b) FRANCOPHONIE ET FRANCOPHILIE ROUMAINES

‘« Ce qui flatte le Français de passage à Bucarest, c’est de constater qu’on y parle partout sa langue. Dans toute la bonne société, on parle français. On le parle entre soi au restaurant, au théâtre, et dans certains restaurants, chez Capsa, à l’hôtel du boulevard, chez. Enescou, vous n’entendez souvent des couples de dîneurs parler roumain que pour interpeller le garçon. D’ailleurs, toute la population aisée et instruite parle simultanément le roumain, le français et l’allemand ; mais le français est la langue de famille, l’allemand étant la langue commerciale »’

Ce constat est celui d’un non-spécialiste, puisqu’il s’agit de A.Muzet, « ingénieur, chargé de mission en Orient » qui publia en 1920 un livre introuvable de nos jours intitulé La Roumanie nouvelle, celle qui sortait à peine de la guerre et qui n’avait pas encore pansé toutes ses plaies. Pourtant,

‘« si vous vous arrêtez à la vitrine des librairies du centre de Bucarest, vous y voyez une bonne moitié de livres français ; le roman parisien qui vient de paraître y est en évidence, les marchands de journaux vendent presque tous les journaux français, quotidiens et illustrés ; enfin, de grands quotidiens roumains sont imprimés en français. L’influence française ne se constate pas seulement en littérature; que croyez-vous par exemple qu’on joue au grand Théâtre National ? Approchez-vous de l’affiche, vous y verrez : tournée Sylvain de la Comédie-française, tournée Blanche Toutain, ou encore représentation de l’Oeuvre avec Suzanne Després (oeuvre cité, page 77). ’

Vingt ans plus tard et sous l’œil d’un « spécialiste » cette fois, - puisqu’il s’agit de Paul Morand témoin officiel (attaché d’ambassade) et touriste conquis (marié à la petite belle Hélène, veuve du prince Soutzo) par la capitale roumaine - cette société nouvelle présente des aspects plus originaux tout en restant foncièrement francophile et francophone. La description de l’Athénée Palace, ce Ritz danubien, donne l’occasion d’une savoureuse parenthèse culturelle :

‘« En ce foyer central de Bucarest, tout vous parle de la France ; les kiosques y vendent autant de journaux français que de feuilles roumaines, nos livres, aux couvertures encore fraîches, sont lus dès leurs apparitions, nos compatriotes, reconnaissables à ce que n’ayant pas pensé à acheter des bonnets de fourrure, ils portent le chapeau melon, sont immédiatement invités partout, nos parfums et nos articles de fantaisie parent chaque devanture, notre langue est parlée couramment » (Bucarest, Éditions Plon, Paris, 1935, page 171).’

Il est intéressant pour nous de remarquer par ailleurs, sous la plume de cet écrivain qui a connu et fréquenté Proust, la référence à ce dernier pour le dessin d’un visage ou le caractère d’un ami passager, tout comme cette rencontre fortuite du nom de Camil Petrescu. Ainsi, à la page 105 de son « Bucarest », à propos de la reine Marie de Roumanie :

‘« Je retrouve cette tête petite et fière qui enchantait Marcel Proust, ce nez si bien arqué, ce cou si haut et qui porte sans fléchir le poids des perles énormes »... ’

ou à propos de George, « un guide bienveillant auquel je suis confié. Il joint aux plus charmants dons de l’esprit cette gentillesse que Proust préférait à toutes les autres qualités » (passim, p.216).

Au passage en revue de lieux culturels, tels que la bibliothèque de Jean Bràtianu, « le Cavour de la Roumanie » ou de l’Union des Fondations, s’ajoute « une équipe intéressante sous l’intelligente direction de M. Camil Petrescu » ! (passim, p.210). « Quant au café Capsa, en face du Cercle militaire, personne n’y consomme ; les seuls alcools sont le Temps et le Journal des débats». Pour d’autres, l’alcool le plus fort reste la capitale française. Les princes roumains passent le plus clair de leur temps à Paris, envoyés officiels de leur pays ou poussés uniquement par le plaisir de vivre à la française.