L’influence du système de réponse

Comme dans tous domaines de la recherche en psycholinguistique, l’investigation des processus cognitifs régissant la reconnaissance visuelle de mots est dépendante des outils de mesures mis à disposition. Ces dernières années la palette des techniques c’est trouvée significativement augmentée par l’introduction de paradigmes tel que l’amorçage sémantique (Neely, 1977), les procédures inter-modalités (Grainger, Nguyen Van Kang & Ségui, 2001 ; Onifer et Swinney, 1981 ; Simpson et Burgess, 1985), l’amorçage masqué (entre autres, Evett & Humphreys, 1981 ; Forster & Davis, 1984 ; Neely, 1977) ou la tâche de Stroop (voir MacLeod, 1991 pour une revue). Chacune de ces tâches était désignée pour examiner un jugement reflétant l’activation automatique des connaissances sans que le locuteur ne puisse influencer de façon consciente sur sa réponse. Dans l’esprit de promouvoir la diversité et la validité des méthodes employées, nous allons introduire dans cette partie la tâche de go-nogo. Contrairement au système classique de réponse oui-non conduisant les sujets à presser un bouton réponse le plus rapidement possible, quel que soit le stimuli présenté, avec le mode go-nogo, il est demandé aux participants de produire une réponse rapide pour un unique type de stimuli (i.e. essais go) et de l’inhiber ou de la refreiner pour une autre sorte d’items (i.e. essais no-go). Le produit d’un mécanisme sous effets stratégiques étant hautement dépendant du contexte dans lequel s’est effectuée la mesure, les réponses vont être sujettes à variations en fonction des facteurs manipulés tels que l’ordre de présentation des items (ordonné, pseudo-aléatoire, aléatoire) ou la composition des listes (Gordon, 1983). Il est donc possible que le mode de réponse employé puisse influencer les temps de réaction et les pourcentages d’erreurs. Cette hypothèse se base sur le postulat suivant : dans une tâche requièrant une classification (i.e. une réponse binaire), les performances sont affectées par l’entrée en conflit de la vitesse d’exécution et de la précision de la commande. Une diminution des latences peut entraîner une augmentation du nombre d’erreurs commises, alors que d’une plus grande précision peut découler une hausse du temps nécessaire à la prise de décision. Puisque qu’en mode go-nogo une seule réponse est demandée, la part accordée aux processus de sélection de la réponse dans le traitement des tâches expérimentales va s’en trouvée réduite. L’avantage d’une telle technique résiderait donc dans la conjugaison d’une plus grande précision de réponse et dans des latences significativement plus courtes.

