Conclusion générale

L'objectif de ce travail était de construire un outil simple et macro-économique permettant de simuler l'évolution des trafics sur les réseaux à grande vitesse selon différents scénarios de croissance économique et de grandes orientations de politiques de transport. Après avoir présenté les bases de données disponibles, explicité les principaux déterminants de la mobilité à longue distance et analysé les différentes méthodes de modélisation existantes, nous avons testé plusieurs architectures de modèles calés sur séries chronologiques. Nous nous interrogeons sur les enseignements de ces modèles, leur opérationnalité, leurs intérêts et leurs limites.

Les modèles calés sur séries temporelles forment un outil bien adapté pour modéliser les dynamiques de long terme des trafics. Pour effectuer des simulations à long terme, il paraît en effet fondamental de s'appuyer sur des élasticités calées sur de la variance temporelle. Or les élasticités en coupe instantanée divergent généralement des élasticités temporelles, car elles traduisent seulement des écarts intergroupes, sans tenir compte des effets de génération ou de période. Pour obtenir des élasticités applicables dans le cadre de simulations de long terme, il serait nécessaire de disposer de plusieurs enquêtes successives afin d’élaborer des modèles âge-cohorte. Or nous ne disposons que de deux enquêtes-transports (1982 et 1993), qui doivent par ailleurs être comparées avec une certaine prudence compte-tenu des évolutions de méthodologies d’une enquête à l’autre et de la faible taille des échantillons. Des calages effectués en coupe instantanée risqueraient de conduire à des projections biaisées. L'utilisation de séries chronologiques paraît d'autant plus souhaitable dans le cas de la longue distance que les trafics des réseaux à grande vitesse ont augmenté à un rythme très soutenu (triplement des trafics aériens et autoroutiers au cours des vingt dernières années) et que la croissance économique constitue un déterminant crucial de la mobilité à longue distance. Pour le trafic autoroutier par exemple, les inflexions de croissance des trafics suivent celles de la croissance économique, traduisant une relation étroite entre les deux entités. Identifier des relations structurantes de long terme constitue un gage de fiabilité d’une modélisation.

Les modèles calés sur séries chronologiques présentent néanmoins un certain nombre de limites. Ces modèles sont généralement des modèles de demande directe, occultant ainsi la logique de génération – partage modal. Par ailleurs les variables utilisées sont nécessairement agrégées, ce qui soulève des problèmes de pertinence en cas de forte hétérogénéité spatiale dans la variation du facteur explicatif. Dans le cadre de ce travail, nous nous sommes attachés à tester différentes architectures de modèles (modèles de demande directe et de génération / partage modal ; architectures à 3 et à 4 modes) ainsi que différentes spécifications (linéaires et loglinéaires). Par ailleurs, afin d’améliorer la pertinence de la variable vitesse ferroviaire, nous avons construit un indicateur traduisant des effets de seuil.

A l’issue du test des différentes architectures, deux types de structures sont sélectionnés : modèles de demande directe et modèle « mixte » à 3 modes (équation de demande directe pour le trafic autoroutier combinée à un modèle de génération – partage modal pour l’air et le fer). Les résultats de ces deux approches sont globalement cohérents, ce qui est un signe de robustesse. Au sein de l’architecture mixte à 3 modes, des spécifications linéaires et loglinéaires produisent des résultats semblables, ce qui est là aussi un indice de robustesse. Peu influencé par la concurrence des autres modes à l’échelle nationale, le trafic autoroutier est correctement modélisé par une équation de demande directe. Pour les transports collectifs en revanche, une architecture de partage modal paraît préférable en termes de pertinence. Toutefois, le marché de la longue distance recouvre des segments de mobilité aux partages modaux contrastés et aux dynamiques différentes. Pour améliorer la pertinence de la modélisation, il aurait été souhaitable de segmenter les trafics par catégories d'origines-destinations, si possible aussi entre marchés professionnel et personnel. Cette démarche se heurte toutefois à un problème de mesurabilité. Les matrices SNCF ne sont disponibles que sur quelques années. Nous ne possédons pas de données origines-destinations pour les autoroutes concédées. Pour l'aérien nous disposons de plus d'informations puisque nous connaissons les trafics aéroport à aéroport année par année depuis 1986 ; toutefois il ne s'agit pas de matrices origines-destinations. La construction de séries chronologiques par segments homogènes s’avère ainsi impossible.

Les modèles calés sur séries chronologiques nécessitent l'emploi d'un nombre limité de variables explicatives et ces variables sont fortement agrégées. Au sein de notre modèle, nous prenons en compte les seules variables croissance économique et offre de transport (en termes de vitesse comme en termes de prix). Bien sûr ces déterminants ne sont pas les seuls facteurs explicatifs de la longue distance : motorisation, structure démographique, effets de génération et évolution des modes de vie influencent tant le niveau de mobilité totale que le partage modal. L’offre de transport ne se résume pas aux dimensions vitesse et prix, mais intègre aussi fréquences, lisibilité des horaires, confort, ponctualité, fiabilité : ces éléments participent aux choix de déplacements. Toutefois, lors du chapitre 2, nous avons pu voir l’ampleur de l’impact des facteurs croissance économique et revenus, vitesse et prix sur les déplacements : triplement du nombre de déplacements entre premier et dernier quintile de revenu, changement radical de répartition modale entre le segment des déplacements professionnels à longue distance et les déplacements personnels de courte et moyenne distance. Ces facteurs semblent a priori être les principaux facteurs explicatifs mesurables.

