6. Les portraits d’artistes, d’écrivains et de savants gravés par Pierre Drevet

Il semble nécessaire d’ouvrir un chapitre portant sur l’esthétique particulière aux portraits d’artistes, d’écrivains et de savants gravés par Pierre Drevet, en raison de leur nombre ainsi que de la qualité de la plupart d’entre eux et de la notoriété des peintres qui ont donné les modèles.

Le style de la majeure partie de ces portraits ― au moins douze sur seize que compte la totalité, ― se rapprochant généralement du portrait intimiste, est moins hiératique et moins solennel que celui des portraits d’apparat, tout en présentant parfois un aspect officiel dû à quelques attributs propres à l’artiste ou à l’écrivain ainsi qu’à différentes mentions honorifiques. Les symboles politiques sont évidemment absents de ces portraits qui sont, en outre, par rapport aux portraits en buste des magistrats ou des membres du clergé, plus proche du naturel et de la vérité. Cette remarque peut être utilement illustrée par la réflexion de Philippe Renard sur le portrait d’inspiration intimiste : « l’observation du visage est plus poussée, l’expression fugitive est saisie, […] tout est observé, retenu et concourt à rendre la vie 710  ».

Parmi ceux dont l’observation ne laisse pas indifférent, on remarque que seul Rigaud utilise la mise en scène qui lui est habituelle, sans nuire cependant à l’expression du modèle que Drevet rend chaque fois avec une grande habileté. Outre les deux Autoportrait de Rigaud, est particulièrement remarquable celui de Nicolas Boileau (cat. P. Dr., n° 102) dont l’expression invite au dialogue, superbement servie par une posture de trois-quarts, devant un rideau et une bibliothèque, sa plume et ses ouvrages posés, non sur une table, mais sur un socle de pierre, comme pour témoigner symboliquement de la pérennité de son œuvre; celui de Louis de Boullogne, (cat. P. Dr., n° 129/VIII),  bénéficiant des plus grands honneurs qu’un artiste puisse espérer, est placé derrière une baie ornée d’un rideau, et devant deux colonnes symbolisant, probablement, l’Académie de Peinture et de Sculpture dont il est directeur et recteur ; pourtant, l’attention est immédiatement portée sur le visage. L’Autoportrait de Rigaud à la palette et l’Autoportrait de Rigaud au porte-crayon sont encore plus significatifs du portrait intimiste, le peintre utilisant le clair-obscur dont la gravure s’accommode si bien. La facture de ces portraits procède directement de l’influence de Van Dyck.

Dans le premier (cat. P. Dr., n° 117), au moyen de l’arrangement créé par Rigaud pour la gravure, la virtuosité de Pierre, partant de la clarté qui envahit le côté droit et la surface plane de la baie, se situe dans le rendu de cette source de lumière sur le visage et le vêtement du peintre. Pour le second (cat. P. Dr., n° 118), la lumière vient de l’extérieur de la baie, illuminant le peintre dont l’expression, les années ayant passé, est moins fière que dans le précédent portrait. L’agrandissement du manteau, loin d’écraser le portrait lui-même, le met en relief, par rapport à la baie et au fond de l’image.

Parmi les cinq portraits d’hommes issus du monde artistique gravés par Pierre d’après Rigaud, seul celui de Jean-Balthazard Keller est gratifié d’une mise en scène plus recherchée (cat. P. Dr., n° 108). Le fondeur du roi, appuyé sur un fût de canon, montre la statue équestre de Louis XIV qu’il considère et que l’ensemble de la société considérait comme une œuvre magistrale. Cependant, un manque d’intimité entre le sujet et le spectateur est généré par le geste éloquent du fondeur, par cet énorme fût de canon du premier plan et la mise en scène du second plan.

Avec le Portrait de Jean Forest (cat. P. Dr., n° 106), le génie de Nicolas de Largillierre va à l’essentiel de ce que la nature donne à un visage, de retenue, de concentration, de réflexion et de bonhomie... Il utilise également le clair-obscur que Pierre saura bien rendre, sans trahir la facture intimiste de ce portrait peint. Il en est de même pour François de Troy lorsqu’il peint son Autoportrait avec encore plus de sobriété (cat. P. Dr., n° 119). On est loin des interprétations brillantes et superficielles ; tout, dans ce portrait, exprime le naturel et la simplicité, qualités qui favorisent la mise en avant des valeurs psychologiques. Les analogies sont évidentes entre l’autoportrait de François de Troy et les deux autoportraits de Hyacinthe Rigaud, gravés par Pierre Drevet : la même disposition à l’arrière d’une baie, le même turban enveloppant la tête, les attributs du peintre placés bien en évidence. Seules l’expression posée et concentrée d’un homme approchant la cinquantaine, la simplicité de son attitude, s’opposent au regard pétillant et fougueux du peintre catalan environné de draperies.

Pierre grave encore le Portrait de Boileau Despréaux (cat. P. Dr., n° 103), auquel François de Troy accorde la même sobriété de style. Présenté de face, sans aucun attribut, l’écrivain semble vouloir dialoguer avec son spectateur. Le graveur sait aussi rendre parfaitement le souriant de François Girardon (cat. P. Dr., n° 107) d’après Joseph Vivien, figure à l’expression intelligente et sympathique, au regard pénétrant. Seul l’ovale fait l’objet d’une mise en scène accompagnée d’une tête de vieillard sculptée dans le marbre. Cette allégorie fait, sans doute, référence au « Temps » dont l’œuvre du sculpteur devrait sortir victorieux. Pierre a su mettre en valeur, par un burin approprié, l’antinomie existante entre la vivacité du regard du sculpteur, la vérité de son expression, son attitude très présente et le buste de pierre inerte. Le graveur nous donne l’illusion que la pierre est bien un matériau et Girardon un être vivant.

Le Portrait d’André Félibien des Avaux (cat. P. Dr., n° 105), par Charles Le Brun, procède du même concept  que les portraits décrits précédemment : sobriété, intimité, expression. Pour tout attribut, l’écrivain tient une feuille de papier.

Parmi les portraits les plus marquants des artistes, écrivains et savants qui n’ont pas été mentionnées, citons le vivant portraitd’Arnold de Ville (cat. P. Dr., n° 121), d’après Jean-Baptiste Santerre, enchâssé dans un ovale, la tête présentée de face et l’Autoportrait de François de Poilly (cat. P. Dr., n° 115). Commencé par Jean-Louis Roullet et terminé par Pierre, ce portrait porte en lui la sincérité du regard perçant du peintre qui s’étudie dans un miroir pour reproduire ses traits.

Les quatre autres portraits, que ce soit le portrait de Boileau d’après Roger de Piles (cat. P. Dr., n° 101), celui de La Bruyère (cat. P. Dr., n° 110), d’après de Saint-Jean ou ceux de Pierre Palliot (cat. P. Dr., n° 114), d’après G. Revel et de Jean-Baptiste Verduc (cat. P. Dr., n° 120), d’après Charpentier ne présentent pas les caractéristiques décrites précédemment, du portrait plus intime et vrai.

Notes
710.

Renard 2003, p. 38.