Expériences 1a et 1b : Tâches de catégorisation en genre

Trois sujets ont été écartés de l'analyse pour n’avoir effectué qu’une seule des deux tâches. Sur le groupe de 24 participants, les essais de 21 d’entre eux ont été conservés. Puisque les mêmes items expérimentaux (i.e. ardoise, agrafeuse, bétonnière, bouclier, écran, égouttoir, pelote et plateau.) ont été éliminés, les statistiques portaient au final sur les temps de réaction de 56 images. Une procédure de traitement des données similaire à celle utilisée au cours de la tâche de dénomination fut appliquée aux deux décisions de genre. Le pourcentage d’essais hors temps se montait à 1,7% pour l’expérience 1a (indéfinis) et à 2,1% pour l’expérience 1b (possessifs). Seulement 3 données manquantes ont été comptabilisées pour l’expérience 1a. Les données pour lesquelles les sujets ont fait une erreur de catégorisation représentaient 5,6% des essais pour la tâche impliquant les articles indéfinis et 4,85% pour les possessifs.

Les moyennes des temps de réaction et des pourcentages d’erreurs furent corrigées en fonction des valeurs de la ligne de base, c'est-à-dire les moyennes des latences et taux d’erreurs de la tâche de dénomination. Les données furent donc pondérées par calcul d’un indice selon la formule suivante (Chapman, Chapman, Curran, & Miller, 1994) :

(TR en condition X- Moyenne des TRs en condition X pour la ligne de base)

(Moyenne des TRs en condition X pour la ligne de base)

Les valeurs pondérées des moyennes par expérience (catégorisation selon les articles indéfinis et les possessifs) en fonction du genre et du premier phonème, ainsi que les effets obtenus sont présentés dans le tableau 10 pour les temps de réaction et dans le tableau 11 pour les pourcentages d’erreurs. Les effets ont été calculés de la manière suivante : Effet de Phonème = moyenne Voyelle- moyenne Consonne ; Effet de Genre : moyenne Féminin- moyenne Masculin.

Tableau 10 : Moyennes pondérées des temps de réaction pour les expériences 1a et 1b. NOTE : Pour les deux tâches de catégorisation en genre sont données les moyennes de temps de réaction (TRs, ms) des valeurs pondérées en fonction du phonème initial (voyelle Vs consonne) et du genre (féminin Vs masculin). Sont également rapportés les effets de genre et de phonème ainsi que leur significativité statistique (*p<.05 ; **p<.001).
  Expérience 1a : Indéfinis Expérience 1b : Possessifs
  Voyelle Consonne Moy. Effet Voyelle Consonne Moy. Effet
Féminin 0.011 0.029 0.020
Masculin 0.026 -0.002 0.012
0.008
0.160 0.173 0.166
0.037 0.035 0.036
0.130**
Moy. 0.019 0.013 0.016   0.099 0.104 0.102**  
Effet 0.006 -0.005    

Une analyse de variance à trois facteurs fut conduite sur les moyennes corrigées des temps de réaction par sujet (F1) et par item (F2). Les trois variables intra-sujets correspondaient à l’Expérience, donc au type d’article impliqué (Expérience 1a indéfini vs Expérience 1b possessif), à la nature du premier Phonème (voyelle Vs consonne) et au Genre (masculin Vs féminin). Les latences moyennes ont subi une analyse de variance à deux facteurs (Phonème * Genre) séparée pour chaque expérience. Concernant les items, sont rapportés les résultats de deux ANOVAs avec pour facteur l’Expérience et comme variable inter-item soit le Phonème, soit le Genre.

Les analyses ainsi conduites révèlent la présence d’un effet significatif de l’Expérience par sujet et par item [F1 (1,20)=15.54, p=.0008 ; F2 (1,54)=56,27, p<.0001] mettant en évidence que le temps nécessaire à la catégorisation varie en fonction de la tâche demandée : Il faut moins de temps pour décider si un mot peut être précédé par un ou une (0.016) plutôt que par mon ou ma (0.102).

