Tâche de dénomination

Sur les 53 sujets ayant passé la tâche de dénomination (24 dans l’expérience I et 29 dans l’expérience II), les données de deux d’entre eux ont été perdues en raison d’une déficience d’enregistrement au niveau de la clé vocale et un troisième pour avoir répondu à 100% en dehors de la limite temporelle imposée. Aucun des sujets restant n’a effectué plus de 20% d’erreurs. Sur les 64 items expérimentaux ont été écartés 8 mots, c'est-à-dire pour chaque catégorie de phonème, les deux noms ayant occasionné le plus fort pourcentage d’erreurs sur l’ensemble des tâches (dénomination, décision phonologique et décision de genre). Donc, n’ont pas été pris en compte les mots suivants : ardoise, agrafeuse, bétonnière, bouclier, écran, égouttoir, pelote et plateau. L’analyse portait au final sur 50 sujets et sur 56 items.

L’étape suivante correspondait à la mise en place d’un filtre relatif sur les temps de réponse : (1) le premier filtre posé a permis d’exclure les outliers définis comme les temps supérieurs ou inférieurs à trois déviations standard de la moyenne de chaque sujet ; (2) sur les données ainsi obtenues, un second filtrage fut opéré consistant en l’élimination des temps inférieurs à 300ms et supérieurs à 1900ms.

Une fois le filtrage effectué, les données manquantes ont été remplacées par une valeur (X). Une donnée manquante (DM) étant définie par l’absence de réponse. La valeur X correspondait à :

X= MoyCondition + (MoySujet - MoyGénérale)

Le pourcentage d’outliers était de 1,8% et celui des DM de 1,1%. Pour le calcul des taux d’erreurs, n’ont été considérées comme erreurs uniquement les données pour lesquelles les sujets n’avaient pas dénommé correctement les images. Donc n’ont pas été pris en compte ni les essais hors temps, ni les données manquantes. Pour le calcul des taux d’erreurs la formule suivante a été appliquée, afin de pondérer les pourcentages par le nombre de DM par condition et par sujet :

Nombre d’erreurs/ (Nbs Total de données – Nbs de données manquantes)

Ce qui donne un total de 78 erreurs pour les 50 sujets et les 56 items, soit un total de 2,8% d’erreurs. Les résultats de la tâche de dénomination sont présentés dans le tableau 9.

Les analyses statistiques ont été exécutées à l’aide du logiciel Statview sur les temps de réaction des données correctes par sujet (F1) et par item (F2). On été regroupées les latences en fonction de la nature du premier phonème : les voyelles /a/ et /é/ d'un côté, et les consonnes /b/ et /p/ de l'autre.

Selon l'analyse de variance à deux facteurs [Phonème (voyelle vs consonne) * Genre (masculin vs féminin)], il apparaît que les temps de réponse varient en fonction du Phonème initial par sujet et tendent à la variation par item [F1 (1,49)=24.32, p<.0001 ; F2 (1,2)=3, p=.089]. Plus exactement les sujets effectuent la tâche de dénomination plus rapidement lorsque les mots débutent par une consonne (702ms) plutôt que par une voyelle (740ms).

Il est à noter également que les temps de réaction varient significativement en fonction du Genre grammatical des mots prononcés par sujet [F1 (1,49)=16.70, p=.0002 ; F2 (1,52)=2.02, p=.162]. En effet, les items masculins prennent plus de temps pour être produits (736ms) que leurs homologues féminins (706ms). L’interaction entre les deux facteurs, à savoir le Phonème et le Genre n’est pas significative [Fs<1].

