Validité des amorces neutres

Nous avons également testé quelle était l’amorce neutre la plus adaptée aux paradigmes de décision lexicale avec amorçage. En effet, s’est posé la question de savoir si il vaut mieux utiliser une suite de symboles, telles que des dièses ou bien un mot existant (lu), qui dans le contexte expérimental ne véhicule pas l’information pertinente de genre.

Au vu des résultats, nous pouvons à présent affirmer que les mots choisis comme amorces en dépit de leurs imperfections (dans notre cas, éventuelles incongruences d’ordre syntaxique) restent néanmoins un matériel plus efficace que les symboles. En effet, leur action primaire va être d’enclencher le processeur lexical afin que puisse débuter plus rapidement la reconnaissance du nom subséquent. Il est donc préférable d’employer des suites de lettres valides que des dièses afin de constituer les amorces neutres dans les études menées en français.

Si nous avons pu jeter les bases amenant à une meilleure compréhension du rôle du genre grammatical en français, de par la faiblesse théorique le sujet reste encore ouvert à de nombreuses recherches tant variées que passionnantes. Par exemple, nous avons souligné, sans toutefois pouvoir en donner d’explications, la présence d’une accélération des latences de réponses pour les mots féminins comparés aux masculins dans les deux modalités, i.e. production et reconnaissance visuelle des mots sur des tâches de décision lexicale et dénomination. Quels sont les mécanismes sous-jacents à cet effet inattendu et surprenant ? Serait-ce du à un traitement par défaut des mots masculins, à des processus cognitifs divergents conduisant à une extraction différentielle des mots en fonction de leur genre ou bien tout simplement au sexe biologique des locuteurs (nos groupes de sujets étant majoritairement constitués de femmes). Il serait possible de répondre à cette question en conduisant une tâche de décision de genre selon les étiquettes féminin-masculin et d’effectuer une mesure des potentiels évoqués sur un nombre équivalent de sujets de chaque sexe.

Une autre problématique soulevée par cette recherche est la suivante : un phénomène intrigant lors des processus d'acquisition d'une seconde langue est la façon dont les apprenants arrivent avec succès à acquérir certains aspects de cette seconde langue alors que pour d'autres domaines ils vont présenter de façon systématique de plus faible compétence, ce qui est le cas pour l'apprentissage du genre grammatical. Une hypothèse aurait pu être que la différence de traitement de l’information de genre entre des locuteurs natifs et non natifs résiderait en la localisation temporelle de ce dernier, soit une extraction pré-lexicale dans la langue maternelle et un accès plus tardif, à un stade lexical ou post lexical dans la langue nouvelle intégrée. Toutefois, les résultats collectés dans cette étude invalident cette théorie. Il est apparu de façon relativement claire que l’indice de genre, du moins dans la langue française, n’était pas extrait à un stade précoce du processus et donc ne favorisait pas la rapidité avec laquelle nous avions accès aux représentations stockées dans le lexique mental. Il serait plutôt traité à un stade tardif et serait par là même impliqués dans des mécanismes de vérification de la congruence syntaxique que cela soit au sein du syntagme nominal (accord entre l’article et le nom associé) ou de la phrase (accord entre les mots composant une déclaration). La question est donc de savoir à quel niveau du processus de compréhension des mots va diverger le traitement de l’information de genre entre des locuteurs de langue maternelle française et des locuteurs ayant le français pour seconde langue ? Il est possible d’envisager que les informations de genre jouent un autre rôle, comme par exemple lors de l’accès aux représentations sémantiques et que c’est à ce niveau que se situe la différence de traitement entre locuteurs natifs et apprenants tardifs. Pour vérifier cette hypothèse il serait nécessaire de conduire plusieurs expériences d’amorçage sémantique sur des apprenants tardifs ayant pour première langue l’anglais (c'est-à-dire une langue ne possédant pas de système de genre à proprement parlé) et sur des participants natifs arabe (c'est-à-dire une langue ayant un système à deux genres, féminin et masculins, sans toutefois de correspondance dans l’attribution d’un genre à un mot), comparés à des locuteurs de langue maternelle française.