Le niveau sous-tendu par les tâches

Nous avons détaillé dans le chapitre théorique les différents modèles psycholinguistiques expliquant les processus conduisant à l’extraction de mots isolés en production du français. Pour résumer, trois composants majeurs se distinguent lors de ce mécanisme : l’encodage grammatical, phonologique et phonétique. L’étape d’encodage grammatical correspond à l’extraction des caractéristiques lexicales du lexique mental. L’étape de traitement phonologique implique une analyse des caractéristiques de la forme des noms, alors que la dernière étape entraîne la récupération des unités syllabiques et le départ de l’articulation.

Une notion extrêmement importante des modèles en cascade, est qu’une de ces étapes peut débuter alors que la précédente n’est pas totalement achevée, ceci à partir du moment où les informations minimales et essentielles ont été extraites. Si nous faisons l’hypothèse que le moment auquel une information particulière est encodée ne peut être comprise indépendamment de son rôle lors des processus de production du langage, il apparaît alors que deux unités linguistiques de même nature peuvent être traitées au même niveau linguistique avec toutefois un certain un décalage temporel si elles ne véhiculent pas des contraintes identiques sur le processus d’encodage des noms. De plus, en partant du postulat selon lequel la durée nécessaire pour effectuer une tâche cognitive, soit les temps de réaction, est un indicateur du niveau touché (i.e., un processus plus lent est sensé être effectué après un processus plus rapide et les latences de réponse représentent une mesure du résultat ou finalité de ce phénomène), alors deux processus peuvent débuter en même temps tout en présentant des TRs différents. Il est également possible de supposer qu’un processus plus lent a en fait commencé avant le processus plus rapide, mais que la complexité de son traitement requière un plus long délai afin d’être achevé. Il devient donc évident que la relation existant entre les tâches expérimentales et les niveaux/processus impliqués n’est pas claire.

Par exemple, nous avons vu antérieurement que la production de parole pouvait s'expliquer par deux principaux modèle : (1) dans le premier, dit sériel, l'accès aux items lexicaux dépend de la combinaison de concepts sémantiques représentant la signification du mot ; alors que le second modèle (2), dit parallèle, suppose que l'accès au concept abstrait est suffisant pour dénommer un objet. Dans ce cas les diverses caractéristiques sémantiques peuvent être extraites parallèlement à l'extraction de la forme lexicale. Les résultats de Van Turennout et al (1997, 1998, 1999) et de Schmitt et al (2001a, 2001b) se portent en faveur du modèle sériel. Toutefois, Abdel Rahman et Sommer (2003), en manipulant le degré de difficulté sémantique lors d'une réplication de la tâche tendent à prouver que le modèle parallèle serait plus à même d'expliquer les résultats. En effet, selon eux le traitement des indices phonologiques ne serait pas contingent au traitement prioritaire des informations sémantiques. Les deux processus débuteraient dans la même fenêtre temporelle, donc plus ou moins en même temps. Le traitement sémantique prendrait fin simplement plus tôt que la phonologie. Ceci implique qu'une désynchronisation visible au niveau des latences de réponse n'implique pas forcement une sérialité stricte des processus mis en jeu.

Concernant le niveau de traitement sous tendu par les tâches nous ne pouvons que poser les hypothèses suivantes afin de pouvoir interpréter les résultats : (1) les effets que nous obtiendrons dans la tâche de catégorisation phonologique nous apporterons des indications quant aux mécanismes conduisant à l’extraction du lexème. (2) La tâche de catégorisation selon les articles offrirait une représentation de la façon dont les locuteurs sélectionnent les déterminants. Il est bon, toutefois, de garder un mémoire que cette procédure présente une forte composante métalinguistique et par là même elle pourrait indexer un processus antérieur, telle que la manière dont les sujets accèdent au lemme lui même.

La prochaine partie va donc s’attacher à retracer les différentes méthodologies appliquées, ainsi que les résultats obtenus. Nous verrons tout d’abord la tâche de dénomination, puis celles de catégorisation en genre en fonction, soit des articles indéfinis, soit des possessifs, avant de terminer sur la catégorisation phonologique. Les passations expérimentales ont pris place au Laboratoire de Psycholinguistique Expérimentale de l’université de Genève.