Prédictions

La question que l’on peut dorénavant se poser est celle des mécanismes potentiels conduisant à la sélection des déterminants et plus particulièrement des articles indéfinis et possessifs en français. Afin d’y répondre, nous avons monté un set d’expériences comprenant : deux tâches de catégorisation en genre (selon les articles indéfinis et selon les possessifs, i.e., Expériences Ia et Ib) et une catégorisation phonologique (expérience II), toutes précédées par une tâche de dénomination. Ces deux protocoles faisaient intervenir des images représentant des objets inanimés. Deux principaux facteurs ont été manipulés : la nature du premier phonème (voyelle Vs consonne) et le genre grammatical (féminin Vs masculin).

La première partie de chaque expérience correspondait à une tâche de dénomination d’images. Le but était en plus de définir une ligne de base pour les tâches de catégorisation, de déterminer si les informations phonologiques ainsi que les indices de genre influençaient le processus d’accès au lexique.

Nous continuerons par l’exposé de deux tâches de catégorisation en genre : soit la réponse s’effectuait sur la base de déterminants dont la sélection est indépendante des indices phonologiques (expérience Ia), i.e. les articles définis ; soit elle s’opérait selon des déterminants dont la sélection est dépendante de la nature du premier phonème du nom subséquent, (expérience Ib) i.e. les articles possessifs. D’après les données collectées par Alario et Caramazza (2002), nous nous attendons à trouver, lorsque la catégorisation s’opère en fonction des possessifs, un effet de phonème ainsi qu’un effet du genre sans interaction entre ces deux facteurs, puisque ces informations sont indispensables à la sélection de la forme valide de l’article. Par contre, pour le cas des déterminants indépendants, seul un effet de genre est attendu, les indices phonologiques n’étant pas nécessaires à leur sélection. Le modèle en cascade lui, prédit l’obtention d’effets de genre et de phonème quelque que soit le type de déterminant impliqué dans la décision de genre, puisque les modules régissant le traitement des ces informations sont activés en parallèle et qu’ils interagissent constamment. Enfin, selon le modèle sériel, aucun effet n’est attendu quels que soit la condition et le type d’article employé, puisque la sélection des déterminants n’intervient qu’une fois toutes les informations indispensables compilées. Voyons à présent un peu plus détail les différentes prédictions.

En vue de départager les différents modèles d’accès au lexique en production, nous comparerons aussi les moyennes des latences obtenues pour chacune des tâches de décision de genre. Rappelons qu’il est possible de poser trois hypothèses distinctes en se qui concerne la sélection des articles en français : (1) Selon le Modèle Sériel, on a d’abord une extraction du lemme, qui va servir de représentation d’entrée au mécanisme conduisant à l’activation du lexème. La sélection du déterminant va donc nécessiter d’abord que toutes les informations soient mises à la disposition du système de récupération. Une fois activées, ces informations vont agir ensemble comme une unité qui aurait pour rôle de sélectionner le bon déterminant. Si l’on prend le cas des articles possessifs, ce n’est que lorsque le genre (féminin) et le premier phonème (voyelle) ont été déterminés que va se faire la sélection de la forme appropriée (/mon/). Le modèle sériel prédit que les temps de réaction ne seront pas significativement différents lorsque les sujets doivent catégoriser un nom en fonction des articles un/une ou mon/ma, puisque l’activation de la forme congruente ne se fait qu’une fois l’ensemble des informations extraites. (2) Selon le modèle en cascade, par contre, les mécanismes responsables de l’extraction du lemme et de la forme du mot sont activés dans la même fenêtre temporelle et les différents niveaux de traitement ont une influence les uns sur les autres. Si cette hypothèse se vérifie, alors nous devrions trouver des latences divergentes en fonction du type de déterminant sur lequel se base la tâche : à savoir, des temps de réaction plus courts pour les articles indéfinis que pour les possessifs. De plus, les résultats devraient aussi montrer la présence d’une interaction entre les deux variables (i.e. nature du premier phonème et genre grammatical du mot suivant) dans le cas spécifique des possessifs, puisque les deux indices interviennent dans la détermination du code pertinent. C’est en point précis que diverge l’hypothèse d’indépendance des mécanismes soutenue par Alario et Caramazza (3). En effet, ces deux auteurs ont proposé une alternative aux deux précédentes hypothèses (i.e. modèle en Réseaux Indépendants). Les informations dès quelles sont disponibles (i.e. genre & phonologie) vont contribuer de façon indépendante à l’activation de la forme correct de déterminant. Il y aurait tout d’abord une pré-activation des deux formes mon et ma lorsque le genre de l’item est connu (féminin), puis une sélection en fonction de la première lettre du mot, /mon/ si il s’agit d’une voyelle. Donc, si l’on se réfère au modèle en RI, alors la catégorisation en fonction des articles indéfinis s’effectuera plus rapidement que celle impliquant les articles possessifs. Ceci s’explique par le fait que seule l’information de genre est nécessaire à la sélection de la forme un ou une, alors que pour les possessifs, les informations de genre et les indices phonologiques doivent être tous deux disponibles. A noter également, que dans le cas précis des possessifs, nous nous attendons à trouver une indépendance des facteurs genre et phonème.

Pour terminer, et toujours selon les données issues de l’étude menée par Alario & Caramazza, nous nous attendons, contrairement à des langues tel que l’allemand, à ce que la sélection intervienne relativement tardivement au cours du processus. En effet, dans les langues romanes tel que le français, les informations phonologiques se doivent d’être préalablement extraites avant que ne puisse s’opérer la sélection du déterminant.

Dans la seconde expérience, c'est-à-dire la catégorisation phonologique, il était demandé aux sujets de catégoriser une série d’images sur la base d’indices phonologiques, ou plus précisément en fonction de la nature du premier phonème. Les résultats obtenus nous permettrons de définir quelles sont les informations influençant le traitement du lexème, c'est-à-dire de la forme du mot. Si un effet de phonème est observé alors cela signifiera que les informations phonologiques ont été extraites. Parallèlement si nous observons une variation des latences en fonction du genre des mots, nous pourrons en conclure que les informations syntaxiques sont disponibles lors de la sélection du lexème et quelles influences le processeur phonologique.