La sélection des déterminants selon les modèles sériel, interactif et en réseaux indépendants

Le modèle d’indépendance des caractéristiques

La question de la séquentialité des événements conduisant à la sélection des articles en français a déjà été effleurée dans une étude antérieure menée par Alario & Caramazza (2002) dont nous allons redécrire les principaux résultats pertinents. La première tâche employée correspondait à un protocole de dénomination avec interférence image-mot. Il était simplement demandé aux participants de nommer des images représentant des objets inanimés ayant pour première lettre une consonne. Les mots cibles devaient être précédés par l’article défini congruent (e.g. "la table" ), tout en ignorant le mot distracteur écrit en dessous de l’image. Différents distracteurs ont été exploités : (1) soit ils avaient le même genre que l’image et étaient phonologiquement non reliés à la cible ; (2) soit ils étaient non phonologiquement reliés et incongruent en genre ; (3) soit ils étaient phonologiquement reliés et incongruents en genre. Les résultats indiquaient que les latences de dénomination n’étaient pas affectées par le genre, alors que les temps de réaction étaient significativement réduits lorsque le mot cible et le distracteur ne présentaient pas de similarité phonologique, comparé à la condition où ils étaient reliés. Si la présence d’un effet phonologique valide la technique employée, de l’absence d’effet de genre les auteurs en avaient conclu que la sélection d’un article ne s’effectuait que lorsque les caractéristiques syntaxiques et phonologiques étaient entièrement spécifiées. L’hypothèse de sélection tardive (i.e., the late selection hypothesis) qui en découle vient confirmer les résultats obtenus pour des études conduites dans d’autres langues romanes tel que l’italien, l’espagnol ou le catalan : lors de paradigmes d’interférence, le genre du distracteur ne modifie pas la vitesse de dénomination de l’item cible (Costa,Sebastián-Gallés, Miozzo & Caramazza, 1999 ; Miozzo & Caramazza, 1999).

Dans les expériences 2 & 3, les sujets devaient cette fois-ci nommer des images dans deux contextes phrasiques minimums : (1) soit le nom était précédé par l’article possessif congruent (e.g. mon étoile), (2) soit par l’article possessif pertinent et par un adjectif (e.g. ma nouvelle étoile). Dans l’expérience 2, les images dont la représentation lexicale débutait par une consonne étaient nommées plus rapidement avec un article possessif valide lorsque leur genre était féminin plutôt que masculin. D’un autre côté, pour les mots initialisés par une voyelle, l’effet obtenu était plus traditionnel et montrait que les noms masculins prenaient significativement moins de temps pour être nommés que les féminins. Dans l’expérience 3, si la cible et l’adjectif présentaient des phonèmes initiaux de nature différente (une voyelle pour l’un et une consonne pour l’autre) les latences de dénomination augmentaient comparé à la condition où amorces et cibles portaient un premier phonème de nature identique (soit deux voyelles, soit deux consonnes). Les auteurs en étaient arrivés à la conclusion que ni le modèle sériel, ni le modèle interactif de la production de parole ne pouvaient expliquer le pattern de résultats obtenus. Pour expliquer la manière dont s’effectue la sélection des déterminants ils ont ainsi proposé une hypothèse alternative, c'est-à-dire le modèle en réseaux indépendants, tout en y amenant certaines modifications (ou independant features hypothesis 9 ). Selon cette dernière les informations de genre et phonologiques activeraient indépendamment la forme appropriée de l’article.

Deux conclusions essentielles pour le modèle de sélection des déterminants en français ont été extraites par les auteurs de ce patron de résultats : (1) tout d‘abord, le processus de récupération des déterminants serait un mécanisme relativement tardif de la production verbale dans les langue romanes contrairement aux langues germaniques où la sélection des articles est considérée comme précoce ; et en second lieu (2), les informations phonologique et de genre seraient toutes deux impliquées durant le processus de sélection bien que leur action soit indépendante. Les caractéristiques de genre, puis celles se référant à la forme des mots vont pré-activer la forme congruente de l’article avant sa complète activation.

Voyons maintenant comment la sélection des articles est perçue selon les modèles sériels et en cascade.

Notes
9.

Nous utiliserons toutefois le terme générique de modèle en réseaux indépendants.