De façon générale, la nature du Phonème initial n’influence pas les temps de catégorisation et ce dans les deux expériences, puisque l’effet de Phonème ainsi que son interaction avec la tâche et le Genre sont non significative [Fs<1].

On note la présence d’un fort effet de genre [F1 (1,20)=27.87, p<.0001 ; F2 (1,54)=20.20, p<.0001] : les images, dont la représentation lexicale est féminine sont traités moins rapidement que lorsque leur genre est masculin. Toutefois, cet effet principal est modulé par l’interaction du genre avec le facteur tâche par sujet [F1 (1,20)=64.63, p<.0001 ; F2<1] soulignant que le décalage temporel de traitement existant entre les féminins et les masculins est du aux données issues de la catégorisation selon les articles possessifs [F1 (1,20)=86.83, p<.0001; F2<1]. Ainsi aucun effet de genre est trouvé pour les articles indéfinis [Fs<1].

La triple interaction entre les facteurs Expérience, Phonème et Genre est non significative [Fs<1], ainsi que l’interaction entre le Phonème et le Genre [Fs<1].

Une analyse supplémentaire a été effectuée : nous avons comparé la moyenne des temps de réaction entre la condition ayant pour réponse l’article ma (items féminins commençant par une consonne) et les trois conditions appelant la réponse mon (noms masculins et mots féminins débutant par une voyelle). Il émerge une augmentation significative des latences lorsque l’item expérimental nécessite la réponse ma (moy. 0.173) plutôt que mon (moy. 0.122) [F1 (1,20)=9.43, p=.006].

Tableau 11 : Moyennes pondérées des pourcentages d’erreurs pour les expériences 1a et 1b. NOTE : pour les deux tâches de catégorisation en genre sont donnés les moyennes des taux d’erreursdes valeurs pondérées en fonction du phonème initial (voyelle Vs consonne) et du genre (féminin Vs féminin) ; les effets de genre et de phonème ainsi que leur significativité statistique (*p<.05 ; **p<.01 , ***p<.001).
  Expérience 1a : Indéfinis Expérience 1b : Possessifs
  Voyelle Consonne Moy. Effet Voyelle Consonne Moy. Effet
Féminin 1.27 2.04 1.66
Masculin 0.49 0.39 0.41
1.17*
0.83 4.55 2.69
-0.56 -0.85 -0.70
3.39***
Moy. 0.88 1.22 1.05   0.13 1.85 0.99  
Effet -0.34 -1.72**    

Les mêmes analyses ont été menées sur les moyennes des pourcentages d’erreurs corrigés.

Tout d’abord, les taux d’erreurs ne varient pas en fonction de l’expérience [Fs<1], ce qui signifie que les sujets procèdent aux deux tâches avec la même précision.

La nature du phonème initial influence les sujets puisque l’on observe une significativité de l’effet par sujet et une tendance par item [F1 (1,20)=9.09, p=.007 ; F2 (1,50)=3.815, p=.057] : les mots débutant par une consonne entraînent un plus grand nombre d’erreurs que ceux commençant par une voyelle. De par la tendance à l’interaction de ce facteur avec l’Expérience [F1 (1,20)= 3.65, p=.0704 ; F2 (1,50)=3.1, p=.084], il est possible d’en déduire que l’effet de Phonème apparaît lorsque la tâche implique les possessifs [F1 (1,20)=12.96, p=.0018 ; F2 (1,50)=9.43, p=.0035] mais pas avec les indéfinis [Fs<1].

Le Genre a également une incidence sur le nombre d’erreurs commises [F1 (1,20)=17.21, p=.0005 ; F2 (1,50)=15.94, p=.0002] : les items féminins sont plus difficiles à catégoriser que les masculins. Toutefois de par la présence d’une interaction entre ce facteur et la Tâche [F1 (1,20)=5,690, p=.0271 ; F2 (1,50)=8.71, p=.005], nous pouvons en déduire que bien que présent avec les article indéfinis [F1 (1,20)=5.04, p=.0363 ; F2 (1,50)=2.12, p=.15] et les possessifs [F1 (1,20)=15.58, p=.0008 ; F2 (1,50)=34.19, p<.0001], l’effet de genre est plus marqué et de plus grande amplitude lorsque la tâche de catégorisation se base sur la distinction mon/ma.