Si la tâche de go-nogo constitue une procédure couramment exploitée dans les protocoles électrophysiologiques afin d’étudier les processus sous tendant l’inhibition de réponse (voir entre autres Eimer, 1993 ; Nieuwenhuis, Yeung, Van Der Wildenberg & Ridderinkhof, 2003 ; Pfefferbaum, Ford, Weller & Koppel, 1985), elle reste encore marginalement utilisée dans le domaine comportemental. De plus, ces dernières se sont principalement focalisées sur l’importance de l’effet de la fréquence (Hino et Lupker, 1998, 2000 ; Perea, Rosa & Gomez, 2002, 2003), c'est-à-dire sur la façon dont la fréquence d’occurrence d’un mot dans la langue affecte la vitesse d’accès à sa représentation lexicale. Par exemple, dans deux études différentes mettant en jeu une procédure de décision lexicale, Hino et Lupker (1998, 2000) ont trouvés que l’effet de fréquence était plus large sous le mode de réponse go-nogo que oui-non (respectivement 163ms Vs 107,5ms en 1998 ; 120,5ms Vs 96ms en 2000). Toutefois, si les pourcentages d’erreurs diminuaient significativement en go-nogo (respectivement  8,7% Vs 13% en 1998 ; 6,5% Vs 11,7 en 2000), le pattern de résultats pour les latences était plus ambiguë : dans les deux études les temps de réaction augmentaient en go-nogo pour les mots de faibles fréquence (684 Vs 656ms ; 715 Vs 635ms) ainsi que pour les items de forte fréquence en 2000 (595 Vs 539ms), alors qu’en 1998, ils avaient obtenus pour ces derniers une diminution des latences en mode go-nogo (522 Vs 548ms). Perea, Rosa et Gomez (2002, 2003) en espagnol sont aussi arrivés à la conclusion que la tâche de décision lexicale exécutée en mode go-nogo était sensible à l’effet de fréquence et ce en utilisant la même procédure expérimentale. De plus, les réponses plus rapidement données que selon le système oui-non (67ms) s’accompagnaient d’une réduction significative du taux d’erreurs. La différence majeure en comparaison des résultats compilés par Hino et Lupker (1998, 2000) résidait en l’absence d’interaction indiquant par là même que l’amplitude de l’effet de fréquence était similaire dans les deux tâches dans leur premier papier (2002), alors qu’ils retrouvaient une magnitude plus importante de l’effet en 2003 (98,5ms en mode go-nogo et 62ms selon le système oui-non). L’interprétation donnée par Hino & Lupker (1998) et confirmée par Perea et al (2003) à la différence de taille des effets dans les deux procédures est la suivante : selon le système oui-non, la probabilité de faire une mauvaise catégorisation pour un mot de faible fréquence est plus importante. L’essai va donc être enregistré comme erreur et ne participera pas à la mesure des latences de la condition. Les conséquences en sont une diminution de l’effet de fréquence sous le mode oui-non. Si on se penche sur la plus grande précision et vitesse des sujets, elles découleraient simplement de la réduction des réponses possibles impliquant une facilitation du processus décisionnel.

Perea et al par les deux études précédemment décrites avaient apporté des évidences quant à la sensibilité de la tâche go-nogo appliquée à la décision lexicale non seulement à l’effet de fréquence, mais également à l’amorçage automatique associatif 19 (Perea et al, 2002) ; et à la taille du voisinage orthographique 20 (Perea et al, 2003). Donc, le but secondaire de l’expérience 2 sera d’explorer la manière dont le système de réponse affecte la vitesse, la précision des réponses et par la même la taille des effets obtenus pour une tâche de catégorisation en genre avec amorçage en modalité visuelle. Pour cela nous répliquerons l’expérience 1 en changeant uniquement le système de réponse : nous passerons d'un double choix de type oui-non, à une seule réponse à donner. Si l’avantage d’une telle technique est bien attribué au fait de ne donner qu’une seule réponse au lieu de deux, alors nous ne voyons aucune raison valable pour que la tâche go-nogo soit moins précise et rapide lors d’une catégorisation en genre que lors d’une décision lexicale. Nous nous attendons donc à trouver des latences plus courtes et un pourcentage d’erreurs plus faible sous mode go-nogo que sous le mode oui-non. A cela nous pouvons rajouter que si l’effet d’amorçage en genre n’apparaît pas dans l’expérience 1, il peut néanmoins émerger dans l’expérience 2 puisque l’amplitude des effets semble être déterminée partiellement par le système de réponse.

Comme précédemment toutes les expériences ont eu lieu dans la salle d'expérimentation du laboratoire Dynamique Du Langage de Lyon. Après un bref exposé des paradigmes utilisés au cours de cette session, nous analyserons les résultats avant de discuter de leurs implications pour les différentes problématiques soulevées dans cette partie.

Notes
19.

La décision lexicale s’effectue sur des mots et des pseudo-mots précédés par une amorce associée d’un point de vue sémantique aux cibles : ‘chaise’ va amorcer ‘table’. Voir par exemple Collins et Loftus (1975).

20.

Il est observé un effet de facilitation de la taille du voisinage orthographique pour les mots de basse fréquence, i.e. des noms ayant une prononciation similaire à la cible vont être partiellement activés et vont influencer la vitesse d’accès à sa représentation lexicale. Voir entre autres Grainger et Jacobs (1996) et Pollatsek, Perea et Binder (1999) pour un résumé.