Travaux antérieurs

Au contraire, très peu d'évidences empiriques, concernant le décours temporel de ces événements existent dans le domaine de la reconnaissance visuelle des mots. Une des premières études portant spécifiquement sur le sujet est celle menée par Desrochers, Paivio et Desrochers (1989). Les participants, de langue maternelle française, devaient simplement effectuer un jugement de genre soit selon les articles indéfinis, soit selon les catégories masculin/féminin. Les stimulis correspondant à des mots débutant par une consonne était présentés visuellement, alors que les réponses étaient données oralement. Trois variables étaient manipulées : la fréquence d’occurrence (faible Vs forte), la Valeur Prédictive des Terminaisons (faible Vs forte) et le genre des cibles (masculin Vs fémnin). Outre le classique effet de fréquence (ralentissement des latences pour les mots de faible fréquence : 609 Vs 591ms), il avait également été détecté un effet de la VPT (augmentation de la vitesse des réponses pour les mots présentant une forte VPT : 839 Vs 886ms) et un effet de la tâche (latences plus courtes pour le jugement selon les articles indéfinis que selon les étiquettes de genre : 758ms Vs 967ms) sans que les différents facteurs n’interagissent. Les auteurs avaient extraits plusieures conclusions pertinentes de ce patron : (1) un locus lexical pour l’effet de fréquence et post-lexical pour l’effet de la terminaison ; (2) l’accès aux labels de genre se ferait de manière indirecte, par attribution par exemple de la forme congruente d’un déterminant présentant une forte fréquence de co-occurrence avec le mot cible. Les réponses étant données verbalement, Desrochers et al n’avaient cepandant pas omis le rôle plausible joué par le nombre de syllabes (Erikson, Pollack & Montague, 1970 ; Spoehr & Smith, 1973) sur le ralentissement des temps de réaction dans le cas du jugement de genre selon les catégories masculin/féminin.

Un an plus tard, Desrochers et Paivio (1990) reconduisent cette expérience avec pour seul changement la manipulation du premier phonème au lieu de la fréquence : les items cibles débutaient soit par une voyelle, soit par une consonne. Aux effets précédement obtenus, c'est-à-dire l’effet de la VPT et de la tâche (différence d’environ 200ms entre le jugement selon les articles indéfinis et les étiquettes de genre) vient se rajouter l’effet de phonème : une accélération des latences pour les mots initialisés par une consonne comparés à ceux ayant pour premier phonème une voyelle. Dans la continuité, une troisième série d’expérience fut conduite par Desrochers et Barbant (1995). Cette fois ci étaient manipulés : le caractère animés des items (animé Vs inanimé), la nature du premier phonème (voyelle Vs consonne), la tâche (indéfinis Vs étiquettes de genre) et la consitution des listes (Expérience 1 : listes sémantiquement mixtes composées de mots représentant des animés et des inanimés Vs Expérience 2 : listes homogènes sémantiquement). Les auteurs retrouvaient un effet de la tâche (taille de l’effet de 172ms dans l’expérience 1 et de 183ms dans l’expérience 2 : les sujets effectuent un jugement plus rapide selon les articles indéfinis que les labels de genre) et un effet de phonème (taille de l’effet de 20ms et 50ms respectivement pour les expériences 1 & 2 : les mots initialisés par une consonne sont traités plus rapidement). Cepandant, si le facteur sémantique influençait les latences (différence de 35 et de 162ms en fonction de l’expérience dans le sens où la catégorisation était plus rapide pour les animés que pour les inanimés), l’interaction significative avec le phonème indiquait que la nature de la première lettre ne faisait varier les temps de réaction que pour les inanimés.

De la mise en équation des différents effets, Desrochers et collaborateurs avaient proposé les prémises d’un schéma de fonctionnement de la sélection des déterminants en français. La valeur informationnelle des divers facteurs interviennant au cours de ce processus (tel que la VPT, la fréquence, ou la nature du premier phonème) est dépendante de la force de son association avec chaque catégorie ainsi qu’avec les autres informations. La qualité de leurs influences peut être soit de type facilitatrice, soit inhibitrice : par exemple, une voyelle en début de mot va affaiblir la discrimination de la forme pertinente de l’article. De manière générale, lorsqu’il est demandé à un locuteur de catégoriser un nom en genre, il va implicitement évoquer le déterminant contiguë au mot le plus fréquemment rencontré dans la langue, c’est à dire l’article défini. Dans le cas des formes élidées (i.e. les mots débutant par une voyelle tel que l’étoile, l’arbre, etc.) ne portant aucune information de genre, le locuteur va alors évoquer le déterminant ayant la plus grande chance de se trouver apposé au mot, c’est à dire l’article indéfini.

