L’hypothèse pré-lexicale

D’un autre côté, il est possible de trouver une autre théorie véhiculant une conclusion opposée à celle précédemment énoncée, qui est l’hypothèse de pré-lexicalité du traitement des indices de genre lors du processus de reconnaissance des mots.

En combinant une tâche de gating, lors de laquelle les locuteurs devaient identifier des mots amorcés soit par un article marqué en genre suivi d’un adjectif (condition de congruence, e.g., une jolie plante), soit seulement par un adjectif (condition neutre, e.g., jolie plante) dont il ne leur était présenté oralement que le début (la fenêtre audible du mot cible s’allongeant temporellement de 60ms jusqu’à ce que la reconnaissance se fasse) et une décision lexicale, Grosjean, Dommergues, Cornu, Guillelmon, et Besson (1994) ont mis en évidence deux observations pertinentes : (1) les articles marqués en genre limitent le nombre de candidats lexicaux possibles en gating, ce qui se traduisait par un point d’isolation plus précoce lorsque le marqueur était présent plutôt qu’absent (respectivement 50,75% et 59,83% du mot) ; et (2) les sujets procédaient à la décision lexicale plus rapidement lorsque des noms suivaient une amorce congruente en genre (moy. 586ms) par rapport à une condition neutre (moy. 629ms). Selon leurs arguments cet effet de facilitation reflètait un processus précoce : la présence d’articles marqués en genre accélèrerait l’accès au lexique du mot associé.

Bates, Devescovi, Hernandez, et Pizzamiglio (1995, 1996) rapportent des conclusions similaires via l’utilisation d’une combinaison de trois tâches en italien : une répétition de mots (répéter le second item d’un couple adjectif-mot), une décision de genre (définir à l’aide des labels ‘masculin’ et ‘féminin’ le genre du second mot dans une paire auditive adjectif-nom) et un jugement de grammaticalité (déterminer si les couples adjectif-nom étaient grammaticalement corrects). Les résultats font mention d’une inhibition à travers les différentes tâches (différence entre la condition neutre et incongruente de 24ms pour la tâche I et de 16ms dans la tâche II ; différence de 87ms entre congruent et incongruent dans la tâche III), d’un effet de facilitation significatif pour l’expérience de répétition de mots (moy. congruent : 934ms ; moy. neutre : 954ms) et une tendance à la facilitation (p<.08) pour la catégorisation en genre (moy. congruent : 1135ms ; moy. neutre : 1145ms). En se basant sur la thèse selon laquelle une facilitation dénoterait un processus automatique, tandis qu’une inhibition traduirait un processus contrôlé (Neely, 1991), les auteurs avaient interprétés les résultats comme reflétant, d’un côté une activation automatique pré-lexicale contribuant à la reconnaissance des items et d’un autre côté, la mise en place d’un processus stratégique dépendant post-lexical.

Comme nous venons de l’exposer, les expériences trouvées dans la littérature sont partagées quant à l’interprétation à donner à l’effet d’amorçage en genre : soit il serait attribué en partie à un mécanisme précoce, tandis que selon un autre axe d’idée, les auteurs postulent en faveur d’une conséquence d’un mécanisme post-lexical.