Pour terminer, les comparaisons soulignent l’interaction entre le Genre et le Phonème [F1 (1,20)=10.51, p=.0041 ; F2 (1,50)=5.54, p=.0025] et les trois variables (Expérience * Genre * Phonème) [F1 (1,20)=5.58, p=.0284 ; F2 (1,50)=4.48, p=.04] : la condition provoquant le plus fort taux d’erreurs est celle des mots débutant par une consonne de genre féminin pour la tâche faisant intervenir les articles possessifs. De plus comme pour les temps de réaction, la comparaison entre les conditions appelant la réponse ma et mon signale la présence d’un effet [F1 (1,20)=20.08, p=.0002] allant dans le sens où les sujets effectuent moins d’erreurs lorsque la réponse est mon (moy. 1.55%) plutôt que ma (moy. 4.55%).

Ces deux protocoles ont été conduits dans le but de déterminer si les informations de genre et les indices phonologiques pouvaient être impliqués lors de la récupération des déterminants. Trois résultats principaux ont été trouvés : (1) un ralentissement des latences de catégorisation pour les noms féminins par rapport aux masculins, selon les possessifs ; (2) une variation du nombre d’erreurs commises selon le facteur phonème lorsque la classification porte sur les articles possessifs, bien que les temps de réaction quant à eux ne subissent aucun changement ; et enfin (3) la tâche portant sur les indéfinis est procédée plus rapidement que celle sur les possessifs.

Alors que les données de la littérature rapportent un traitement équivalent des mots quelque soit leur genre lors de tâches de catégorisation, nous observons un ralentissement des latences pour les items féminins par rapport aux masculins, mais ceci uniquement lorsque la catégorisation fait intervenir les articles possessifs. Plusieurs implications à ce résultat : en premier lieu, les informations de genre interviendraient lors d’une étape antérieure au processus d’encodage phonologique dans le cas des indéfinis, par exemple lors de l’accès au lemme. Ceci se voit confirmé par l’obtention d’un effet de genre lors de la tâche de dénomination décrite précédemment. Les formes un et une seraient stockées avec le mot dans le lexique, et seraient donc extraites plus précocement que des formes plus complexes tel que les articles possessifs. Nous effectuerons ultérieurement une comparaison des temps de réaction pour les tâches de dénomination et de décision en fonction des indéfinis afin de valider cette hypothèse.

En second lieu, et selon les précédentes considérations, lorsque la catégorisation fait intervenir les possessifs, le système de sélection prenant place après extraction lexicale va être influencé par les signaux de genre. Pour être plus précis, il va être ralentit dans le cas des items féminins. Cette réduction de la vitesse de traitement est en partie causée par une augmentation de la difficulté de la tâche pour ces mots, puisque nous avons obtenu un plus grand taux d’erreurs pour les féminins que les masculins. Le processus de sélection des possessifs serait contraint par les indices de genre, et ce en sens inverse de ce que l’on peut voir dans d’autres études (Bates & al, 1996 ; Chevaux & Meunier, soumis). Les mots féminins induiraient soit la mise en place d’une étape supplémentaire, soit un ralentissement du système. Toutefois, il nous apparaît pertinent de souligner que, contrairement à nos attentes, ce ne sont pas les items féminins débutant par une voyelle qui ont posé le plus de difficultés aux sujets, mais plutôt les mots féminins dont l’initiale est une consonne (présence d’une triple interaction entre les facteurs tâche, phonème et genre). En effet, de par la forme mon spéciale attribuée aux mots commençant par une voyelle, nous nous attendions à trouver un traitement appelant un coût cognitif plus important. Une hypothèse quant à cet effet serait l’induction d’un biais par la constitution de notre set d’items expérimentaux. Comme nous le verrons plus précisément dans le paragraphe suivant, seulement 25% des réponses correspondait au code ma. Ce déséquilibre a pu induire les participants à établir des stratégies, ce qui aurait conduit à : (1) une plus grande précision de réponse pour les conditions appelant la forme mon, dont font partie les mots féminins débutant par une voyelle, et par conséquent (2) une augmentation du nombre d’erreurs pour les mots débutant par une consonne.

