3. Les relations de Pierre Drevet avec l’Académie royale de peinture et de sculpture

Nous savons par les procès-verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture, que Pierre Drevet reçoit son agrément le 28 septembre 1703 280 , et que le 6 octobre suivant, Coyzevox, Directeur de l’Académie, lui désigne pour sujet de réception le portrait de l’architecte du roi Robert de Cotte 281 . Le 7 juin 1704, Pierre Drevet demande un délai de six mois pour remettre la planche, délai que l’Académie lui accorde 282 . En 1707, Pierre n’ayant pas terminé ― et encore moins commencé — son sujet de réception, propose le 30 juillet « de pouvoir suppléer à son devoir de réception en donnant à l’Académie la planche du portrait de M. Le Brun, gravé par Edelinck 283 ». Ce portrait de Le Brun avait été brossé par Nicolas de Largillierre 284 . L’Académie accepte cette proposition et demande cent tirages. Le cuivre d’Edelinck acquis par Pierre et offert à l’Académie, représentait probablement un don d’une grande valeur aux yeux des académiciens, pour au moins trois raisons. La première était la considération unanime dont Le Brun faisait l’objet, la seconde concernait l’auteur du portrait peint, Nicolas de Largillierre, membre de l’Académie, très apprécié de ses confrères, la troisième était en rapport avec la notoriété dont jouissait Gérard Edelinck dans le milieu artistique, alors qu’il venait de décéder 285 .

Pierre est donc reçu académicien le 27 août 1707 « à la charge de graver le portrait de M. de Cotte dès qu’il le pourra ».Le graveur promet à l’assemblée qui accepte, de « travailler à graver le portraict de Mr De Cotte aussittôt qu’il le pourra ou à un autre tel que la Compagnie le luy ordonnera, supposé que l’on puisse obtenir du temps de M. De Cotte 286  ». Il prête donc serment « entre les mains de Monsieur Jouvenet, président aujourd’huy ». Le procès verbal est revêtu des signatures de Jouvenet, Girardon, Barrois, De la Fosse, Houasse, C. Van Cleve, De Launay, Lauthier, De Corneille, Boullongne l’aisné, Legros, De Troy, Flamen, Hallé, Magnier, Vernansal, Colombel, L. Silvestre le jeune, Cornu, De Vaurose, Marot, Frémin, Fontenay, J. Vivien, Boüys, Drevet.

Pierre devait avoir de sérieuses raisons pour, le 30 juillet 1707, proposer à l’Académie le portrait de Charles Le Brun, gravé par Edelinck d’après Nicolas de Largillierre. Il est indéniable que, désirant offrir un chef-d’oeuvre à l’Académie, il a attendu que Rigaud exécute le portrait de Robert de Cotte. Les lourdes fonctions de l’architecte ne lui permettaient probablement pas de prendre le temps de poser pour un peintre et Rigaud, lui-même, assailli de commandes, devait être peu disponible.

Il semble évident qu’un portrait peint par Rigaud offrait au graveur la possibilité de mettre en valeur ses remarquables qualités de dessinateur et de buriniste, beaucoup plus que ne l’aurait fait un peintre moins brillant. En outre, l’amitié exceptionnelle liant le peintre et le graveur, leur compréhension mutuelle et les chefs-d’œuvre gravés antérieurement par Drevet d’après Rigaud, ne pouvaient qu’inciter le graveur à offrir, pour sa réception à l’Académie, un portrait de Robert de Cotte d’après Hyacinthe Rigaud, portrait qui consacrerait l’ensemble de son oeuvre.

