Analyses statistiques complémentaires

En complément des analyses précédemment effectuées, et dans le but d’apporter plus de précisions quant à la temporalité des événements cognitifs mis en jeu au cours de chaque tâche, nous avons conduit une seconde série d’analyses de variance. Ces dernières portaient cette fois-ci sur les valeurs non corrigées par la ligne de base des temps de réaction par sujet (F1) et par item (F2). Une ANOVA à un facteur, i.e. la Tâche (dénomination, catégorisation phonologique, catégorisation selon les articles indéfinis et catégorisation selon les articles possessifs) fut suivie par des comparaisons de tâches deux à deux. Le tableau 13 rend compte des moyennes obtenues pour chaque expérience.

Tableau 13 : Temps de Réaction et pourcentage d’erreurs par tâche. NOTE : Les moyennes globales des temps de réaction (TRs, ms), les Déviations Standards (SD) et les pourcentages d’erreurs (Err) sont présentés par tâche : Dénomination, Phonologie, Décision de genre selon les articles indéfinis et décision de genre selon les articles possessifs. Les valeurs correspondantes aux données non corrigées par la ligne de base
  dénomination phonologie indéfinis possessifs
Moy. TRs 721 753 733 794
SD 116 76 68 75
Err 2.8 3.55 5.6 4.85

La présence d’un effet majeur de la tâche [F1 (3,112)=4.24, p=.007 ; F2 (3,165)=19.12, p<.0001] vient confirmer l’hypothèse selon laquelle les mécanismes impliqués dans chacune d’entre elles ont bien lieu à des stades différents du processus de production. Les items sont traités plus ou moins rapidement selon la demande l'expérimentateur.

Selon des analyses complémentaires, ou comparaison des expériences deux à deux, il apparaît tout d’abord que les latences de réponses sont similaires dans les tâches de dénomination et de catégorisation selon les indéfinis [F1<1 ; F2 (1,55)=1.725, p=.195]. Concernant la catégorisation phonologique, par item les temps de réaction tendent à s’allonger par rapport à la décision selon les indéfinis [F1 (1,43)=1.08, p=1.08 ; F2 (1,55)=3.19, p=.08], alors que l’effet est significatif lorsque les latences sont comparées avec celles obtenues lors de la dénomination [F1 (1,43)=2.38, p=128 ; F2 (1,55)=13.37, p=.0006]. Pour finir, la catégorisation selon les possessifs s’opère moins rapidement que lorsque la décision se fait sur le base d’indices phonologiques par items, alors que seule une tendance est trouvée par sujet [F1 (1,43)=3.5, p=.068 ; F2 (1,55)=12.43, p=.0009].

L'analyse des taux d'erreurs par item avec pour facteur le type de tâche à quatre variables (dénomination, phonologie, catégorisation selon les articles possessifs et indéfinis), met simplement en évidence un effet de l’instruction n’allant pas dans le même sens que celui obtenu selon les temps de réaction [F1 (3,112)=3.165, p=.027 ; F2 (3,165)=2.76, p=.045]. De façon générale, le nombre d’erreurs commises va dépendre de la tâche pratiquée : il est plus simple de nommer une image que d’effectuer une catégorisation phonologique et encore plus une décision de genre.

La comparaison des latences pour les quatre protocoles souligne tout d’abord que le temps nécessaire pour effectuer une tâche donnée dépend du degré de complexité de cette dernière. Si nous établissons une échelle des tâches allant de la plus rapide à celle demandant le plus de temps nous obtenons le schéma suivant : dénomination/décision selon les indéfinis, suivis par la catégorisation phonologique, pour terminer sur la décision en genre se basant sur les possessifs.

Ces résultats viennent entériner les différentes hypothèses et conclusions mentionnées dans les paragraphes précédents. Tout d’abord, les locuteurs ont accès aux items stockés dans le lexique mental avant de procéder au décodage lexical de ces derniers. L’observation selon laquelle les tâches ‘dénomination’ et ‘indéfinis’ ne varient pas soutient l’idée que la sélection de la forme pertinente de ce type d’article s’opère à un niveau relativement précoce du processus. Il n’y aurait donc pas d’intervention des informations phonologiques et de genre, leur extraction n’ayant pas encore eu lieu. De plus, la facilité avec laquelle ils sont sélectionnés aurait pour origine la formation d’un conglomérat avec le mot stocké comme un ensemble dans le lexique.

En second lieu, en parallèle de l’extraction et du traitement du lemme, les informations pertinentes activées serviraient au fur et à mesure d’inputs au processeur phonologique. Le fait que l’on ait une tendance et non pas une significativité de l’effet de tâche avec la décision selon les articles définis induirait que les deux processus seraient localisés dans la même fenêtre temporelle. Toutefois, le traitement de la forme des mots prendrait plus temps ou serait plus long que celui des informations de genre. Enfin, puisque la tâche de décision selon les possessifs est la plus lente, cela implique que la sélection de ce type de déterminants nécessite une mise à disposition préalable des indices de genre et phonologique. Ces résultats ne sont toutefois pas en totale inadéquation avec ‘the late selection hypothesis’ posée par Caramazza et collaborateurs (Alario & Caramazza, 2002 ; Caramazza, 1997). Selon cette dernière, les déterminants en français ne seraient sélectionnés qu’une fois les informations phonologiques activées. En fonction de nos résultats il devient essentiel d’apporter quelques modifications à cette déclaration. En effet, nous avons observé qu’une catégorisation selon les articles indéfinis prenait moins de temps qu’une catégorisation phonologique. A cela, vient se rajouter le fait que la sélection de cette sorte d’article se base uniquement sur le genre des mots les suivants. L’hypothèse de sélection tardive ne serait pas applicable à tous les déterminants, mais uniquement aux cas demandant aux deux types d’informations d’être traitées, comme c’est le cas pour les articles possessifs. Voyons à présent comment s’articulent les différentes conclusions rapportées par notre set d’expériences.