DISCUSSION GENERALE

Dans l’optique d’éclaircir le fonctionnement des processus amenant à la sélection des déterminants lors de la reconnaissance visuelle des mots, nous avons conduit diverses expériences. La première, ou décision lexicale, nous a permis d’établir une ligne de base pour les tâches de décision de genre suivantes. Quatre catégorisations différentes ont été présentées : les sujets devaient donner le genre de mots soit selon les articles indéfinis, soit selon les étiquettes masculin/féminin, ou soit selon les articles possessifs (la proportion relative des réponses mon et ma étant soit de 75-25, soit de 50-50).

Tout d’abord, l’utilisation de tâches explicites et l’obtention d’une modification des effets par la mise en place de stratégies conscientes nous conduit à penser que les mécanismes impliqués lors de la sélection des articles sont non intégralement automatiques et donc relativement tardifs. Pour plus de précisions, il apparaît que si le traitement des informations phonologiques s’effectue précocement et automatiquement, l’utilisation de la caractéristique de genre se passerait à un stade plus tardif, lors d’une étape stratégique-dépendante de vérification de la congruence syntaxique. De plus, les deux types d’informations, à savoir les indices de genre et ceux d’ordre phonologique, interviennent tous deux lors de la détermination de la forme des articles associés au nom. Toutefois, il apparaît que ces caractéristiques sont dépendantes l’une de l’autre, mais seulement lorsque cela le nécessite, c'est-à-dire dans le cas des possessifs. Le système sous-jacent réduit le coup cognitif du traitement pour les déterminants dont la sélection ne se base que sur un seul type d’information, comme c’est le cas pour les articles indéfinis.

Un autre effet d’importance mis en évidence au cours de ces expériences est l’influence de la proportion des réponses dans une tâche à double choix. Une variation de la distribution entraîne une modification notable des temps latences de réaction, conséquence d’une réduction de la quantité d’informations indispensables à la prise de décision. Cette dernière résultant de l’activation consciente de stratégies pas les sujets.

Les différentes études menées nous ont conduit à reconsidérer le fonctionnement du système de sélection des articles en compréhension. La façon dont sont récupérés les déterminants varierait fortement selon la modalité considérée. Le fondement même de la sélection divergerait en production et en compréhension. Le pré-modèle proposé par Desrochers et collaborateurs (1989, 1990, 1995 ; Desrochers, 1986), associé à celui de réseaux neutres (Taft & Meunier, 1998), nous semble le plus à même d’expliquer nos résultats. Nous avons illustré les conclusions obtenues sous la forme du schéma présenté en figure 14.

Dans le cas des indéfinis, la sélection de la forme s’effectuerait de façon automatique, puisqu’il apparaît que ces articles sont stockés avec la représentation lexicale. Après traitement automatique des informations phonologiques, les lecteurs auraient accès aux mots stockés dans le lexique. La sélection et l’extraction d’un nom, par exemple étoile, aurait pour conséquence de rendre disponible la forme associée de l’article défini, c'est-à-dire une.

La tâche de catégorisation en fonction des articles possessifs serait une tâche hautement complexe, ayant un coût cognitif élevé. Les différentes étapes sous tendues par ce mécanisme ne sont à ce jour pas complètement connues et nous ne pouvons qu’apporter une ébauche de réponse. La forme associée à un genre serait automatiquement attribuée au mot. Dans notre exemple, le conglomérat formé par le mot étoile et l’article sélectionné ma va toutefois renter en conflit, puisque il ne respecte pas les règles d’accord. Le passage par un processeur régissant la vérification de la congruence syntaxique va alors conduire le système à changer de stratégie. Une nouvelle recherche débuterait et ce en utilisant un déterminant se trouvant plus fréquemment dans la langue, comme les articles indéfinis. Donc contrairement aux articles indéfinis, la sélection des possessifs nécessiterait le traitement des informations de genre et des phonologiques, avant que ces deux indices ne puissent activer le module responsable de l’extraction de la forme congruente. Le choix de la réponse va alors dépendre des deux signaux qui vont agirent ensemble sur le système.

Pour ce qui est de la décision de genre selon les labels féminin/masculin, les sujets auraient déjà à déterminer le code de l’article indéfini ou défini, avant d’associé ce code à la représentation féminine véhiculée.

De par nos résultats, nous n’avons pu définir si le système conduisant à la sélection des déterminants en compréhension fonctionnait sur un modèle sériel ou plutôt en cascade. Enfin, la question du locus de l’extraction du genre ne se trouvant actuellement qu’à l’état d’hypothèse, nous avons représenté sur le modèle cette incertitude par un point d’interrogation.

Figure 14 : Modèle exhaustif d’accès aux déterminants en compréhension
Figure 14 : Modèle exhaustif d’accès aux déterminants en compréhension Ce schéma représente les principaux chemins d’accès aux réponses demandées dans les tâches de décision de genre : soit selon les articles indéfinis, soit les possessifs, soit les étiquettes de genre (représenté par la flèche en pointillée sur le schéma).