Discussion

Deux lignes de conduites étaient proposées pour cette troisième expérience : (1) définir dans quelle mesure le pourcentage relatif de chaque type de réponse dans un système de double choix influençait la taille des effets, et (2) déterminer si les informations phonologique et de genre étaient traitées indépendamment l’une de l’autre ou pas lors de la sélection des articles possessifs.

Les points centraux mis en évidence au cours de cette étude sont : (1) un effet de phonème et un effet de genre sur les temps de réaction et les pourcentages d’erreurs identiques à ceux trouvés dans l’expérience 2Poss ; (2) une interaction significative entre ces deux facteurs ; (3) une variation des effets selon le pourcentage de réponses ; et (4) une augmentation globale des latences dans l’expérience 3.

Concernant les processus sous-tendant la sélection des déterminants en compréhension, on retrouve les effets de genre et de phonème mis en évidence au cours de l‘expérience précédente : les sujets analysent plus rapidement les mots masculins que les féminins et un allongement des latences émerge entre les items débutant par une voyelle par rapport à ceux commençant par une consonne. De plus, l’impact des facteurs genre et phonème ne va pas seulement se répercuter sur les latences mais également sur le nombre d’erreurs effectuées : les items masculins sont catégorisés avec plus de facilité que les féminins et à l’opposé, les mots débutant par une voyelle vont causer plus d’erreurs que ceux initialisés par une consonne. En dépit du changement de contexte expérimental, nous avons répliqué le pattern obtenu dans l’expérience 2Poss. Cette réplication marque le caractère robuste et persistant de l’influence des informations de genre et phonologique sur le mécanisme de sélection des articles possessifs.

En modifiant le contenu des listes de stimuli, c'est-à-dire en introduisant un plus grand nombre d’items féminins commençant par une consonne, nous avons souhaité nous rapprocher de la composition ‘naturelle’ du lexique mental (Cf. discussion axe 1 du chapitre 1). Cette inclusion a eu pour principale conséquence, de faire apparaître une interaction entre les facteurs genre et nature du premier phonème, tant sur les latences que sur les taux d’erreurs. Nous confirmons ainsi l’idée que ces deux informations agissent de façon dépendante sur le mécanisme de sélection des déterminants lors des processus de reconnaissance des mots. Plus précisément, si on se focalise sur le sens de l’interaction, comparativement aux trois autres conditions, les mots féminins initialisés par une voyelle sont ceux demandant le plus de temps pour être catégorisés, mais également ceux responsables du plus grand taux d’erreurs. Nous avions avancé deux possibles hypothèses quant au sens de l’effet écrasé par le contexte expérimental : (1) soit le biais aurait supprimé un effet de facilitation dans le cas des items féminins débutant par une voyelle, (2) soit il aurait neutralisé l’inhibition concernant toujours les mots féminins mais cette fois-ci débutant par une voyelle. Selon les résultats antérieurement énoncés, nous pouvons maintenant assurer que la disproportion des réponses a entraîné un écrasement de l’inhibition. Lors de l’accès aux articles possessifs, les mots féminins ayant pour initiale une voyelle vont poser un problème au système de traitement de par l’incongruence relative de la forme à extraire. Cette observation indique que le choix de la réponse va se baser tant sur le genre des mots, que sur leurs caractéristiques phonologiques. En effet, le code classique attribué au genre féminin, c'est-à-dire ma doit être remplacé dans ce cas précis par la forme mon normalement attribuée aux masculins. Cette constatation vient s’inclure parfaitement dans le modèle proposé par Desrochers et collaborateurs (1990, 1995) : pour ces items, les locuteurs n’auraient pas accès directement au code pertinent, ils devraient déjà passer par la sélection d’un déterminant ayant une plus grande fréquence de co-occurrence avec les mots et dont les formes ne sont pas dépendantes des informations phonologiques, i.e. les articles indéfinis. Pour cette raison, un allongement des latences de réponse n’émergerait que pour les articles demandant un retraitement, i.e. ceux associés aux noms commençant par une voyelle de genre féminin. Toujours selon ce modèle, la catégorisation selon les étiquettes de genre va nécessiter un délai supplémentaire pour que la bonne décision soit prise. Le locuteur passerait déjà par la sélection d’un déterminant avant d’en extraire les caractéristiques syntaxiques inhérentes, tel que les informations de genre. La classe de genre serait alors attribuée au mot et le choix entre les deux clés de réponse proposées pourrait prendre place.