Il nous est possible actuellement de dire que les informations de genre interviennent lors de la sélection des déterminants en français, mais seulement dans certains cas, comme celui de la récupération des articles possessifs : le traitement des items féminins est ralentis par rapport aux masculins.

Les résultats des deux tâches de catégorisation en genre rapportent en second lieu une absence d’effet de phonème, que la catégorisation s’établisse selon les articles indéfinis ou selon les possessifs. Si il semble logique que la nature du premier phonème ne fasse pas varier les latences de réponses avec un/une, puisque la sélection de ces déterminants ne dépend que des informations de genre, nous nous attendions néanmoins à trouver un effet pour les possessifs comme ce fut le cas pour les données d’Alario et Caramazza (2002). Il semble que la nature du phonème n’influence pas le processus de sélection des articles. Il n’y aurait donc pas d’extraction préalable des indices phonologiques avant que ne s’opère l’activation de la forme pertinente du déterminant. Il existe toutefois une autre explication plausible à la non réplication des résultats d’Alario et Caramazza, à savoir un effet de phonème inexistant lorsque les sujets devaient décider du genre d’un nom sur la base de l’article possessif pertinent. Cette différence aurait pour source la présence ou non de fillers dans les listes expérimentales. En effet ces auteurs ont inclus, en plus des cinquante deux images, vingt six fillers non pris en compte dans les analyses. Ces images, dont le mot associé était de genre féminin et avait pour lettre initiale une consonne, ont été choisies dans l’intention d’équilibrer le nombre de réponse ma et mon. L’introduction d’une proportion égale de chaque forme de l’article aurait pu avoir comme effets : (1) de diminuer les temps de réaction dans la condition féminin-consonne par rapport aux autres conditions et (2) de provoquer une augmentation des latences dans la condition féminin-voyelle. Ceci se trouve confirmé par l’analyse des taux d’erreurs effectuée sur nos données. Cette dernière prouve que les sujets éprouvent une plus grande difficulté à catégoriser un mot féminin lorsque ce dernier débute par une consonne pour les possessifs. La raison semble donc résider dans la différence de fréquence de la forme ma comparé à la forme mon au sein de notre matériel expérimental : cette fréquence est plus faible chez nous (respectivement 25 et 75%), tandis qu’elle est contrebalancée chez Alario et Caramazza (50%). Se pose alors la question de définir lequel des matériaux expérimentaux se rapproche le plus de la structure réelle de la langue, et donc quels sont les effets attendus dans le contexte ‘naturel’ de production de mots. Le set d’images que nous avons utilisé se décomposait en égales parties (25% de chaque) en fonction du genre et du premier phonème, ce qui a entraîné l’émergence d’un déséquilibre entre le nombre de réponse ma (soit 25%) et mon (soit 75%). Alario et Caramazza ont quant à eux préféré contrôler la distribution des réponses selon la forme de l’article possessif, c'est-à-dire la forme du déterminant et avoir une proportion d’items féminin-consonne plus importante (50%) comparé aux autres conditions (16,6%). En partant du principe que le lexique se compose à 20% de mots débutant par une voyelle et à 50% de féminins 13 , le groupe d’items employé par ces auteurs se rapproche plus de la structure du lexique que le notre. De plus, dans un précédent article Costa et Caramazza (soumis) ont montré que si il est possible d’amorcer la forme de l’article, il est impossible d’amorcer le genre du nom. Par conséquent il serait préférable de contrôler la forme plutôt que le genre. De par la composition du lexique, ainsi que de par certaines évidences expérimentales, le matériel que nous avons utilisé au cours de cette étude ne semble pas être adapté pour recréer le contexte le plus ‘naturel’ possible. Il serait donc nécessaire de refaire cette expérience de catégorisation en incluant cette fois ci une plus grande proportion de mots féminins débutant par une consonne afin d’obtenir une distribution similaire du nombre de réponses pour chaque forme du possessif. Nous pourrions ainsi vérifier, d’une part si nos résultats répliquent ceux d’Alario et Caramazza et d’autre part, si l’absence d’interaction entre les effets de genre et phonologique est bien une conséquence d’un fonctionnement indépendant des modules de traitement de ces deux types d’indices et non pas d’une neutralisation par le contexte expérimental.

