4. La production de Pierre Drevet à l’apogée de son talent (1698-1714). Pierre Drevet expert.

Il ne sera étudié dans cette partie, que les œuvres majeures qui ont marqué l’enchaînement des années laborieuses et glorieuses de la vie de Pierre Drevet. Si les années 1696 et 1697 ont vu la réalisation de portraits notoires tels que ceux du Prince de Guldenleu d’après Hyacinthe Rigaud (cat. P. Dr., n° 40) et de François Girardon d’après Joseph Vivien (cat. P. Dr., n° 107), chaque année, à partir de 1698 et jusqu’en 1714, est ponctuée par la réalisation de deux ou trois portraits marquants. Ici se situe l’apogée du talent de Pierre Drevet.

Lorsque l’on se réfère à la qualité qu’il apporte aux portraits de cour, aux portraits des prélats, des abbés et des magistrats présentés en buste dans un ovale ainsi qu’aux sujets religieux gravés pendant les années allant de 1698 à 1707, force est de constater que le travail de Pierre est intense pendant cette période de neuf années. Il réalise quarante-deux gravures dont on connaît la date d’exécution et parmi lesquelles on compte trente-huit portraits et quatre sujets religieux. À cela, viennent en complément celles dont la date est incertaine ou inconnue.

Dans le style des portraits de Maximilien Titon (cat. P. Dr., n° 64) et du prince de Guldenleu (cat. P. Dr., n° 40) décrits précédemment, trois beaux portraits à mi-jambes, interprétés avec encore plus de recherche, sont exécutés en 1698 et 1699, en l’occurrence ceux de Nicolas Lambert de Thorigny (cat. P. Dr., n° 92) et de son épouse Marie de L’Aubespine (cat. P. Dr., n° 93), d’après Nicolas de Largillierre, ainsi que celui du théologien Léonard Delamet, d’après Hyacinthe Rigaud (cat. P. Dr., n° 71) 299 . Non seulement Pierre y confirme sa maîtrise du burin, affinant son goût pour les nuances, mais traite aussi, avec une grande sûreté de main, les accoudoirs en bois. La manière dont sont traités ces accoudoirs met en valeur le reste de l’estampe et génère un « fini » que l’on n’avait pas encore vu dans l’œuvre de Drevet. Cette matière n’avait pas encore été représentée par le graveur avant ces portraits, parce-qu’elle ne se trouvait sans doute pas dans les tableaux interprétés.

En 1700, le portrait de Jacques-François-Edouard Stuart d’après Nicolas de Largillierre (cat. P. Dr., n° 15), pour lequel le burin de Pierre a su ménager la fraîcheur d’un visage d’enfant, et celui de Rigaud à la palette (cat. n° 117), d’après lui-même, le placent déjà au sommet de son art.

Gravés en 1701, les portraits de Philippe V d’Espagne (cat. P. Dr., n° 16), d’après François de Troy et surtout ceux du dauphin Louis de France (cat. P. Dr., n° 27), d’après Rigaud, d’Hélène Lambert-de Motteville (cat., P. Dr., n° 99), d’après Nicolas de Largillierre, laissent stupéfait devant les tailles à la fois denses et légères, épousant chaque élément du dessin et du coloris. De même en 1702, les portraits de Philippe V d’Espagne (cat. P. Dr., n° 17) et de Madame Rigaud (cat. P. Dr., n° 116), d’après Hyacinthe Rigaud, sont autant de chefs-d’œuvre.

Outre ses occupations habituelles, l’énorme travail que représentent les drapés brodés du portrait du Marquis de Dangeau, d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 58), occupe Pierre durant toute l’année 1703. Les travaux de tailles effectués lors des quatre états différents ont eu pour effet d’atténuer l’éclat par endroits métallique du premier état. Il en résulte plus de velouté et de délicatesse. Probablement aux alentours de 1704, Pierre grave l’Annonciation, d’après Antoine Coypel, tableau brossé en 1702 pour une petite chapelle de l’église de Meudon (cf. cat. P. Dr., n° 4). Inexactement attribuée par certains auteurs à Pierre-Imbert 300 , cette estampe est un exemple complémentaire de l’aptitude de Pierre à graver aussi bien portraits que sujets religieux et d’histoire 301 .

En dehors des cinq ou six gravures annuelles dont les caractéristiques sont moins significatives de son talent, Pierre réalise encore un à trois chefs-d’œuvre par an. Il termine, probablement en 1705, la gravure du portrait du peintre Jean Forest, d’après son gendre Nicolas de Largillierre, (cat. P. Dr., n° 106), gravure qui peut être considérée comme l’archétype de l’art de Pierre Drevet pour un portrait gravé à la fois sobre et vivant, à la technique raffinée qui sait se faire oublier. Le soin particulier que prend Drevet pour faire de cette planche un chef-d’œuvre, atteste de l’admiration et de l’estime que lui inspire Largillierre. On peut avancer, sans risque, que Nicolas de Largillierre a lui-même passé la commande de la gravure à Pierre Drevet, car, en 1722, étant en possession de la planche gravée et connaissant sa valeur artistique, il l’offre à l’Académie lors de la séance du 18 mars 302 .