Il est également plausible d’envisager une approche alternative à ce processus. Celui ci ferait intervenir en premier lieu un mécanisme de vérification de la forme extraite. La non pertinence du code ma avec l’item débutant par une voyelle entraînerait alors une inhibition de la forme suivie par une re-sélection de l’article associé. Ce système de vérification de la congruence syntaxique se mettrait en place de façon automatique et permettrait une analyse du syntagme nominal quelque soit le déterminant sélectionné et demandé. Si les règles d’accord sont respectées alors la réponse va pouvoir être donnée par le sujet. Par contre, si la paire déterminant-mot ne congrue pas avec les règles syntaxiques en vigueur, le système va devoir sélectionner une autre forme de l’article. Ce n’est que lors de cette étape qu’interviendrait l’utilisation d’un article ayant une plus grande fréquence de co-occurrence et ne variant pas selon la nature du premier phonème. L’activation d’un processus de contrôle du respect des règles d’accord offrirait en outre une explication à l’absence d’effet de genre pour la tâche de décision selon les labels masculin-féminin, ainsi que pour la catégorisation en fonction des indéfinis. Puisque ces tâches n’induisent pas de retraitement préalable avant que la réponse ne puisse être donnée, c'est-à-dire de contrôle de la congruence entre le genre de l’article et celui du mot, les informations de genre ne vont pas influencer les temps de réaction.

Mais une troisième hypothèse peut être appliquée à cet effet. Les déterminants, pour être sélectionnés nécessitent le traitement préalable des informations phonologiques, processus relativement précoce, et de celles de genre, mais seulement lorsque cela est demandé : les informations agissent de façon dépendante l’une de l’autre et interviennent toutes deux pour les articles possessifs, alors que nous n’avons observé qu’un effet de phonème pour les articles indéfinis. Malgré la dépendance des deux facteurs l’opération cognitive amenant à la réponse serait exécutée seulement lorsque le sujet aurait à disposition toutes les évidences suffisantes pour arrêter son choix. Le fait que nous ayons trouvé des moyennes de réaction plus importantes avec les possessifs pourrait en partie être due à l’implication des deux types d’indices, ce qui aurait pour conséquence de ralentir sensiblement le système. Toutefois, dans ce cas nous voyons mal pourquoi la catégorisation selon les labels de genre demande autant de temps. En effet, concernant cette dernière, seul un effet de phonème a été mis en évidence. L’implication des deux types d’informations pourrait intervenir à un moment donné sur l’allongement des temps nécessaires à la décision, mais n’en expliquerait pas intégralement l’existence.

Si le changement de distribution des réponses nous a amené à reconsidérer l’absence d’interaction entre le genre et le phonème au profit d’une dépendance de ces deux facteurs lors de la sélection des déterminants, il a également souligné le rôle majeur joué par la composition de listes expérimentales sur la qualité des effets que l’on souhaite observer.

Selon une approche plus méthodologique, l’introduction dans le matériel d’un certain nombre de mots féminins débutant par une voyelle appelant le choix ma a eu une influence de grande envergure sur les résultats. Ainsi, il est possible de noter la présence d’un effet de tâche entre les expérience 2B et 3, mais ceci seulement sur les latences : bien que la tâche de décision de genre présente un niveau de difficulté similaire que les proportions de réponses mon et ma soient équivalentes ou déséquilibrées, les temps de réaction vont néanmoins considérablement augmenter lorsque la distribution est équilibrée. Cette hausse est telle que la moyenne globale ne va plus différer de celle obtenue pour la tâche de catégorisation via les labels ‘masculin’ et ‘féminin’. Relatif à ce changement majeur nous avons également montré que l’interaction entre les informations de genre et phonologique avait été neutralisée par cet effet de contexte. Et enfin, un résultat périphérique apparent dans ce patron correspond à la diminution marginale de la taille de l’effet de genre entre les deux expériences selon l’analyse par items, ce dernier passant de .080 à .045.

