Expérience 2 : Tâche de catégorisation phonologique

Rappelons que lors de cette tâche les sujets devaient déterminer la nature du premier phonème de la représentation d’une image. Plus précisément dans un bloc ils devaient définir le plus rapidement possible si l’item commençait par un /a/ ou un /p/, alors que dans un autre bloc les phonèmes impliqués étaient /é/ et /b/.

L’analyse portait au final sur 56 items puisque 8 d’entre eux n’ont pas été pris en compte sur les 64 que comptait le pool initial d’items expérimentaux. Sur les 29 sujets de langue maternelle française ayant passés l’expérience, les données de 24 d’entre eux ont été conservées. Les 5 participants éliminés avaient effectué plus de 10% d’erreurs.

Les outliers, c'est-à-dire les temps de réaction supérieurs à 1500ms ou inférieurs à 300ms, ont été écartés des analyses, ce qui correspondait à 3,4% des données. Pour que l’analyse des TRs puisse être effectuée, les données manquantes (au total 0,8% des essais) ont été remplacées par une valeur (X) (voir formule dans Tâche de dénomination).

Ont été comptabilisées comme erreurs, les essais pour lesquels les sujets avaient appuyé sur la mauvaise clé réponse, soit un pourcentage d’erreur de 3,5%. Comme dans la tâche précédente les taux ont été recalculés en fonction du nombre de DMs par sujet et par condition. En second lieu, les temps de réaction moyens, ainsi que le nombre d’erreurs ont été corrigés également par la ligne de base, i.e. les données issues de la dénomination. En effet, puisqu’au cours de cette dernière tâche nous avions trouvé un effet de phonème, il nous semble judicieux de corriger les résultats de la catégorisation phonologique. Les valeurs pondérées des latences sont exposées dans le tableau 12.

Tableau 12 : Moyennes des temps de réaction et pourcentages d’erreurs pour la tâche de catégorisation phonologique. NOTE : Pour la tâche de catégorisation phonologique, sont données les moyennes corrigées des temps de réaction en fonction du phonème initial (voyelle Vs consonne) et du genre (masculin Vs féminin). Sont également notées les valeurs des effets de genre (féminin-masculin) et de phonème (voyelle-consonne) ainsi que leur significativité statistique (*p<.05 ; **p<.001).
  Voyelle Consonne Moy. Effet
Féminin 0.043 0.078 0.061
Masculin 0.001 0.054 0.027
0.033**
Moy. 0.022 0.066 0.04  
Effet -0.044*  

L’analyse des moyennes des temps de réaction fut exécutée à l’aide d’une ANOVA à deux facteurs : Phonème (voyelle vs consonne) * Genre (masculin vs féminin) par sujet (F1) et par item (F2) sur les seules données correctes et corrigées.

En procédant à un regroupement des voyelles d’un côté et des consonnes de l’autre, l’analyse de variance révèle la présence d’un effet de Phonème par sujet et une tendance par item [F1 (1,23)=4.34, p=.048 ; F2 (1,54)=2.87, p=.096] dans le sens où le mots débutant par une voyelle sont traités plus rapidement que ceux commençant par une consonne. En second lieu, est apparu un effet de Genre [F1 (1,23)=8.47, p=.008 ; F2 (1,54)=8.84, p=.004] : les sujets prennent plus rapidement une décision si les items sont masculins plutôt que féminins. L’interaction entre les deux facteurs est non significative.

A noter que nous avons obtenu un fort effet de tâche lorsque nous avons mis en parallèle les données de l’expérience 2 avec celles des expériences 1a et 1b [F1 (2,63)=4.14, p=.02 ; F2 (2,104)=15.95, p<.0001]. Les temps de réaction vont donc varier en fonction de la nature de la tâche à effectuer. Des comparaisons deux à deux précisent (1) que seule une tendance à l’effet de tâche par item émerge entre les catégorisation phonologique et selon les indéfinis [F2 (1,55)=2.97, p=.09] ; (2) par contre nous trouvons un effet significatif entre les tâches phonologique et décision de genre en fonction des articles possessifs [F1 (1,43)=3.58, p=.06 ; F2 (1,55)=12.93, p=.0007]. Si la catégorisation phonologique tend à être effectuée aussi rapidement que la décision selon les indéfinis, la tâche est néanmoins procédée plus rapidement que la catégorisation portant sur les possessifs.

