Le paradigme de masquage

Différemment des autres études menées par le passé, nous avons utilisé dans la seconde tâche le paradigme d’amorçage masqué. Cette procédure consiste à réduire la visibilité d’un mot amorce consécutif à un masque (symboles disposés aléatoirement ou suite de formes géométriques 14 ) et précédant un nom cible. Les manifestations comportementales de l’amorçage sont nombreuses et variées. Elles ont ainsi été observées à divers niveaux d’analyse comme lors du traitement orthographique, phonologique ou sémantique (Bowers, Vigliocco & Haan, 1998 ; Ferrand & Grainger, 1994 ; Grainger & Ferrand, 1994 ; Grainger & Ségui, 1990 ; Lukatela & Turvey, 1996 ; Perea & Gotor, 1997). Toutes ont prouvé qu’une amorce présentée durant un court laps de temps (SOA inférieure à 50ms) et encadrée par un pré et un post-masque n’était plus visible pour les sujets sans toutefois que son rôle cognitif ne disparaisse. Par exemple, avec des paires amorce-cible composées d’un même mot (e.g. table-TABLE) ou de deux mots différents (e.g., radio-TABLE), les temps de réaction obtenus sont plus courts lorsqu’il y a répétition que divergence (Dehaene, 2003 ; Foster, 1998 ; Foster & Davis, 1984). Récemment, Dehaene, Naccache, Le Cle’H, Koechlin, Mueller, Dehaene-Lambertz, Van de Moortle et Le Bihan (1998), via un ensemble d’expériences mettant en jeu des techniques tant comportementales que d’imagerie cérébrale (ERPs et fMRI), ont redémontré qu’un stimulus masqué présenté brièvement (43ms) influençait l’activité cérébrale malgré le fait qu’il ne soit pas perçu de façon consciente. Il était simplement demandé aux sujets d’effectuer une tâche de catégorisation sémantique en modalité visuelle : les représentations lexicales des chiffres allant de 1 à 9 constituaient les amorces, alors que leurs valeurs numériques fournissaient les cibles. Il était demandé aux participants d’établir si les cibles étaient plus grandes ou plus petites que 5. Les locuteurs avaient répondus significativement plus vite lorsque les essais étaient congruents (amorce et cible donnait le même chiffre) plutôt qu’incongruents (amorce et cible représentaient des nombres différents) au niveau de la réponse à donner (plus grand ou plus petit que 5). Les auteurs en avaient alors déduis qu’une amorce masquée active des processus cognitifs ainsi que la mise en place d’une réponse motrice sans forcement nécessiter l’intervention des fonctions conscientes 15 .

Donc, en dépit de leur invisibilité, les amorces conservent un impact sur le traitement des cibles associées. Ce paradigme va nous offrir la possibilité d’étudier les effets résultant d’un traitement libre de toutes influences extra-linguistiques et donc à fortiori de se focaliser sur les opérations dirigées spécifiquement par le processeur lexical : les sujets ne réalisant pas la présence de l’amorce, ils ne peuvent la prendre en compte de façon consciente lorsqu’ils vont procéder à la tâche de décision lexicale et, par conséquence, ils ne seront pas à même de mettre en place des stratégies de réponse (Foster, 1998).

En partant du postulat selon lequel l’accès au lexique fait concourir des informations activées de façon automatique et d’autres contrôlées selon le stade étudié du processus (pré ou post-lexical), il nous sera possible de définir à quel moment précis du traitement est sollicité le genre grammatical. Et c’est ce à quoi va s’employer la deuxième tâche de décision lexicale. Pour cela, nous avons simplement répliqué l’expérience 1 et modifié la SOA : le temps de présentation de l’amorce fut abaissé de 200ms à 47ms. Le but était de déterminer le sens de l’effet de genre (i.e. facilitation ou inhibition) mais également de définir si les processus sous-tendant l’effet de genre étaient activés automatiquement sans intervention de stratégies conscientes. Dans de telles conditions expérimentales, si un effet d’amorçage en genre est observé cela signifiera que l’information de genre portée par les articles définis contribue à l’activation et la sélection lexicale. Par contre, si aucun effet de genre n’est trouvé, nous pourrons en conclure que les indices de genre interviennent après l’accès au lexique.

Notes
14.

Nous utiliserons comme masque une ligne de dièses (i.e. #) et non pas un ensemble de lettres, car ces dernières pourraient interférer avec le processus de décodage orthographique de l’item se trouvant sous le masque.

15.

Voir aussi, Naccache et Dehaene (2001a et 2001b) ; Naccache, Blandin et Dehaene (2002).