5. La réussite de l’atelier familial

Le parti a été pris de placer la globalité de cette étude dans l’optique de souligner l’importance de Pierre Drevet comme maître et fondateur d’une véritable école de gravure. Bien que la réussite de Pierre-Imbert soit due à un labeur intense, le talent de ce graveur ― qui pourtant a dépassé son père techniquement ― relève assurément de la science de Pierre Drevet, et le travail de Claude Drevet ― lui aussi un excellent graveur ― découle de la science de son oncle et, plus tard, de celle de son cousin.

Selon les suppliques adressées par Claude le 28 avril 1739 au contrôleur général des bâtiments du roi et le 30 avril 1739 au cardinal de Fleury, alors premier ministre, pour conserver le logement aux galeries du Louvre après la mort de Pierre-Imbert, nous apprenons qu’il travaille chez son oncle depuis l’âge de neuf ans « pour se rendre habile dans l’art de la gravure » 314 . Or, dans son dernier testament, Floris Drevet, père de Claude, prend soin de faire mentionner « Claude Drevet l’ainé graveur », pour le différencier de son frère cadet portant le même prénom 315 . Cette précision permet de rejeter les erreurs que l’on trouve encore dans certains dictionnaires concernant la date de naissance de Claude : il est bien né le 24 avril 1697 à Loire-sur-Rhône 316 . C’est donc en 1706 que Claude Drevet est envoyé à Paris par son père, frère de Pierre, pour y apprendre le métier de graveur.

Ce sont les deux seules sources permettant de dater l’arrivée de Claude à Paris où il trouve son cousin, également âgé de neuf ans. Il jouira probablement d’un bon accueil familial et de la même éducation que Pierre-Imbert car, dans son testament, l’épouse de Pierre Drevet spécifie, au sujet de Claude, « graveur neveu dud. sieur son mary qu’elle a élevé auprès d’elle et dont elle connoit la bonne conduitte … »

Ces deux enfants apprentis copient dès leur pré-adolescence, vers 1710, des oeuvres religieuses qui seront commentées au chapitre III de cette seconde partie. Ces estampes sont certainement mises en vente par Drevet, soit revêtues de son adresse « chez Drevet rue Saint-Jacques à l’Annonciation », soit nanties de son excudit, car, sans être exceptionnelles, elles sont suffisamment convenables pour paraître à la devanture de la boutique d’un graveur, marchand d’estampes, à l’attention d’un public amateur d’estampes religieuses.

Il s’agit bien, à partir des années 1715-1716 ― années pendant lesquelles sont éditées et gravées respectivement par Pierre-Imbert et Claude, la Présentation de la Vierge au Temple d’après Charles Le Brun (cat. P.-I. Dr., n° 4) et la Déposition de Croix d’après Jean Jouvenet (cat. Cl. Dr., n° 3) ― d’une entreprise familiale placée sous l’autorité de Pierre Drevet, même si Pierre-Imbert répondra, ultérieurement et à plusieurs reprises, à la demande de commanditaires. Néanmoins l’œuvre gravé de Pierre Drevet présentant cent-vingt-huit planches cataloguées, est autrement plus important que celui de Pierre-Imbert et, plus encore, que celui de Claude.

Cet atelier familial voit son apogée entre les années 1718 et 1730 pendant lesquelles, Pierre, Pierre-Imbert et Claude, travaillant seuls ou en collaboration, offrent de très belles estampes. En 1726, pour manifester son contentement ― probablement à la suite de la gravure de son portrait ― le roi attribue à Pierre et à son fils, un logement aux galeries du Louvre. Cet événement sera certainement source de satisfaction pour Pierre Drevet dont l’origine était provinciale et terrienne. Le 16 juillet de cette même année, ayant dû apprendre verbalement l’attribution qui lui était faite par le roi de ce logement, Pierre signe chez maître Doyen, notaire à Paris, un acte qui indique que le graveur et son épouse opèrent un transport de bail au profit du « sieur Antoine Léger maître patissier a Paris 317  ». Pierre Drevet va donc quitter la maison de la rue Saint-Jacques et délaisser son enseigne à l’Annonciation. Le 27 juillet suivant, Louis Antoine de Pardaillan de Gondrin d’Antin, directeur général des bâtiments, certifie que le roi a « accordé aux sieurs Pierre Drevet et Pierre-Imbert Drevet son fils Graveurs de sa Majesté », en égard à leurs services rendus, un logement aux galeries du Louvre 318 . Le brevet de logement au Louvre vient confirmer ce certificat le 10 août suivant, signé par le duc d’Antin le 16 août 319 . L’appartement, situé au premier guichet du Louvre, avait été occupé antérieurement par Israël Silvestre puis par Jean Bérain (1639-1711), architecte, dessinateur et graveur. Brice rapporte que « Silvestre, dessinateur qui a montré à dessiner à messeigneurs les princes […] a un cabinet orné d’un plafond peint par Boulogne 320  ». Les Drevet ont donc jouit d’un beau logement décoré 321 .