Cette expérience a été mise en place dans le but de déterminer qu’elles étaient les informations intervenant lors d’une tâche de catégorisation phonologique sensée représenter les mécanismes d’accès au lexème. Les résultats montrent que contrairement à l’expérience 1, les propriétés de genre tout comme les caractéristiques phonologiques influencent le temps nécessaire au traitement des items dans une tâche de catégorisation phonologique, bien que ces deux facteurs n’interagissent pas entre eux. Enfin, il apparaît que la catégorisation selon les indices concernant la forme du mot nécessite moins de temps pour être effectuée que la sélection de certains déterminants, tel que les articles possessifs.

L’effet de phonème présuppose que les mots débutant par une voyelle sont récupérés plus rapidement que ceux commençant par une consonne. Puisque nous avons obtenu un effet de tâche entre les expériences 1b et 2, cet effet implique que les informations de type phonologique sont bien mises à disposition du système afin que la sélection de la forme pertinente du possessif puisse avoir lieu. Donc, cela vient confirmer notre précédente hypothèse que l’absence d’effet de phonème au cours de la décision selon les possessifs aurait bien une origine précoce : le système se retrouvant un double choix possible pour les féminins va être ralenti avant que la récupération de la phonologie du nom n’ait eu lieu. Toutefois, il est assez troublant de trouver cet effet en dépit de la correction faite par les temps de réaction de la dénomination. Cela pourrait suggérer que l’effet ne réside pas dans la récupération de la phonologie des noms commençant par une voyelle comparé à ceux débutant par une consonne, mais plutôt dans l’étape ultérieure consistant à faire le jugement métalinguistique (i.e. choix entre les options de genres disponibles). L’interprétation serait alors qu’il y aurait peut être une influence de la fréquence des items appartenant à chaque catégorie de genre. Cependant, le locus de cet effet ne serait pas l’encodage grammatical mais le jugement métalinguistique.

Quant au sens de l’effet, il est possible qu’il soit induit par le décalage de pourcentages de mots débutant par une voyelle dans notre groupe d’items comparé à ce qui se passe dans le lexique : notre matériel expérimental se composait à part égale de noms initialisés par une voyelle et par une consonne, alors que le lexique mental fait mention d’un partage respectif de 20-80%. Cette augmentation artificielle du nombre de stimuli ayant pour premier phonème une voyelle, par rapport à la constitution naturelle du groupe de représentations disponibles, pourrait être à l’origine de l’effet de phonème observé. Néanmoins si ce dernier était du à notre matériel expérimental, le biais induit aurait du être corrigé par la ligne de base, la tâche de dénomination étant elle-même sensible aux effets de contexte. Une seconde hypothèse serait que la direction prise par l’effet de phonème serait une conséquence de la constitution même du lexique mental. L’accès aux représentations lexicales débutant par une voyelle se ferait plus rapidement car l’espace de recherche serait moins important.

Enfin concernant l’effet de genre, soit un traitement plus rapide des items masculins que féminins, il va également dans le sens inverse aux données issues de la littérature. Toutefois, la présence d’une influence du genre sur les temps de catégorisation tend à prouver que ces indices ont été extraits lors d’une étape antérieure et qu’ils vont pouvoir, par la suite, être utilisés lors du processus de sélection des déterminants. Ce qui est confirmé par la présence d’un effet de genre lors de la décision par les possessifs.

En conclusion, les informations phonologiques et de genre sont mises à disposition du système pour que puisse prendre place la sélection des déterminants. Il semble toutefois, que ce processus s’effectue de manière divergente et lors d’étapes différentes, qu’il s’agisse des articles indéfinis ou des possessifs. Nous allons au cours de la partie suivante établir une comparaison des moyennes des latences pour les quatre tâches définies antérieurement, afin de pouvoir comparer les temps de dénomination aux vitesses rapportées pour les tâches de catégorisation, tant phonologiques, que selon les déterminants. Ceci nous apportera des indications temporelles plus fines sur la mise en place de chaque niveau de traitement. Pour terminer nous conclurons quant à l’ensemble des résultats rapportés au cours de cette partie.