4. Les portraits pour les frontispices de thèses 

La soutenance d’une thèse relevait d’un certain cérémonial propre à chaque université mais présentant de nombreux points communs entre chaque établissement 694 . L’étudiant, généralement jeune et fortuné, désireux de s’attirer les faveurs de personnages haut-placés et influents, commandait le portrait de son futur protecteur pour être placé en frontispice de sa thèse 695 .

Pierre Drevet, spécialisé dans la gravure de portrait, n’a pas réalisé de sujets d’histoire pour les frontispices de thèses. En revanche, de nombreux portraits de lui ont servit pour décorer des thèses qui n’ont pas toutes été retrouvées. On est certain qu’il a gravé les portraits des frontispices de neuf thèses, dont quatre sont conservées au département des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France et une cinquième, dont le portrait et les positions ont été dissociés. On connaît l’existence des quatre autres thèses par les annonces du Mercure et par des documents d’archives. Les cuivres de ces portraits ont également servi au tirage de nombreux in-folio.

Les cinq thèses retrouvées avec leurs positions ont l’avantage de porter, inscrits dans le texte, le jour, le mois et l’année de la soutenance, permettant ainsi de dater au plus près la réalisation de la gravure. Il s’agit du portrait de Louis Antoine cardinal de Noailles, d’après Justina(cat. P. Dr., n° 48), dont le seul état connu a orné le frontispice de la thèse de théologie soutenue par le frère Jérôme Deschiens en août 1696 ; du portrait de Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 36), dont le second état a figuré en frontispice de la thèse de droit canon soutenue en février 1719 par Jean-Baptiste Thibault; du portrait de Balthazar Henry de Fourcy (cat. P. Dr., n° 75) 696 , d’après Rigaud, dont le cinquième état sert de frontispice à la thèse de philosophie soutenue en août 1722 par frère Claude-Antoine-François Jacquemet ; de celui de Louis Henri de Bourbon, prince de Condé d’après Pierre Gobert (cat. P. Dr., n° 29), dont le seul état connu figure en frontispice de la thèse de théologie de frère Hernault de Montiron soutenue en août 1724 ; et enfin, du portrait de François de Montholon, d’après, probablement, Nicolas de Largillierre(cat. P. Dr., n° 98), pour le frontispice de la thèse de Gabriel Ludovic Nicolas Le Pesant de Boisguilbert Pinterville en 1697 697 .

On observe, en ce qui concerne le portrait de Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, que dès le premier état, la dédicace de Jean-Baptiste Thibault était inscrite sur le bord de l’ovale, mais que c’est seulement après avoir remplacé les deux ancres par une seule, que le portrait a figuré en frontispice de la thèse. Quant au portrait de Balthazard-Henry de Foury, la dédicace de frère Jacquemet était inscrite dans les palmes dès le troisième état, et deux modifications ont du être effectuées avant l’état final : la suppression de la citation de Martial puis celle du millésime 1722 qui n’avait plus lieu d’être puisque la thèse était datée. Pour ce qui intéresse les deux autres portraits, celui de Louis-Antoine cardinal de Noailles et celui de Louis Henri de Bourbon, prince de Condé, leur seul état connu actuellement a été utilisé pour le frontispice de la thèse. En outre, on n’a pas retrouvé le portrait de François de Montholon qui devait former la partie supérieure de la thèse de Le Pesant de Boisguilbert Pinterville. On peut supposer que le millésime 1697 inscrit sur les épreuves retrouvées à la Bibliothèque nationale de France et dans les différents lieux indiqués dans la notice, aura été enlevé pour le frontispice, selon l’habitude.

