3. ENTRE ADHESION ET DISTANCIATION

Rapporter l’œuvre de Camil Petrescu à celle de Marcel PROUSTest, dans un premier temps, un exercice séduisant et justifié par le fait que l’auteur roumain nous a lui-même fourni des pistes. Sont-elles vraies, sont-elles fausses ?

D'emblée, il faut remarquer que par son adhésion publique, l'écrivain roumain se définit comme intégrant la famille spirituelle de Marcel Proust, dont le rapproche, beaucoup moins que la vision d’ensemble, une certaine idée de la conception de l’œuvre, la technique narrative.

L’entreprise de mise en regard de leurs créations se heurte à l’immensité de l’œuvre de Proust et à la quantité d’études qui lui ont été consacrées en comparaison avec l’œuvre romanesque de l’écrivain roumain, de surcroît peu connu dans l’aire française. Nous avons donc été condamnée à faire démarrer notre analyse à partir des romans de Camil Petrescu dans lesquels nous avons découpé des séquences d’abord spécifiques de l’écriture camil-petrescienne, ensuite, des séquences que nous jugeons similaires, par la signification, par la méthode ou tout simplement par le choix des motifs, à des segments de l’œuvre proustienne. Nous essayons également de contourner l’obstacle majeur rencontré par tous les analystes de Marcel Proust : le choix entre interprétation biographique ou interprétation synchronique, en utilisant lorsque cela est vraiment nécessaire, quelques données fournies par la vie de l’écrivain, uniquement lorsqu’elles permettent une meilleure compréhension de l’œuvre ou lorsqu’elles éclairent l’hypothèse du rapprochement. Car il ne faut pas oublier, comme l’a remarqué si judicieusement Serge Gaubert dans son Proust ou le roman de la différence que « la création, elle aussi, a connu des intermittences, que les modifications de l’œuvre écrivent la biographie du romancier plus que l’œuvre ne le décrit… La façon dont le romancier analyse et ordonne dans le livre la relation entre individu et le monde social n’est-elle pas marquée, déterminée, plus encore que par l’expérience « mondaine » de Proust, par son expérience d’écrivain et d’écrivain jusque-là à la recherche de sa différence ? » Le problème a été abordé dans l’air roumaine, et notamment dans une étude d’E. Simion que l’on peut lire en français : Le retour de l’Auteur (chez l’Encrier Editeur,1996).

La perspective initiale de la mise en parallèle de nos deux auteurs doit se faire du point de vue imposé par la "nouvelle structure" (et de ce qui en découle), structure qui est donnée, comme nous l'explique Camil, par la psychologie et la science de l'époque et qui, comparée à la littérature contemporaine, était en avance d'un siècle. Le retard de la littérature qui doit être « synchrone à la structure », en principe, fait que l'écriture originale de Proust prend l'importance d'une véritable révolution. Au choc de la nouveauté, permettant d'ouvrir la voie à la modernité, s'ajoute, aux yeux de Camil, le mérite de la sincérité de l'auteur, principe que le Roumain met au-dessus de tout : Si Proust, affirme-t-il, n'a pas bâti une véritable doctrine [comme l'avait fait l'auteur de ces assertions], « il a vécu et il a découvert avec sincérité la vie » et a emprunté à Bergson « bien plus que la méthode elle-même, cette intime et immédiate sincérité, le reste venant justement de soi, telle une preuve littéraire de la philosophie de l’intuition, imposée par la réalité après bien des tâtonnements ». (n.s.)

Vingt ans après la publication du dernier tome de l’œuvre proustienne, Philippe Van Tieghem, auteur d’une Histoire de la littérature française (publié en 1949 chez Arthème Fayard), remarquait qu’ « avec Proust plus qu’avec aucun autre de ses prédécesseurs, un pas énorme a été fait dans la conquête de la vérité humaine » (n.s.)

L’interprétation que nous allons essayer de faire de Camil Petrescu et de la création proustienne va prendre appui sur la lecture que l’écrivain roumain a fait lui-même de Proust à la lumière de la philosophie de Bergson ; on se souvient que selon la conception de ce dernier, la connaissance métaphysique, laconnaissance absolue, est possible; cette connaissance est de nature psychologique et son instrument, nous rappelle Camil, est l'intuition. Or, en simplifiant,[vue l’étendue de l’œuvre proustienne nous serons contrainte, fatalement, de réduire au maximum les références à l’auteur français, en partant de la prémisse qu’il est, obligatoirement, plus connu que nos écrivains roumains] on peut dire que l'auteur de la Recherche, essaie, dès les premières pages de son œuvre, de pénétrer les mystères de l'existence, d'accéder à la connaissance de l’Être. La connaissance de soi préoccupe l’écrivain roumain au point d’en être obsédé à vie et de bâtir toute une doctrine philosophique sur « la conscience substantielle. »

Notre analyse est vouée à évoluer à partir des termes clé que la création de Camil Petrescu a imposés, comme : authenticité, sincérité, connaissance, lucidité, conscience, soif d’absolu, substantialité et en parallèle, à prendre en compte les interprétations convergentes de Proust.

Nous allons également nous servir de quelques études proustiennes (on l’aura compris !) pour mettre en lumière des approches nouvelles entre les deux auteurs qui pourront, peut-être, ouvrir d’autres perspectives comparatistes.