Nous allons à présent voir à quel modèle théorique de production de mot se rapportent nos résultats. Rappelons que le premier effet pertinent rapporté par les résultats est celui de l’influence des informations de genre lors de la catégorisation selon les articles possessifs : les mots féminins prennent plus de temps pour être traités que les masculins. A ceci vient se rajouter le fait que nous ne notons pas d’interaction entre les facteurs genre et phonème avec le possessif comme nous aurions pu l’attendre, du moins pour les mots féminins. En effet, il serait possible de supposer que l’utilisation de la forme masculine mon lorsque ces derniers débutent par une voyelle aurait entraîné un retard des réponse. De l’ensemble des données, il en résulte que l’effet de genre observé ne dépendrait pas des indices phonologiques. Cette observation est consistante avec le modèle en RI selon lequel le traitement des informations de genre et de la forme du mot seraient procédés par des réseaux agissant indépendamment les uns des autres. Ceci va également avoir pour conséquence l’invalidation de l’hypothèse d’activation par défaut de l’article ma pour les noms féminins, activation suivie d’une inhibition ou pas en fonction du produit de l’analyse phonologique. Une explication valide à l’absence d’effet du phonème initial serait que le choix de la forme de l’article possessif, i.e. mon ou ma, pour les items féminins serait effectué de façon plus précoce. Deux solutions sont alors probables : (1) les locuteurs ont déjà eu accès aux informations sortantes du processeur phonologique, mais bien qu’accessibles, ces caractéristiques ne seraient pas prises en compte au moment de la catégorisation ; (2) le décours temporel des deux processus ne serait pas identique. La récupération des informations de genre et phonologiques aurait débuté en même temps, mais que le traitement de la forme des mots serait plus long que celui du genre. Toutefois, quelque soit l’hypothèse proposée, elle favorise les modèles interactifs, en cascade ou en réseaux indépendants, et ce au détriment de la sérialité. A ce niveau d’analyse, nous ne pouvons cependant préciser lequel de ces deux modèles est le plus adéquat pour schématiser les processus conduisant à la sélection des déterminants. En effet, nous avons fait part d’une divergence de résultats par rapport à ceux d’Alario et Caramazza (i.e. absence d’effet de phonème pour les possessifs). De plus, les données de ces deux auteurs sont loin d’être claires : comment expliquer la présence d’une interaction entre les informations de genre et de phonème, se traduisant par une augmentation des latences dans la condition mots féminins commençant par une voyelle, par une indépendance des deux étapes de traitement ? A côté de ceci, une des observation détractrice du modèle en cascade est la suivante : bien que l’extraction des informations de genre et phonologiques semble être procédée par des circuits parallèles, nous n’avons pu définir si les processeurs agissaient indépendamment l’un de l’autre ou pas sur la récupération des déterminants. Plusieurs incertitudes persistant et afin de départager ces deux modèles, nous allons au cours du prochain chapitre mettre en place deux expériences impliquant les potentiels évoqués. L’enregistrement des ondes cérébrales, de par la très grande précision temporelle de la technique, nous permettra peut être d’affiner nos résultats et nous offrira la possibilité d’apporter une réponse plus précise à cette question théorique.