Des quatre autres thèses, on ne possède que les portraits, mais lorsque l’indication de la thèse n’est pas inscrite dans le cuivre, les sources nous renseignent sur son existence. Ainsi, la première concerne le portrait de Louis Alexandre de Bourbon adolescent (cat. P. Dr., n° 35), d’après François de Troy, dont le premier état a figuré en frontispice de la thèse d’Étienne Denis soutenue au collège des Jésuites de Bordeaux en août 1695 698 . La dédicace inscrite dans les palmes soutenant l’ovale est explicite : se suamque philosophiam d.v . consecrat ~ s tephanus d enis b urdigalensis magister laureatus. En outre, le Mercure Galant de septembre 1695 relate le succès obtenu non seulement par la thèse elle-même, mais aussi par le portrait gravé par Drevet d’après François de Troy « dont les dames à l’exemple de Madame la Procureuse Générale, ont fait enchâsser ce buste dans un cadre doré... 699  ». En second lieu, le portrait de Louis Phélypeaux de la Vrillière (cat. P. Dr., n° 60), d’après Pierre Gobert, ornait le frontispice de la thèse de François Paris de Bellestat. On l’apprend par le Mercure du mois de Juillet 1701 qui annonçait que cette thèse avait été soutenue à la Sorbonne le 6 juillet de la même année 700 . La troisième thèse intéresse le portrait de Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine, gravé par Pierre d’après François de Troy (cat. P. Dr., n° 34), pour la thèse de théologie de Jacques Du Champ du Pont, annoncée par le Mercure de France de février 1706 701 . Enfin, le portrait de Louis Alexandre de Bourbon, à la main gantée (cat. P. Dr., n° 37), d’après Rigaud dont on ne connaît qu’un seul état, a été commandé à Pierre par les frères Marie-Claude Augustin et Henri-François du Clos Bossart pour le frontispice de leur thèse. L’on sait, par la découverte faite aux Archives nationales, d’un « Dépost de billet »  remis par Pierre au notaire Doyen le 13 janvier 1724, que messieurs du Clos Bossart ont reconnu le 25 juin 1722 devoir encore au graveur la somme de six cents livres « pour la gravure du portrait du comte de Toulouse » et pour la fourniture du papier de huit cents thèses. La dette ayant été soldée, Pierre donne décharge au notaire le 6 février 1725 702 .

Le Mercure du mois d’Août 1702 annonce encore qu’une thèse dédiée à Philippe V par M. Delvaus de Frias, a été soutenue au collège des Jésuites de Reims 703 . L’annonce ne donne aucun renseignement sur le portrait ornant le frontispice de cette thèse. On pourrait alors supposer qu’il s’agit du portrait du roi gravé par Pierre Drevet, d’après François de Troy (cat., P. Dr., n° 16), car sur le seul et unique état de ce portrait, seuls les noms du peintre et du graveur subsitent, l’adresse de Pierre Drevet ayant été grattée. Cet élément pourrait indiquer que le portrait a servi pour une thèse. Cependant, des graveurs comme Gérard Edelinck, Simon Thomassin, Stéphane Gantrel, François de Poilly, ont réalisé le portrait, soit du duc d’Anjou, soit de PhilippeV. Les incertitudes sont trop nombreuses pour affirmer que le portrait gravé par Pierre a bien servi au frontispice de cette thèse.

Ces neuf thèses affichent un caractère commun, celui d’un portrait enchâssé dans un ovale de pierre reposant sur un socle également en pierre. Les armoiries relient le portrait au socle. Certains portraits sont présentés plus sobrement que d’autres : on sait par exemple par Van Hulst, que Rigaud a donné à Pierre les dessins des aménagements à réaliser pour les deux portraits d’Alexandre de Bourbon, Comte de Toulouse cités plus haut, celui commandé par Jean-Baptiste Thibault en février 1719 et celui commandé par les frères Marie-Claude Augustin et Henri-François du Clos Bossart vers 1720 704 . En revanche, en considérant le portrait de Louis-Henri de Bourbon, prince de Condé, d’après Gobert  (cat. P. Dr., n° 29), on ne peut qu’y remarquer les analogies existant avec le portrait d’Alexandre de Bourbon à la main gantée, d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 37) : les personnages en armure, ceints de la large écharpe de commandement, arborant tous les deux le grand cordon et le collier de l’ordre de la Toison d’or, sont représentés l’un et l’autre dans la même posture tournée vers la droite, mais regardent à gauche. Ils sont presque adossés à un tronc d’arbre occupant le bord gauche du cadre tandis qu’un paysage semblable est situé à l’arrière-plan, à droite. Le tableau de Pierre Gobert conservé au musée de Chantilly ainsi que la copie de Versailles ne présentent pas cette mise en scène. On peut donc en déduire que Pierre Drevet a reproduit en 1724 pour le portrait Louis Henry de Bourbon, d’après Pierre Gobert,ornant le frontispice de la thèse frère Hernault de Montiron, la mise en scène que Rigaud avait élaborée pour le portrait d’Alexandre de Bourbon à la main gantée, pour la thèse en 1720 des frères Duclos Bossart 705 .

