2. SPECIFICITES DE L’HISTOIRE CULTURELLE ROUMAINE

Sur le plan culturel, ce sont encore les jeunes issus des familles roumaines les plus riches qui, une fois les révolutions de 1848 terminées, militent pour un renouveau national. Autour de 1840, ces esprits éclairés avaient préconisé dans les pages de la revue « Dacia literarà » (La Dacie littéraire) des écrits inspirés des faits de l’histoire nationale et du folklore roumain. Vasilé Alecsandri publie en français un recueil de poésies populaires (1852) ; Michelet (qui a défini la Roumanie comme « îlot de latinité dans un océan slave ») se prend d’une admiration ardente pour cette « petite Italie », comme il l’appelle dans sesLégendes démocratiques du Nord, Paris, 1854, p.337 :

‘« La Roumanie, toute italienne, si loin de son berceau, isolée et murée entre je ne sais combien de grands états barbares, est entrée le moins qu’elle a pu en communication avec cette effroyable Babel ; elle n’a parlé qu’à elle-même, à son cœur et de son cœur même. Cette pauvre Italie solitaire, qui avait joué encore un grand rôle aux quinzième et seizième siècle , en battant vaillamment les Turcs, depuis, écrasée de toutes parts, semble alors ne vouloir plus rien voir, ni rien savoir, oublier tout, se cacher tout en soi. Le malheur de chaque jour étouffe tout sentiment public. En revanche, les sentiments privés, l’amour, l’amour de la famille, emplissent l’âme, le charment, le console ». (cité par A. Cioranescu dans La Roumanie vue par les étrangers, éd.Luceafàrul, Bucuresti,1944, p.249).’

A cette époque, l’échange est bien équilibré entre les deux cultures : Lamartine est le président de la Société des étudiants roumains de Paris ; Michelet concrétise sa sympathie pour la culture roumaine dans les faits et dans ses écrits. Ses idées, ainsi que l’œuvre de ses compatriotes et contemporains sont diffusées en Roumanie. Enfin, des intellectuels roumains deviennent conscients de la nécessité de fonder des revues et des gazettes pour le rayonnement des idées nouvelles mais aussi pour l’enrichissement culturel de toute la Nation. Ainsi, Titou Maiorescu( 1840-1917) œuvre et pose les bases de la Société littéraire « Junimea » (La Jeunesse) (1863) et de la revue « Convorbiri literare » (Entretiens littéraires), en 1867, qui reste attachée au concept des « formes sans fond » selon lequel on blâme les emprunts faits à l’Occident sans esprit critique mais reste liée aussi au nom de Mihaï Eminescu, véritable phénomène poétique, quintessence de la spiritualité roumaine ( les milliers de livres qui ont été écrit par des chercheurs roumains et étrangers à son sujet donnent une idée de son importance). En revanche, une revue comme « Literatorul » (fondée en 1880), porte-parole du cénacle du même nom que dirige le poète Alexandrou Macédonski, procède à la diffusion du symbolisme en Roumanie. Notons au passage - pour souligner la place qu’occupe la langue française dans l’aire culturelle roumaine - que Macédonski, l’un des grands poètes de la période, a écrit un cycle entier de poèmes directement en français.

Les traditionalistes se retrouvent sous la bannière d’une revue qui glorifie le monde rural, la société patriarcale, et magnifie le présent idéalisé, revue au nom significatif de « Sàmànàtorul » (Le Semeur), entre 1901 et 1910, soutenue par Nicolaé Iorga (1871-1940). Tout mouvement novateur est taxé, selon l’idéologie propre à cette revue, de « produit d’importation » et considéré comme « maladif ». Une volonté affichée de mettre en avant les valeurs nationales caractérise ce début de siècle et se prolonge dans l’activité menée par « La Vie roumaine », revue que dirigea, pendant longtemps, Garabét Ibràiléanu(1871-1936), théoricien de « la spécificité nationale » ; le critique s’intéresse pourtant aux écrits étrangers et à la création proustienne, notamment, qu’il analyse objectivement. Il est lui-même l’auteur d’un (seul) roman, intitulé Adèle (ou le journal d’Emil Codrescu) que les critiques roumains ont catalogué comme « proustien » ! Pour des raisons d’orgueil (un peu) mal placé, par la suite, il campe sur des positions complètement opposées à celles d’Eugène Lovinescou, fondateur, lui, du cercle et de la revue moderniste « Sburàtorul » (1919).