Pour terminer avec ces résultats, il est important de noter la présence d’un fort effet de tâche allant dans le sens où les participants procèdent plus rapidement à la catégorisation selon les articles indéfinis que selon les possessifs. Néanmoins, puisque le pourcentage d’erreurs n’est pas sujet à variation selon l’instruction donnée il en découle que les participants n’ont pas adopté de stratégies afin d’interpréter plus rapidement les données difficiles. Une explication serait plutôt que cet effet aurait pour base la mise en place d’une étape supplémentaire. Plusieurs hypothèses peuvent être posées quant à l’origine de ce décalage temporel. La première serait que le temps de catégorisation d’un nom selon la forme de son déterminant dépendrait en partie du nombre d’indices nécessaires à la sélection de ces derniers. En partant du principe que pour définir quelle est la forme appropriée de l’article indéfini les locuteurs n’ont besoin que des informations de genre, alors que pour les possessifs en plus de spécifier si le mot associé est masculin ou féminin ils doivent également tenir compte de la nature du premier phonème, il semble logique que le processeur mette plus de temps pour extraire l’article possessif congruent avec le nom comparé à l’indéfini. A cela vient se rajouter le fait que dans le cas des mots féminins débutant par une voyelle la forme pertinente est mon. Or, ce code se trouve majoritairement associé à des mots de genre masculin. L’incongruence relative de la relation pourrait avoir pour conséquence la mise en place d’une vérification du respect des règles syntaxiques. Mais si tel était le cas, nous aurions du trouver un décalage uniquement pour cette condition, alors que toutes les autres recouvriraient les temps obtenus pour les articles indéfinis. Nous pouvons également postuler que cette forme spéciale ralentirait la sélection de tout article possessif via l’instauration d’une vérification quasi automatique quelle que  soit la forme demandée, de par les spécificités de ce type de déterminant. On voit toutefois mal comment un processus tel que celui-ci pourrait être à l’origine d’un effet de si grande amplitude. Une autre hypothèse serait que le décalage observé entre les temps de catégorisation soit une conséquence de ces deux sources. Mais dans ce cas nous aurions du observer une interaction entre les deux facteurs pour la production du possessif, ce qui n’est pas le cas puisque nous avons rapporté précédemment que le système était globalement ralenti pour les items féminins.

