Les critères formels

Toutefois, dans certaines langues un genre va également être attribué aux noms désignant les inanimés, ne pouvant être catégorisés sur la base du sexe biologique. Le seul critère sémantique n’est alors plus suffisant pour effectuer la classification des mots. Afin de pallier à cette déficience, il est utilisé ce qui est génériquement appelé les critères d’ordre formel. Il s’agit de règles dépendant plus de la structure du mot que de son sens, et c’est ce que nous appellerons les marques morphosyntaxiques et/ou phonologiques comme le sont les terminaisons. Si l’on prend comme référence l’espagnol, les mots terminant par –a sont généralement féminins, tandis que ceux finissant par –o sont masculins. En français, plusieurs recherches (Taft & Meunier, 1998 ; Tucker, Lambert & Rigault, 1977) ont également mis en évidence le fait qu’il était possible d’extraire des règles d’assignation de genre basées sur la forme phonologique et sur la terminaison des substantifs. Ainsi, il a pu être spécifié que 98 % des noms se terminant par le suffixe –ette sont féminins (e.g. une fourchette Vs un squelette), alors que la terminaison –al est exclusivement attribuée aux items de genre masculin (e.g. un bocal, un canal, etc.). Néanmoins, les terminaisons ne sont pas toutes fortement prédictives d’un genre. Il devient alors très difficile de déterminer le genre d’un mot sur la simple base des terminaisons. Par exemple, 47% des noms se finissant par –ange sont féminins (e.g. une orange) alors que les 53% restant sont masculins (e.g. un mélange). A cette constatation il faut rajouter que la forme orthographique des noms varie parfois considérablement de la réalisation phonétique (e.g. abricot et ciseau présentent le même phonème final /o/ alors que graphiquement les terminaisons ne sont pas équivalentes), ce qui va rendre la classification en français beaucoup moins transparente par rapport à des langues tel que l’espagnol où les règles ne permettent qu’un faible nombre d’exceptions (e.g. la mano [la main] ; un problema [un problème]). Il est possible d’en conclure qu’en français le système de catégorisation grammaticale est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait puisqu’il repose à la fois sur des principes sémantiques et formels, mais que la catégorisation dans telle ou telle classe de genre est surtout arbitraire (Corbett, 1991). En effet, pour les mots désignant des animés, la correspondance entre le genre grammatical et le sexe du référent est effectuée pour les êtres humains (e.g. un voisinmascVs une voisinefem) et les animaux domestiques (e.g. un chatmascVs une chattefem), ce qui ne représente au total que 10 % des substantifs. En ce qui concerne les inanimés, selon Andriamamonjy (2000) seul 63% de l’ensemble des mots composant notre vocabulaire possède une terminaison prédictive d’un genre grammatical, pour 23% ayant une terminaison peu ou pas prédictive et 14% avec une terminaison phonético-morphologique ambiguëe.

Donc bien que s’appuyant sur des indices d’ordre formels l’attribution d’un mot à une catégorie de genre ou à l’autre reste encore très arbitraire. En effet, pourquoi va-t-on dire le soleil mais la lune en français, alors que dans le même temps soleil est un mot féminin et lune masculin en allemand ? Quels sont les indices spécifiques d’une langue donnée et appartenant au mot qui permettent sa catégorisation dans l’une des différentes classes de genre ?Mais malgré une complexité due à ses particularités, le genre grammatical est acquis très rapidement et sans effort apparent par les jeunes enfants (Karmilofff-Smith, 1979), tandis que paradoxalement les locuteurs adultes non francophones devant apprendre le français sont confrontés à la difficulté de son apprentissage. Il semble que même après avoir été immergés dans cette langue durant des années, les apprenants ne maîtrisent jamais vraiment totalement son articulation, ce qui va essentiellement se traduire par des erreurs de catégorisation. De par l’aisance avec laquelle il est traité chez les locuteurs natifs, le genre grammatical constitue un paradigme privilégié pour l’étude des processus de reconnaissance de mots.

Maintenant que nous avons défini le nombre de classes de genre composant notre système langagier, ainsi que la manière dont d’effectuait l’assignation d’un mot dans une classe de genre donnée, nous allons exposer les règles d’accords régissant l’inclusion d’un mot dans une phrase, et plus précisément le rôle du genre dans ces processus d’ordre syntaxique.