Tandis qu’il achève en 1706 le portrait de Boileau (cat. P. Dr., n° 102), d’après Rigaud, dont la technique est estompée par le rendu velouté du visage, des mains, de la chemise, des livres, des feuilles de papier, et ne nuit en rien à l’expression vivante du portrait, Pierre entreprend le Sacrifice d’Abraham, d’après Antoine Coypel (cat. P. Dr., n° 1) qu’il édite en 1707. Il s’agit de la troisième pièce à sujet religieux, tentée par Pierre, après le Repentir de Saint Pierre (cat. P. Dr., n° 6), d’après Antoine Dieu, gravé vers 1692 et la Nativité, gravée en 1696 d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 5). Cette dernière et le Sacrifice d’Abraham illustrent la capacité de Pierre, essentiellement graveur de portraits, à s’adapter au sujet imposé, comme il a été observé plus haut et ainsi que nous l’étudierons dans la troisième partie de ce travail. Néammoins, on remarque qu’il n’emploie que son burin sans préparation à l’eau-forte.

Deux autres gravures tout à fait remarquables ont été tirées en 1707, qui ont renforcé la notoriété de Pierre et consacré son talent : le portrait de Marie d’Orléans duchesse de Nemours (cat. P. Dr., n° 31), dont il donne une estampe encadrée à l’Académie pour sa réception 303 et le portrait du Duc de Bourgogne (cat. P. Dr., n° 28), gravés tous les deux d’après Rigaud. Si ces deux portraits sont l’illustration évidente de l’étroite collaboration entre le peintre et le graveur, ils sont aussi l’expression de la sensibilité de l’artiste Pierre Drevet, sensibilité proche de celle du peintre. Infatigable, Pierre prend le temps, entre 1707 et 1708, d’achever la planche commencée par Gérard Edelinck, la Famille de Darius aux pieds d’Alexandre, d’après Pierre Mignard (cat. P. Dr., n° 12).

Excepté pour le portrait de Lillienstedt d’après Schild (cat. P. Dr., n° 62), gravé en 1710, qui peut être compté parmi les meilleures pièces de Pierre Drevet et hormis le portrait de l’abbé Jean Polinier, général des Génovéfains, (cat. P. Dr., n° 82), unique portrait gravé par Pierre pour cette congrégation, les années allant de 1708 à 1712 ne sont pas prolifiques. En effet, le graveur se garde du temps pour la commande royale qu’il a reçue, qui sera une pièce capitale de son oeuvre et à laquelle il a probablement consacré toute son énergie. Il s’agit du portrait de Louis XIV en piedd’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 21). Le dessin de Jean-Marc Nattier (1685-1766), d’après lequel Pierre doit graver le portrait, ayant été payé au peintre en 1713 304 ― on connaît les retards apportés aux règlements par l’administration royale ― Pierre a du recevoir ledessin entre 1710 et 1711 et se mettre immédiatement au travail. En 1712, le travail est largement avancé car Van Hulst date la planche de cette année là. En 1714, Pierre reçoit le 30 janvier, un premier acompte de mille cinq cents livres « pour la graveure qu’il fait du portrait du Roy en pied d’après le sieur Rigault 305  ». Le 6 août de la même année, un second acompte de mille livres lui est attribué 306 . Enfin, le 16 février 1716, le graveur reçoit le solde : « A Drevet, autre, parfait payement de 5,005 l. pour la graveure qu’il a faite du portrait en pied du feu Roy Louis XIV d’après le sr Rigault pendant 1714-1715, 2.505 l 307  ». Comme il est souligné plus haut, si l’on tient compte des retards apportés aux règlements des travaux, on peut, sans trop d’erreur, dire que Pierre a achevé la gravure entre 1712 et 1713. Mariette nous informe que la planche a été gravée« par ordre de sa majesté tres Chretienne et pour estre mise dans Son Cabinet 308  ». Legraveur afaitde ce portrait un exemple de burin parfait comme était parfait le portrait peint par Rigaud. La dignité et la souveraineté royales exigeaient cette très grande perfection qui rend l’observateur admiratif au premier coup d’œil.

L’année 1713 est tout aussi importante, pendant laquelle, Pierre, rattrapant le retard occasionné par la réalisation du portrait de Louis XIV, n’exécute pas moins de huit gravures, parmi lesquelles on remarque notamment le portrait de Pierre Gillet (cat. P. Dr., n° 89), d’après Hyacinthe Rigaud. L’expression du vieux magistrat est d’une finesse piquante et le traitement des cheveux argentés est tout aussi remarquable. Ce portrait appartient aux meilleures planches gravées par Pierre.