Le caractère agrégé des variables explicatives nous semble soulever davantage de difficultés en termes de pertinence. Pour la vitesse ferroviaire, une même variation de temps de parcours revêt des impacts différenciés suivant la tranche de temps de parcours initiale. Une même vitesse moyenne à l’échelle nationale peut correspondre à des structures de vitesses différentes donc à des impacts différents sur les trafics. Ne pouvant segmenter les trafics, et afin de contourner cet écueil, nous avons construit une variable de vitesse ferroviaire amendée qui prend en compte les effets de seuil dans la concurrence air/fer. Cet indicateur privilégie les variations de temps de parcours sur les seules tranches horaires où s’effectue le basculement de l’air vers le fer et traduit l’efficacité de la structure des vitesses. En matière de coût de transport, les politiques de prix se sont affinées au cours des dernières années, avec le développement du yield management. Il aurait été souhaitable de segmenter les trafics ou de retravailler les indicateurs de prix de l’air et du fer de façon à intégrer un effet de structure (comme pour la vitesse ferroviaire) mais nous nous sommes heurtés à un problème de mesurabilité : nous ne connaissons pas l'évolution des produits moyens par liaison. Les concepts de produit moyen de l'air ou du fer perdent dès lors une partie de leur signification. Lorsque l'évolution du produit moyen est de grande ampleur par rapport aux fluctuations des prix, comme ce fut le cas pour l'aérien pendant les années 1980, il est vraisemblable que l’impact de la baisse globale du produit moyen l'emporte sur la variabilité des prix. En revanche, lorsque le produit moyen fluctue peu, comme c'est le cas pour le fer, la variabilité des prix risque de jouer un rôle aussi important que l'évolution de produit moyen et les élasticités au produit moyen obtenues sont à prendre avec une certaine prudence.

Les modèles retenus (équations de demande directe d’une part et modèle « mixte » d’autre part) ne sont pas totalement cohérents sur le plan interne, puisque certaines élasticités globales obtenues à l'issue de l'association des différentes équations du modèle présentent un signe non conforme à la logique économique. Ainsi, dans le cadre du modèle génération / partage modal air et fer, l'élasticité du trafic aérien par rapport à l’indicateur de vitesse ferroviaire est légèrement positive et celle du trafic ferroviaire par rapport au prix de l'aérien est légèrement négative. Toutefois les élasticités en question sont de faibles ampleurs en valeur absolue (de l'ordre de 0,1) : ces élasticités sont davantage à interpréter comme une non significativité de l'impact des facteurs explicatifs que comme une non cohérence interne du modèle ; ces anomalies de signes ne sont pas de nature à remettre en cause l’opérationnalité des modèles. Les autres élasticités des modèles retenus ont un signe pertinent, conforme à la logique économique. Par ailleurs les trafics observés se révèlent parfaitement bien reconstitués.

Même si certaines élasticités sont à prendre en ordre de grandeur compte-tenu des limites d’opérationnalité précédemment mentionnées, les modélisations effectuées ont permis de mettre en évidence les poids respectifs des principaux déterminants de la longue distance. Le présent travail permet ainsi d’éclairer les évolutions de la longue distance sur les prochaines années, ainsi que les leviers d’action possibles. La croissance économique devrait entraîner une progression importante des trafics tant autoroutiers qu'aériens avec une élasticité largement supérieure à 1. L'élasticité du trafic ferroviaire à la croissance économique semble plus modeste, même si elle est à prendre avec une certaine précaution, compte-tenu de la superposition au sein du trafic ferroviaire de modes lents et rapides (TGV et trains classiques). Parmi les leviers d’action qui peuvent être mis en œuvre pour influencer le niveau de mobilité et le choix modal, une politique d’extension du réseau TGV permettrait de dynamiser le trafic ferroviaire, mais se révèle insuffisante pour contenir la croissance des trafics aériens et routiers. L'extension du réseau autoroutier est de nature à augmenter des trafics sur autoroutes concédées, bien que dans des proportions très inférieures à l'impact de la croissance économique. Les variations de prix ont un impact significatif sur les niveaux de trafic. L’élasticité du trafic autoroutier par rapport au coût du trajet autoroutier est ainsi de -0,6. Une augmentation du coût de l’autoroute, qu’elle soit liée à un prix du baril plus élevé ou à des hausses de taxes sur les carburants internalisant les coûts externes, constitue un levier fort de modération des trafics automobiles. Pour les modes aériens et ferroviaires, il est difficile de produire des valeurs fermes d’élasticités par rapport aux prix car les politiques tarifaires et la variabilité des prix comptent autant que les évolutions globales de produit moyen. Les modélisations montrent néanmoins qu’il existe une sensibilité significative des trafics par rapport au prix : l’outil tarifaire constitue là aussi un levier d’action. Les marges de manœuvre de l'action politique restent toutefois limitées face à l'impact très fort de la croissance économique.

En termes d'approfondissements possibles, il pourrait être intéressant d'affiner les variables explicatives des modèles. L'indicateur de vitesse ferroviaire a été calculé à partir des principales radiales mais nous pourrions affiner cet indicateur en l’évaluant à partir d’un zonage plus fin, ou en intégrant des origines-destinations transversales. La prise en compte des politiques de prix est plus délicate à effectuer, compte tenu de l'absence de données dans ce domaine. Il nous semble toutefois que la seule façon d'améliorer significativement la qualité du modèle serait de pouvoir segmenter les trafics en classes d’origines-destinations homogènes. Les bases de données à notre disposition n’ont pas permis une telle décomposition dans le cadre de ce travail. La connaissance de matrices origines-destinations ferroviaires sur une période temporelle longue permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives. Par ailleurs, l’éventualité d’une enquête transport en continu pourrait être la source de nouvelles réflexions sur les méthodes de modélisation envisageables.