L’augmentation générale des temps de réaction pourrait être en partie causée par la mise en place d’un processus conscient amenant les sujets à appliquer des stratégies pour la prise de décision. Dans l’expérience 2Poss, Soixante quinze pourcents des réponses appelant le choix mon, les sujets ont pu simplement chercher les rares items dans la liste proposée auxquels était associés la réponse ma : c'est-à-dire parmi l’ensemble des stimuli, ils se sont focalisés sur ceux débutant par une consonne (le traitement phonologique s’effectuant de façon précoce et quasi automatique) mais également de genre féminin. L’attention portée sur cette catégorie de mots aurait entraîné l’accélération des noms se trouvant dans toutes les autres conditions. Les sujets auraient réduit consciemment la quantité d’informations nécessaires requises pour que le choix entre les deux réponses alternatives proposées puisse s’effectuer (Ratcliff & Smith, 2004). Les conséquences d’un tel mécanisme seraient : (1) une diminution des temps de réaction pour les items féminins débutant par une voyelle, conduisant à une neutralisation de l’effet d’inhibition se mettant normalement en place lors de la sélection des articles (i.e. ce qui aurait créé une suppression de l’interaction entre les deux types d’indices) ; (2) une augmentation générale du temps nécessaire pour classer les items féminins par rapport aux masculins. L’effet de genre observé dans le cadre de l’expérience 2Poss ne correspondrait alors pas exclusivement au résultat du processus de sélection des articles (i.e. une plus grande difficulté d’extraction pour les formes possessives féminines), mais il serait en partie induit par la mise en place de stratégies de réponses par les sujets. Cette déduction va se trouver confirmée par la diminution marginale de la taille de l’effet de genre lorsque la distribution des codes mon et ma est équivalente (i.e. expérience 3). Donc bien qu’existant, l’effet de genre dans la première étude menée était du partiellement à la composition des listes. Selon Ratcliff et Smith (2004), lors d’une tâche impliquant un double choix, les temps de réaction vont être sensibles à l’information inhérente au stimulus (i.e. dans le cas précis de notre étude, les informations de genre), ce qui est appelé ‘qualité’ du stimulus, mais également à la ‘quantité’ d’informations nécessaires à la prise de décision. Si la quantité d’indices peut être contrôlée par les participants, il n’en va pas de même pour la ‘qualité’ de ces indices. Les caractéristiques de genre grammatical seraient bien impliquées dans le processus de sélection des déterminants en français. En résumé, il nous est possible de dire que le contexte joue un rôle tant sur l’initialisation de la réponse que sur la force de la réponse après initialisation.

En rééquilibrant les proportions de réponses dans une tâche impliquant un double choix, nous avons restauré l’effet de compétition s’établissant entre les deux possibilités de réponses, permettant ainsi à l’interaction d’émerger. Ce changement a également induit la réduction de l’amplitude de l’effet de genre, mais pas de celui de Phonème. En partant du postulat que l’amplitude de l’effet était en partie contrôlée par le système amenant à la réponse, processus capable de stratégiser, le traitement des informations phonologiques ne serait pas soumis aux mêmes contraintes. L’extraction des indices phonologiques indispensables à la sélection des déterminants serait conduite par un ensemble cognitif fonctionnant de manière fortement automatique et irrépressible.

Si certaines études précédentes avaient déjà amenées des évidences quant à l’influence de la nature des items inclus dans les sets de stimuli sur les temps de réaction et les pourcentages d’erreurs (Andrews, 1997 ; Gordon, 1983), nous venons par cette expérience souligner l’importance de la distribution des réponses. Les proportions de réponses relatives à chaque choix possible présentent une influence réelle d’une part sur les patterns de décision et d’autre part sur les processus de sélection de la réponse.

Voyons à présent quelles conclusions nous pouvons tirer de ce jeu d’expériences menées en compréhension avant de comparer et de discuter les résultats par rapport aux données issues de la production.