasticité a été essentiellement calibrée sur une baisse du prix de l'essence, la chute du prix des carburants du milieu des années 1980 constituant l'événement marquant de la période. Si on suppose que l'élasticité par rapport à une hausse des tarifs est identique à l'élasticité par rapport à une baisse des tarifs (soit –0,6), une hausse des coûts routiers doit entraîner une baisse des trafics autoroutiers mais une hausse des recettes (l'élasticité étant inférieure à 1). Toutefois il se pose la question de l'acceptabilité d'une mesure de hausse de la TIPP ou des péages autoroutiers. L'impact des autres facteurs est à considérer avec prudence. En matière de longueurs d'autoroutes construites, il n'y a pas eu par le passé de rupture. Toutefois les futurs tronçons seront de plus en plus destinés à décharger les tronçons en voie de saturation. Il n'est pas possible de dire si l'évolution de leur utilité se fera au même rythme que les évolutions de 1980-1999. Quant aux prix du fer et de l'air il est certain que leur variation a un impact significatif sur les trafics mais il est difficile de les quantifier, les évolutions de structure de prix ayant un impact aussi important que l'évolution du produit moyen dans un contexte de stagnation des prix.