Tableau 9 : Moyennes des temps de réaction et pourcentages d’erreurs pour la tâche de dénomination. NOTE : Pour la tâche de dénomination d’images, sont donnés les moyennes de temps de réaction (TRs, ms), les déviations standards (SD) et les taux d’erreurs en fonction du phonème initial (voyelle Vs consonne) et du genre (féminin Vs féminin). Sont également notés les effets de genre par phonème ainsi que leur significativité statistique (valeur de p).
Phonème initial voyelle Consonne
Genre Fem Masc Fem Masc
Moyenne des TRs (ms) 731 749 681 723
Fem-masc -18 -42
Significativité - .0002
Déviation standard 106 100 87 106
Taux d’erreurs .038 .034 .019 .022

En second lieu, nous avons procédé à une analyse des pourcentage d’erreur via une analyse de variance à deux facteurs [Phonème (voyelle vs consonne)* Genre (masculin vs féminin)]. Cette dernière démontre que la tâche est significativement plus difficile pour les mots commençant par une voyelle (0,036) que ceux par une consonne (0,02) mais uniquement par sujet [F1 (1,49)=6.89, p=0.0115 ; F2 (1,52)=2.34, p=132]. Aucun effet de genre, ni interaction ne sont trouvés [Fs<1].

Des résultats de la tâche de dénomination nous pouvons tirer deux principales conclusions : tout d’abord les temps de réaction sont sujets à variation en fonction de la nature du premier phonème et deuxièmement, les latences divergent selon le genre des images.

L’effet de genre rappelle celui rapporté dans différentes études menées en compréhension (Bates Devescovi, Hernandez & Pizzamiglio, 1996 ; Chevaux & Meunier, soumis) : une réduction de la vitesse nécessaire au traitement des noms lorsque ces derniers sont féminins comparé aux masculins. Bien qu’actuellement aucune explication ne soit donnée à cet effet 12 , la présence d’un décalage entre les mots masculins et féminins suggère néanmoins que les informations de genre interviennent lors de la phase d’accès à la représentation lexicale.

En second lieu, nous avons mis en évidence une influence de la nature du premier phonème sur la vitesse des réponses, c'est-à-dire que les mots débutant par une consonne sont traités plus rapidement que ceux commençant par une voyelle. Cet effet peut s’expliquer de la manière suivante : il se mettrait en place, dans le cas des noms initialisés par une voyelle, un processus de ressyllabification (Gaskell, Spinelli & Meunier, 2002 ; Spinelli, McQueen & Cutler, 2003). En effet, en français lorsque la dernière lettre d’un mot est une consonne, une liaison va s’établir avec l’initiale du mot suivant, mais seulement si il débute par une voyelle (e.g. le dernier avion versus le dernier train). En effet, afin que la clé vocale puisse se déclencher, nous avions demandé aux sujets de faire précéder les noms par l’article interrogatif quel/quelle. Le code phonologique de ces derniers, bien qu’amplement nécessaire à l’activation de la clé, présentait également comme avantages majeurs de ne véhiculer oralement aucune information de genre et de ne point induire d’incongruence syntaxique au sein du syntagme ainsi défini. Le principe du mécanisme de ressyllabification implique que [l] final du pronom interrogatif va initialiser la première syllabe du mot suivant. Par exemple, le découpage du mot arbre, à savoir a.rbr.e va devenir la.rbr.e. La mise en place d’une étape cognitive supplémentaire pourrait être à l’origine du délai souligné entre les mots débutant par une voyelle et ceux par une consonne. Le fait qu’un mécanisme supplémentaire vienne s’insérer dans le processus conduisant à la dénomination des noms se trouve confirmé par la variation du nombre d’erreurs commises par les sujets selon la nature de l’initiale, c'est-à-dire un plus fort taux d’erreurs pour les mots ayant comme première lettre une voyelle.

Les informations phonologiques et de genre influencent donc les processus d’accès aux représentations lexicales lors de la production dénomination de mots, même lorsqu’ils sont précédés de déterminants non marqués pour le genre. Les moyennes des TRs vont être utilisées comme ligne de base pour les deux tâches de catégorisation. Voyons tout de suite les résultats fournis par les décisions de genre.

Notes
12.

Les différentes hypothèses quant à l’origine de cet effet seront données dans une partie précédente : chapitre 2, discussion générale de l’axe 1.