Il est aussi essentiel de souligner la divergence de fréquence entre les deux articles. Néanmoins, plusieurs types d’effet de fréquence se différencient en fonction de la qualité de cette dernière. Tout d’abord (1), la divergence de latences entre les tâches pourrait être due à la fréquence de co-occurrence établie d’un côté entre les indéfinis et les noms, et de l’autre côté entre les possessifs et les mots. Toutefois, si tel était le cas, concernant la catégorisation selon les possessifs, nous ne devrions pas obtenir d’effet de genre. La présence d’une accélération des temps pour les masculins vient donc invalider cette hypothèse. La seconde explication (2) serait le rôle joué par la fréquence de la forme de l’article associé à un genre donné. Par exemple, la forme ma est plus fréquemment associée au genre féminin que la forme mon. Si cet effet de fréquence est impliqué lors du processus de sélection des articles, nous devrions trouver un ralentissement des latences dans la condition des mots féminins débutant par une voyelle par rapport à toutes des autres situations pour les possessifs. En comparaison, aucun effet n’est attendu pour les indéfinis. Les résultats venant confirmer cette hypothèse nous pouvons affirmer que la fréquence de la forme des déterminants par rapport au genre influence bien le processus de récupération des articles. Une autre explication (3) viendrait de la fréquence de l’item lui-même : l’article ma en règle générale est moins courant que mon, alors que les pourcentages de présence dans la langue de un et une sont équivalents. Selon ce postulat, nous devrions obtenir un ralentissement des temps de réaction pour la réponse ma comparé aux conditions appelant la réponse mon et ce qu’elle que soit la nature du premier phonème, alors que pour les indéfinis aucune divergence n’est attendue. Puisque ce pattern de résultats fut signalé, là aussi nous pouvons dire que ce type de fréquence semble être source de variations. Toutefois, (4) il n’est pas exclu que l’effet de tâche soit causé par un mélange de deux fréquences différentes : par exemple, la fréquence de l’item associé au genre couplée à la fréquence de l’item même. Rappelons que selon nos précédentes déductions la co-occurrence des paires article-nom n’apparaît pas comme étant un vecteur potentiel de l’effet de tâche obtenu. Les prédictions de l’hypothèse 4, seraient alors tout simplement une augmentation des latences pour les items féminins comparé aux masculins, mais comme précédemment uniquement pour un type d’article : les possessifs. Puisque nous avons effectivement obtenu un ralentissement des féminins lorsque la catégorisation portait sur les possessifs, il nous est possible de dire que la variation de temps de réaction entre indéfinis et possessifs est effectivement causé par un effet de fréquence résultant de l’action conjointe de la fréquence d’un article par genre et de la fréquence d’un type d’article. Enfin, (5) à cela peut venir se rajouter l’effet de fréquence d’une sorte d’article par rapport à une autre : les indéfinis en règle générale sont utilisés beaucoup plus couramment lors de discours que les possessifs. Cette hypothèse supposerait simplement un ralentissement du temps de catégorisation pour les indéfinis. Cet effet de fréquence, en se surajoutant au ralentissement pour les féminins possessifs, aurait également pour conséquence de réduire l’amplitude de l’interaction établie entre la tâche et le genre (i.e. nous avons uniquement noté la significativité par sujet mais pas par item). Lorsqu’un locuteur doit produire un possessif féminin, de par la projection entre le genre du nom (grammatical) et la forme du déterminant (phonologie), il se retrouve devant un double choix : ma ou mon. L’absence d’un effet du phonème initial du nom combinée au ralentissement pour les féminins suggère que c’est bien l’existence de ce double choix qui a ralenti le système, et donc crucialement que l’étape de ce ralentissement est située avant la récupération de la phonologie du nom.

Comme nous venons de le voir, de nombreux paramètres semblent être à l’origine de l’effet de tâche. Nous pouvons néanmoins en dégager quelques grandes lignes : le nombre d’informations indispensables à la sélection de la forme pertinente du déterminant, ainsi que la mise en place d’un processus de vérification du respect des règles d’accords régissant la cohérence syntaxique d’un groupe nominal pourraient être en partie responsables de la divergence de latences entre la catégorisation impliquant les indéfinis et les possessifs, bien que nous ne puissions le vérifier de façon purement statistique. Cependant, le rôle de la fréquence, que cela soit celle d’une forme d’article au sein d’une classe de genre, de l’item lui-même ou des deux a clairement été mis en évidence. Concernant les articles indéfinis, puisque les seuls indices indispensables à la sélection sont les seules informations de genre, il est envisageable que les différents codes soient stockés au sein du lexique mental comme des ‘étiquettes’ liées au mot. Le bénéfice pour le système serait une réduction globale du coup cognitif lié à l’extraction de ces items, et donc une réduction du temps indispensable à leur sélection comparativement à celui des articles possessifs. Nous ne pouvons toutefois pas exclure l’hypothèse que l’accélération des temps de réaction pour la sélection ne soit simplement due à un effet de fréquence.

Mais voyons à présent la nature des indices influençant la tâche de catégorisation selon le premier phonème. Les données résultant de cette tâche nous apporterons des indices quant à la nature des informations disponibles à ce stade du traitement, c'est-à-dire avant que la récupération des déterminants n’ait eu lieu.

Notes
13.

Voir discussion chapitre 2 : une analyse des items composant la base de données ‘Lexique’ a démontré qu’environ 43,4% des noms étaient féminins, 52,2% masculins et 4,4% d’entre eux portaient les deux genres.