Ces résultats ne sont pas totalement atypiques, même si les conclusions tirées par les différents auteurs varient quelque peu. Par exemple, Taft et Meunier (1998) ont eux aussi obtenu un ralentissement du temps nécessaire à la catégorisation de noms de lieux (e.g. Brésil, Italie) lorsque ceux-ci débutaient par une voyelle plutôt que par une consonne (différence de 184ms) dans une simple tâche de décision de genre (i.e. masculin Vs féminin). Cet effet de phonème était accompagné d’un effet de genre (noms féminins traités plus rapidement que les noms masculins, avec une taille de l’effet de 208ms) sans que leur interaction n’émerge de l’analyse statistique. Les locuteurs auraient donc à portée de mains différentes sources d’informations pour accéder au genre d’un mot : celles dites lexicales, tel que les articles et celles dites non-lexicales, telles que les terminaisons. Deux hypothèses ont été proposées : (1) la théorie dite de la dual source où les indices orthographiques seraient utilisés après l’accès au lexique lors d’un processus de vérification et ce indépendamment des informations véhiculées par les articles ; et en parallèle (2) la théorie neutral network selon laquelle l’activation des informations orthographiques (telles que les terminaisons) s’effectuerait en même que celle de l’article (extrait du lexique avec le nom), donc de manière relativement précoce. De plus, ces deux sources auraient une action dépendante sur la récupération des articles. Si l’article récupéré ne véhicule aucune information de genre alors les lecteurs mettraient en place d’autres stratégies. Cette dernière rejoint la conception de sélection des déterminant de Desrochers et collègues.

Holmes et Ségui (2004) se sont eux aussi penchés sur le rôle des informations lexicales (définies comme étant traitées avant un item cibles et portées par les mots du contexte phrasique, e.g. les déterminants) et les informations sous-lexicales (i.e. celles portées par les marques morpho-phonologiques, e.g. les terminaisons) lors des étapes d’assignation du genre. Lors d’une tâche de catégorisation en genre de mots représentants des objets inanimés, ils avaient observé : un effet de la terminaison (les mots avec une terminaison à forte VPT sont traités plus vite que ceux ayant une terminaison neutre, soit une différence de 71ms), un effet de phonème (voyelle plus lentes que les mots débutant par une consonne, taille de l’effet de l’ordre de 50ms) et une interaction entre les variables phonème et terminaison (les mots initialisés par une voyelle avec une terminaison neutre sont les items les plus longs à catégoriser). Par contre, lors d’une tâche de jugement de grammaticalité sur des couples article indéfini-mot, les effets variaient en fonction de la relation de congruence établie (congruence Vs incongruence) : si l’effet de genre (les mots féminins sont traités 53ms plus vite que les masculins), ainsi que celui de la VPT se retrouvaient dans les deux conditions, seule une tendance à l’effet de phonème apparaissait dans la condition de congruence, alors que pour les paires non grammaticales l’effet était significatif (les mots débutant par une consonne sont catégorisés plus rapidement que ceux commençant par une voyelle) et interagissait avec la terminaison. De ces résultats les auteurs en aient déduis que les participants traitaient les deux types d’informations en parallèle, et que les latences étaient significativement plus basses en absence des deux indices. On aurait donc une sommation des activations ou inhibitions non expliquée par les modèles connexionnistes tel que celui de Taft et Meunier (1998). L’utilisation des informations lexicales et sous-lexicales se ferait à des degrés divers en fonction de la tâche demandée.

Bien que de précédentes études aient également sugéré l’activation du genre grammatical (voir Friederici & Jacobsen, 1999 pour un résumé) ainsi que des informations phonologiques (Coltheart & Rastle, 1994) au cours de la reconnaissance des mots, il perdure cependant un grand nombre d’incertitudes quant à la façon dont s’opère la sélection des déterminants en français. La problématique abordée aux cours de cette partie ne va pas être identique à celle examinée en production. Etant donné la quasi absence d’études portant spécifiquement sur la récupération des déterminants en compréhension, nous avons dans un premier temps tenté de définir la séquentialité des événements impliqués. Il est possible d’envisager que le décours temporel des étapes conduisant à l’extraction des déterminants en compréhension serait inverse à celui défini en production : une analyse des informations phonologiques suivie d’un traitement des informations de genre avant que ne s’effectue la récupération de l’article. Nous nous intéresserons également à l’automaticité du traitement des informations phonologiques et de genre, ainsi qu’à la dépendance des ces deux facteurs lors de la sélection.