L’hypothèse demeure selon laquelle Pierre a encore gravé de nombreux portraits pour des frontispices de thèses non retrouvées, en particulier en ce qui concerne les portraits portant des dédicaces de clercs. Citons celui d’Emmanuel Théodose de la Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon, d’après François de Troy (cat. P. Dr., n° 45), dédicacé en 1696 par Jean Jacques Le Vaillant ou bien celui du maréchal Adrien Maurice de Noailles (cat. P. Dr., n° 51), offert par François Garnier. On trouve encore le portrait du cardinal Louis-Antoine de Noailles, d’après un tableau peint par Rigaud en 1697 mais dont la gravure n’a été commandée qu’en 1721 pour la soutenance du clerc Jean-Antoine d’Agoult (cat. P. Dr., n° 50), ou encore le portrait de Jean-Paul Bignon vieilli, offert dans son cinquième état d’après Rigaud (cat. P. Dr., n° 55), par le clerc Jean-Baptiste Durand de Montalet, probablement pour sa thèse soutenue en 1728. En revanche, le format rectangulaire et inhabituel pour un portrait de frontispice de thèse de celui à mi-jambes de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, d’après François de Troy, dédicacé par Nicolas de Malézieu alors qu’il était encore clerc (cat. P. Dr., n° 32), ne permet pas d’affirmer qu’il ait pu servir au frontispice d’une thèse.

On ne peut généraliser les pratiques commerciales de Pierre Drevet en ce qui concerne l’utilisation des cuivres ayant servi à orner les thèses. Les six thèses retrouvées, dont on connaît l’état des cuivres utilisés, sont trop peu nombreuses pour se faire une opinion. On peut seulement observer qu’il a du employer parfois un cuivre ayant été commandé antérieurement, mais ce n’est pas une généralité. Inversement, il a pu utiliser à d’autres fins les cuivres commandés pour orner les frontispices de thèses.

Bien que le tirage des thèses se montre délicat en raison de leurs grands formats ― certaines atteignant un mètre de hauteur, voire plus ―, bien que l’avance du papier et de l’encre faite par le graveur soit onéreuse comme on l’a vu plus haut, le gain obtenu par ce commerce était considérable et permettait au graveur de se constituer une avance de trésorerie pour mener à bien d’autres travaux nécessitant l’achat de plaques de cuivre, de papier, de noir d’Allemagne 706 ...

Notes
694.

Voir Meyer 1993, pp. 45-111.

695.

Marolles, voir Duplessis 1872, pp. 68-78.

696.

Le cuivre avait probablement été conservé par Pierre Drevet. Cf. Invent. après décès de Pierre-Imbert Drevet, 1739 ; Weigert 1938, p. 238.

697.

Les positions de cette thèse se trouvent à Paris, aux Archives nationales, Pc MM 1189 (38). Je dois ce renseignement à madame Véronique Meyer.

698.

Voir Meyer 1991, pp. 23-51.

699.

Mercure Galant, septembre 1695, pp. 132-134.

700.

Mercure juillet 1701, p. 292. Je dois ce renseignement à madame Véronique Meyer.

701.

Mercure de France, février 1706, pp. 260-264.

702.

A. N., m. c., ET/XLIX/509, voir annexes, vol. III, p. 21.

703.

Je dois ce renseignement à madame Véronique Meyer.

704.

Dussieux et coll. 1854, II, pp. 120, 188.

705.

Pierre Drevet avait conservé le cuivre d’un des deux portraits du comte de Toulouse d’après Rigaud. Voir Invent. après décès de Pierre-Imbert Drevet, 1739 ; Weigert 1938, p. 240. En revanche, le cuivre n’est plus mentionné dans le catalogue de la vente de Claude Drevet en 1782.

706.

Voir Grivel 1986, pp. 22-23.