L’année suivante voit trois réalisations. La première, le portrait de Hyacinthe Rigaud au porte-crayon (cat. P. Dr., n° 118), d’après lui-même, dont le commanditaire est Louis Dassenet. Le cinquième état du cuivre nous offre un portrait fini équilibré, présentant des effets de clair-obscur générés par les tailles et les contretailles serrées et appuyées sur les épaules, dans le pan du manteau, dans les ombres placées en diagonale du haut et du bas de l’estampe. La seconde réalisation concerne le portrait du prince Louis Alexandre de Bourbon, second fils légitimé de Louis XIV, d’après Hyacinthe Rigaud (cat. P. Dr., n° 36), beau portrait au rendu velouté saisissant. Puis, en troisième réalisation, Pierre grave ce qui sera, outre le portrait de Robert de Cotte étudié plus haut, et les portraits gravés par la suite en collaboration avec Pierre-Imbert, son dernier portrait en pied, celui du Maréchal de Villars d’après Hyacinthe Rigaud (cat. P. Dr., n° 53). Ce morceau dans lequel Pierre met en oeuvre un burin fougueux et incisif, n’est cependant pas dénuéd’une grande sensibilité.

Pierre Drevet a été sollicité, probablement à de nombreuses reprises, pour des estimations lors d’inventaires généralement demandés par des graveurs ou leur famille, s’il s’agissait d’un inventaire après décès.

Le 5 février 1703, Pierre, domicilié « rue Saint-Jacques paroisse Saint Benoist », estime la collection d’estampes de Jean Beix de Rochebrune. Cette collection est suffisamment fournie pour que son recensement occupe trois pages des cinq que contient l’inventaire des biens de Jean Beix. En raison du nombre important d’exemplaires de chacune des estampes, on peut penser que cette collection est celle d’un marchand d’estampes ; si c’est le cas, elle illustre les goûts de l’amateur d’estampes de l’époque 309 .

Après la mort d’Étienne Gantrel (v. 1645-1706), graveur, éditeur et marchand d’estampes à Paris, rue Saint-Jacques, à l’Image Saint-Maur 310 , et à la demande de son épouse Marguerite Boudan, Pierre estime les cuivres et en acquiert un certain nombre, particulièrement ceux gravés d’après Poussin. L’inventaire est dressé à partir du 15 février 1707 311 .

Le 24 novembre 1715, en compagnie de Charles Simonneau, Pierre procède, à la demande de Nicolas Bonnard « marchand, graveur, bourgeois de Paris » et de son épouse, à l’estimation des planches gravées et de leurs épreuves, à l’occasion du mariage de leur fils Nicolas 312 . Les 480 cuivres et leurs épreuves sont estimés à trois mille livres. L’ensemble comprend des planches de dévotions, dont les sujets sont divers ou tirés de l’ancien testament, ainsi que des sujets de mode et de chasse.

Le 24 janvier 1720, c’est au tour du graveur Louis Simonneau, de requérir un inventaire de ses biens lors du décès de son épouse Geneviève Galland. Pierre Drevet et Jean Audran estiment les « planches de cuivre » qui sont d’ailleurs fort peu nombreuses 313 .

Notes
299.

Voir IIIe partie, Pierre Drevet interprète des trois grands portraitistes français, p. 157.

300.

Gravure attribuée à Pierre-Imbert d’abord par Huber et Rost 1804, P-I. Dr. p. 9 n° 9, puis par Nagler 1836, III, p. 477 et enfin par Le Blanc 1856, II P-I. Dr. n° 5.

301.

Voir Pierre Drevet et les sujets d’histoire profane et religieuse, p. 183.

302.

Fontaine 1910, p. 247, 2400-2 ; voir aussi Montaiglon, IV, p. 330, cf. annexes, vol. III, p. 65.

303.

Voir Les relations de Pierre Drevet avec l’Académie, p. 70. 

304.

Guiffrey 1901, V p. 693.

305.

Guiffrey 1901, V p. 697.

306.

Guiffrey 1901, V p. 789.

307.

Guiffrey 1901, V p. 876.

308.

Mariette 1740-1770,III f° 46 v°, n° 31.

309.

A. N., m. c., ET/XCI/555, Carnot not., transcription Rambaud 1964, I, pp. 505-506. Voirannexes, vol. III, p. 15.

310.

Préaud 1987, pp. 132-133.

311.

A. N., m. c., ET/XLIII/264. Meyer 2002, p. 257, et Préaud 1996. M. Maxime Préaud procède actuellement à la transcription et la publication de cet inventaire. Voir aussi IIe partie, p. 112.

312.

A. N., m. c., ET/XI/431, Valet not., voirannexes, vol. III, p. 17, 1715.

313.

A. N., m. c., ET/XXXVI/374, Touvenot not., transcription Rambaud 1964, I, p. 554. Voir annexes, vol. III, p. 18, 1720.