Etudes électrophysiologiques

Plus récemment, plusieurs études mettant en jeu des techniques électrophysiologiques ont exploré le décours temporel de l’encodage des indices conceptuels, sémantiques et phonologiques lors de la dénomination d’images. Van Turennout, Hagoort et Brown (1997) furent les premiers à utiliser le LRP 5 (Lateralized Readness Potential) pour détecter la séparation temporelle existant entre le moment où les informations sémantiques et phonologiques devenaient disponibles lors de la production de parole. Le LRP est une onde cérébrale liée à la préparation motrice en vue d’une réponse spécifique volontaire. Sa caractéristique principale est d’être générée dans l’hémisphère controlatéral à la main exécutant le mouvement, que ce dernier soit effectué ou pas (essais go et no-go). Chaque essai se passait de la façon suivante : avant de nommer une image, les sujets devaient juger du caractère animé/inanimé de l’objet (réponse pour animé avec une main et inanimé avec l’autre), la commande d’exécuter la réponse étant fonction de la lettre initiale. Des résultats recueillis, les auteurs en avaient conclu que le processus d’encodage des informations sémantiques précédait d’environ 120ms le traitement des indices phonologiques. En utilisant un paradigme similaire, Van Turennout et collaborateurs (1998, 1999) ont par la suite montré que lorsque des informations de type syntaxique, comme le genre grammatical, déterminaient la main de réponse, un LRP se développait lors des essais go et no-go, alors même qu’elle n’était pas générée lorsque la main exécutant le mouvement dépendait d’indices phonologiques. Le décalage temporel mesuré entre le traitement des caractéristiques syntaxiques et phonologique était d’au moins 40ms. Inspirés par ces travaux, Schmitt, Rodriguez-Fornells, Kutas et Münte (2001) utilisèrent, en plus de le LRP, la N200 6 (onde négative préfrontale développée lors d’une inhibition de réponse) pour montrer que l’encodage sémantique et syntaxique étaient séparés par un intervalle de 80ms, et que le décalage temporel entre le traitement de caractéristiques sémantiques et phonologiques était d’environ 90ms (Schmitt, Schiltz, Zaake, Kutas & Münte, 2001). Toutes ces données que nous venons d’énoncer, quelles soient chronométriques ou électrophysiologiques supportent et consolident l’idée de la bipolarité de l’accès aux mots stockés dans le lexique mental, lors de la production de parole, se fait via un processus en deux étapes : un traitement syntaxique suivi par un encodage phonologique.

Comme nous venons de le détailler, le modèle d’accès lexical en deux étapes est largement approuvé par un grand nombre d’études faisant intervenir différentes langues, mais également des techniques très diversifiées. Il perdure néanmoins certaines incertitudes quant au contenu et à la dynamique du traitement des représentations lexicales : (1) quelles sont les caractéristiques exactes du lemme ; et (2) les modules conduisant à la sélection lexicale et l'encodage phonologique, vont-ils interagirent, c'est-à-dire est ce que les informations concernant la forme d'un mot vont influencer la récupération du lemme ?

La partie suivante va s’attacher à exposer les différentes problématiques soulevées par ces deux questions, ainsi que des divers modèles théoriques en ayant découlés.

Notes
5.

Pour plus de détails sur la LRP voir l’introduction de l’axe 2 du chapitre 2.

6.

Traditionnellement, dans une tâche de go-nogo, les participants doivent presser un bouton pour la moitié des stimuli (i.e. essais go), alors que la réponse motrice se doit d'être supprimée pour l'autre moitié (i.e. essais no-go). Cette tâche fut largement employée dans les recherches neuro-électrophysiologiques. Ces dernières ont conduit à l'identification d'un Potentiel Evoqué appelé N200 (ou N2 no-go) chez l'humain par mesure des ERPs (Nakata, Inui, Nishihira, Hatta, Sakamoto, Kida, Kakigi, 2004 ; Eimer, 1993 ; Pfefferbaum, Ford, Weller, & Koppel, 1985), ainsi que chez les singes par enregistrement des ondes via des électrodes implantées dans le crâne (Sasaki, Gemba, Nambu, & Matsuzaki, 1993 ; Gemba & Sasaki, 1989 ; Sasaki & Gemba, 1986, 1989). Cette onde spécifique des essais no-go représente une modification de l'activité cérébrale dans la zone fronto-centrale du scalp se caractérisant par un pic entre 250 et 350ms après l'apparition du stimulus no-go. Cet effet reflète l'opération d'un mécanisme cognitif d'inhibition top-down (i.e. descendant) conduisant à la suppression de la tendance incorrecte à répondre. Ce mécanisme d'inhibition est supposé opérer au niveau de l'exécution de la réponse et sert à supprimer l'activité motrice pour les essais no-go.