1. CAMIL PETRESCU ET LES PARRAMETRES DE SA NARRATION

Ce qui frappe d’emblée dans le roman de Madame T. c’est l’aspect fragmentaire du texte, au niveau typographique comme à celui de la narration, aspect dans lequel la critique autochtone a vu surtout un désir affiché de modernité. C’est dans ce sens que l’on a parlé de structure innovante ou de « parallélisme narratif ». Observation tout à fait correcte et justifiée par la formule de « miroirs parallèles » avancée par l’auteur lui-même. Dans une optique comparatiste, il nous semble que le fragmentaire camil-petrescien se présente en résonance du fragmentaire proustien. Nous essayerons d’en dégager les moyens au cours de l’analyse détaillée de quelques découpes pratiquées dans le récit de Fred.

Le personnage focalisateur de Madame T. qui est aussi le narrateur du drame auquel sont impliqués les protagonistes du roman, est, en dernière instance, l’auteur du récit destiné à son ami, l’écrivain (c’est-à-dire à Camil Petrescu). Il rend compte, en conséquence, du fait découvert (le drame de Ladima) et de ses répercutions, de son investigation. Pour accéder au sens de sa quête il lui faut déployer une certaine tactique. Dans le déroulement du récit, cela se traduit par le jeu qui consiste, de la part de l’homme, à feindre l’indifférence alors qu’il brûle d’impatience de lire toutes les lettres du malheureux Ladima et, de la part de la femme, d’asseoir sa confiance en donnant, au besoin, quelques renseignements supplémentaires à Fred sur les événements et les circonstances de cet amour incongru : « J’allume une cigarette, songeur, en veillant à ce que rien ne paraisse de mon trouble profond et je souris pour donner le change, de peur de trahir un trop grand intérêt». Intérêt qui n’a rien à voir avec la curiosité malsaine, même s’il en a l’intensité, pour « tout un univers insoupçonné » qui va être dévoilé : « Je pose la lettre sur la table de nuit et j’éprouve la sensation d’avoir gardé sur les doigts comme une poussière de papillon mort ».

Sensation traduit chez le narrateur un malaise qui, déplacé du domaine de la pensée dans celui concret, suggéré par le contact avec la poussière des ailes d’un papillon mort, est susceptible d’évoquer l’intensité du drame vécu par Ladima.