N’ayant non seulement plus aucun souci de logement, et ne pouvant espérer mieux que d’habiter aux galeries du Louvre, Pierre Drevet et Anne-Marie Béchet achètent néanmoins, le 27 septembre 1729 322 , aux héritiers du sieur Antoine Armand, architecte du roi, une maison située à Paris, 6, rue du Sépulchre 323 pour la somme de quarante mille livres. Cette maison à la superficie importante est bien placée, près de l’abbaye Saint-Germain-des prés. Elle comprend « caves, caveau au bout, deux boutiques et deux salles ensuite, un escalier entre eux, au rez-de-chaussée, cour puis le jardin, cinq étages composés le premier de cinq pièces de plain pied et cheminées, d’un cabinet ». Le couple Drevet s’est endetté ainsi que le révèlent les nombreuses quittances retrouvées et une condamnation pour un retard de paiement 324 .

Entre le 2 juin et le 13 juillet 1730 Pierre Drevet s’acquitte auprès des héritiers Armand de plusieurs règlements « en louis d’or et d’argent ». Ceux-ci atteignent la somme de douze mille huit cent onze livres vingt-neuf sols et trente-deux deniers et le couple promet de verser une pension annuelle de quatre cents livres au principal de douze mille livres 325 . Les baux, dont cette maison a certainement fait l’objet n’ont pas été retrouvés. Cependant, le contrat de mariage de Claude Drevet fait état dans la liste des biens du futur époux, d’une « maison scise à Paris rüe du sépulchre louée dix sept cents livres au sieur Chapelet 326 ». Madame Perroud-Christophe mentionne néanmoins l’existence d’un bail sans citer ses sources. Sans doute, comme nous, tient-elle l’information de la lecture du contrat de mariage de Claude 327 .

Pourquoi Pierre Drevet et son épouse ont-ils acheté cet immeuble en s’endettant ? Ce n’est certainement pas pour placer quarante mille livres puisqu’ils ne disposaient pas immédiatement de la totalité de cette somme. On sait que les premiers signes de la maladie de Pierre-Imbert  sont apparus à cette époque. Il est probable que son père et sa mère vieillissants ont voulu, en achetant cet immeuble de rapport, lui assurer un revenu pour le cas où, dans l’incapacité de graver après leur décès, il ne puisse plus vivre du fruit de son travail. Cette hypothèse se vérifie avec le testament en 1736 de Pierre Drevet, dans lequel il reconnaît que Pierre-Imbert a été atteint pendant un temps d’une « faiblesse d’esprit » et entend qu’à sa mort, les immeubles dépendant de sa succession, appartiennent à son fils unique pour lui permettre de jouir des revenus 328 . D’autre part, nous trouvons la confirmation de la maladie de Pierre-Imbert en 1730 dans l’annotation que fait Van Hulst au sujet du portrait du Cardinal de Fleury, d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 125/IV), « gravé par Pierre Drevet père et fils mais plus par le premier ; la démence du fils étant très forte alors 329 ». Cependant, l’examen attentif de l’estampe témoignera de la participation effective de Pierre-Imbert à ce portrait. Toujours est-il que le paiement de cette maison n’est pas terminé en 1749 car l’on trouve plusieurs quittances remises à Claude Drevet. En outre, en décembre 1781, à la mort de Claude Drevet, le règlement de cette maison n’est toujours pas conclu puisque l’extrait du dépouillement de l’inventaire après décès de Claude révèle que la rente de quatre cents livres au principal de douze mille livres n’est pas épuisée 330 .

Notes
314.

A. N., maison du roi, O1, 1088, fol. 80, voir annexes, vol. III, p. 46.

315.

Brébion 1891, VII, p. 273.

316.

A. M., Loire-sur-Rhône, registres paroissiaux, fol. 319, voir annexes, vol. III, p. 13, 1697.

317.

A. N., m. c., ET/XLIX/517, voir annexes, vol. III, p. 22.

318.

A. N., Maison du roi, O1. 1087, p. 292, annexes, vol. III, p. 23.

319.

A. N., Maison du roi, O1. 70, p. 281, annexes, III, p. 23. Il est utile de rappeler que Pierre Drevet grava en 1725 le Portrait de Pierre de Pardaillan de Gondrin d’Antin, évêque-duc de Langres, parent de Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, duc d’Antin, Directeur général des Bâtiments, jardins, arts et Manufactures du roi qui signa son brevet de logement au Louvre.

320.

Brice 1684, I, pp. 34-35

321.

A. N., Maison du Roi, O1, 1087, folio 281. Ce même 10 août, le roi accorde une pension de six cents livres à Madeleine Hérault, veuve de Jean Bérain « en considération des Services qu’il a rendu en qualité de dessinateur de sa Chambre

322.

A. N., m. c., ET/I/344, 345, 348, voir annexes, vol. III, p. 24-29.

323.

Actuellement rue du Dragon depuis 1806. Voir Weigert 1938, p. 245.

324.

A. N., m. c., ET/I/348, voir annexes, vol. III, p. 28, § 2.

325.

A. N., m. c., ET/I/345, 348, voir annexes, vol. III, p. 25-29.

326.

A. N., m. c., ET/CXVIII/437.

327.

Perroud-Christophle 1985, p. 134.

328.

A.N., m. c., ET/LX/257, 02-06-1736, voir annexes, vol. III, pp. 29-30.

329.

Van Hulst cf. Dussieux et coll. 1854,II, p. 197.

330.

Archives Vaganay, Loire-sur-Rhône, Extrait du dépouillement de l’inventaire après décès de Claude Drevet, voir annexes, vol. III, pp. 60-61.