Cette hypothèse est corroborée par deux faits. Le premier intervient au Salon de 1704, où Tortebat expose un Portrait de Robert de Cotte, portrait sans doute peu convainquant pour Drevet qui a du le voir 287 . Une estampe, d’après ce portrait, gravée par Antoine Trouvain en 1707, se trouve au Département des estampes de la Bibliothèque nationale 288 . En effet, à l'examen de cette gravure, Robert de Cotte n’y paraît pas à son avantage, le visage offrant peu d’expression et sans doute peu de ressemblance 289 . En supposant que Pierre Drevet ait eu connaissance du portrait de Tortebat, il l’aura probablement écarté. Cependant, un autre portrait de Robert de Cotte existait qui aurait dû satisfaire Pierre en raison de ses qualités d’exécution : il s’agit de celui peint par Joseph Vivien pour sa réception à l’Académie royale de Peinture en 1701 290 . Il n’en a rien été. Incontestablement, Pierre Drevet attendait un portrait peint par son ami Hyacinthe Rigaud pour réaliser son morceau de réception à l’Académie.

En 1710, le portrait de Robert de Cotte n’est toujours pas gravé.Le 3 mai de cette même année, Pierre Drevet remet à l’Académie « une estampe du portrait de Madame de Nemours, mise sous un verre avec sa bordure dorée, gravée et donnée par Mr Drevet pour sa réception le 27 aoust 1707 ». Cette remise est consignée dans un manuscrit conservé à l’École des Beaux-Arts 291 . En effet, Pierre n’ayant pas, dans le temps imparti, présenté à l’Académie le portrait de Robert de Cotte imposé par Coysevox pour les diverses raisons évoquées plus haut, offre à l’Académie ce qu’il considère probablement être la somme de son savoir-faire, le Portrait de la Duchesse de Nemours d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 31).

En définitive, Rigaud brosse le portrait en 1713 292 etDrevet en réalise la gravure en 1717 293 . Prenant son temps, le graveur parachève la planche jusqu’en 1722, ne la remettant à l’Académie que le 28 février 294 (cat. P. Dr., n° 56). Les membres de l’Académie lui rendent, le jour même, la planche d’Edelinck « par une grâce spécialle qu’Elle luy accorde, à charge par luy d’en faire tirer cent épreuves, pour être gardées dans l’Académie, à quoy il s’est engagé ». Un mois plus tard, Pierre remet à nouveau à l’Académie le cuivre du Portrait de Le Brun par Edelinck 295 .

Ces différents retards et rebondissements relatifs à la remise par Pierre Drevet à l’Académie de son sujet de réception, suscitent plusieurs remarques et des interrogations. En premier lieu, Coyzevox n’exige de Pierre Drevet qu’un seul portrait, celui de Robert de Cotte, alors qu’il est généralement dans la coutume de l’Académie, en tous cas depuis 1704, de demander deux sujets. En second lieu n’ayant toujours pas remis son morceau en 1707, Pierre offre pour faire patienter l’Académie, un cuivre gravé par un autre artiste que lui. Était-ce une pratique courante ou non ? Aucune trace de cet usage n’a été trouvée dans les procès-verbaux de l’Académie. On remarque encore, qu’en 1710, dans la logique d’un unique morceau requis pour sa réception, Pierre ne remet pas le cuivre du portrait de la Duchesse de Nemours ― qu’il ne possède certainement plus d’ailleurs ― mais en offre un tirage sous verre et encadré. Pour finir, il remettra le cuivre du portrait de Robert de Cotte dix-neuf ans après son agrément, tout en ayant été reçu à l’Académie en 1707. Nous restons confondus devant l’attitude tolérante de l’Académie à l’égard de Pierre Drevet, alors que régulièrement, elle priait les graveurs retardataires de s’exécuter dans les délais accordés 296 . Pourtant il est arrivé à plusieurs reprises, dans l’histoire de l’Académie, que des peintres ne remettent jamais leurs morceaux de réception, ainsi Michel Dorigny, Pierre Mignard… mais ils ne sont pas nombreux. En revanche, certains autres les remettent mais avec beaucoup de retard, comme Hyacinthe Rigaud qui a présenté le Portrait de Martin Desjardins seize ans après sa réception et son morceau d’histoire, Saint André 297 , un an avant sa mort, en 1742... Si l’Académie a été parfois clémente envers les peintres, il semblerait qu’elle n’ait pas été coutumière du fait pour les graveurs, car, sauf erreur, on ne trouve pas à cette époque, de relation concernant un retard aussi important apporté par un graveur pour la remise de son sujet de réception.

De ces faits, il ressort en filigrane, d’une part le tempérament opiniâtre du graveur qui passe calmement outre aux réclamations de l’Académie pour attendre l’occasion de lui offrir un chef-d’œuvre, d’autre part, la bienveillance de l’Académie qui sait reconnaître son talent, enfin, le rôle probablement joué par les amitiés solides que Pierre avait nouées au sein de l’Académie.

Il est également nécessaire de faire remarquer que Pierre avait déjà fait l’objet de la sollicitude de l’Académie au début de l’année 1705, alors qu’il devait faire face aux attaques des maîtres imprimeurs en taille-douce qui lui reprochaient de profiter des privilèges accordés aux Académiciens, alors qu’il n’était qu’agréé. Le 31 janvier de la même année, un compte-rendu de l’Académie rapporte le fait et le certificat qui lui est accordé, mentionnant que « la qualité d’agréé n’étant accordée qu’en vertu d’un premier jugement fondé sur la connoissance d’un mérite suffisamment académique, rend l’agréé dès lors participant de tous les droits et privilèges de l’Académie… 298  ».

Notes
280.

Montaiglon 1878, III, p. 373, voir annexes, vol. III, p. 62, no 3.

281.

Montaiglon 1878,III, pp. 374-375, voir annexes, vol. III, p. 63, n° 4.

282.

Montaiglon 1878, III, p. 394, voir annexes, vol. III, p. 63, n° 6.

283.

Montaiglon 1878, IV, p. 49, voir annexes, vol. III, p. 64, n° 10. Portrait gravé de Le Brun, BNF, Est., Da 39b, in-fol., annexes, vol. III, A 3, p. 100.

284.

Paris, ENSBA, MU 1434.

285.

En outre, ce portrait avait été, en 1677, le morceau de réception d’Edelinck et le graveur n’avait jamais remis le cuivre à l’Académie. Voir Préaud 1982, p. 13, n° 4.

286.

Montaiglon, P. V., IV, p. 49, voir annexes, vol. III, p. 64, n° 11.

287.

Liste des tableaux et des ouvrages de sculpture, exposez dans la Grande Gallerie du Louvre, en la présente année 1704, à Paris, J.-B. Coignard, 1704, p. 26.

288.

BNF, est., N2, in-fol., portraits, Mf. D120331.

289.

Il s’agit de Jean Tortebat (1652-1718), peintre portraitiste, moins connu que son père François qui avait été élève et gendre de Vouet et qui était mort en 1690.

290.

Catalogue de l’Exposition « Les peintres du roi, 1648-1793 », Musée des Beaux-Arts de Tours, 18 mars -18 juin 2000, Musée des Augustins, à Toulouse, 30 juin – 20 octobre 2000, Paris, RMN, 2000, p. 244, n° R. 152. Voir répertoire illustré des morceaux de réception des peintres à l’Académie royale de peinture.

291.

MacAllister Johnson 1982, n° 23 p. 76.

292.

Roman 1914, p. 168

293.

Van Hulst, voir Dussieux et coll. 1854, p. 191.

294.

Montaiglon, P. V.,IV, p. 330, voir annexes, vol. III, pp. 64-65 n° 13.

295.

Montaiglon, P. V., IV, p. 332, voir annexes, vol. III, pp. 65, n° 14.

296.

Les procès-verbaux de l’Académie rapportent fréquemment des mises en garde faites auprès de graveurs qui ne rendent pas leurs morceaux de réception dans le temps imparti, par exemple, les 27 septembre 1704 et 26 janvier 1715 (Montaiglon, P. V., III, p. 403, IV, p. 196, voir annexes, vol. III, p. 63, n° 7 ; p. 64, n° 12)

297.

Catalogue de l’Exposition « Les peintres du roi, 1648-1793 », Musée des Beaux-Arts de Tours, 18 mars -18 juin 2000, Musée des Augustins, à Toulouse, 30 juin–20 octobre 2000, Paris, RMN, 2000, pp. 164-167, cat. n°36.

298.

Montaiglon, P. V., IV, pp. 2-3, voir annexes, vol. III, p. 63, n° 8.