Pierre Drevet et les sujets d’histoire religieuse et profane

Les peintres interprétés par Pierre Drevet et la comparaison de sa manière avec celle utilisée pour les portraits gravés

De même que pour les portraits, Pierre a utilisé le burin sans l’apport de l’eau-forte pour la réalisation des sujets religieux et profanes. Leur nombre, très réduit, ne dépasse pas huit gravures, réalisées en dehors de toute collaboration avec Pierre-Imbert. Il est nécessaire de souligner ce fait, car plusieurs auteurs tels que Huber et Rost ou Nagler, entre autres, ont attribué au fils les plus belles gravures à sujet religieux exécutées par le père, comme le Sacrifice d’Abraham (cat. P. Dr., n° 1), l’Annonciation (cat. P. Dr., n° 4), le Calvaire ou les Trois Croix (cat. P. Dr., n° 7), toutes trois d’après Antoine Coypel, ou encore la Nativité (cat. P. Dr., n° 5), d’après Rigaud. Ces gravures s’inscrivent parmi les plus excellentes réalisées dans ce genre, au burin et à cette époque. Le dessin rigoureux, les tailles qui se font oublier, les lumières nuancées, les visages délicatement gravés satisfont l’œil du spécialiste comme celui de l’amateur. Elles ont été exécutées alors que Pierre était à l’apogée de son art dans le genre du portrait et qu’il avait produit bon nombre de chefs-d’œuvre. Elles présentent toute l’habileté de ce graveur ainsi que les caractéristiques de son dessin et de son burin : sûreté, finesse, élégance, alliées à son sens du coloris et des nuances que l’on retrouve dans les portraits. On ne peut que regretter que Pierre n’ait poursuivi l’interprétation du grand genre dans lequel il s’est illustré avec ces cinq gravures.

Le coloris habituellement gai et clair d’Antoine Coypel, les nuances, les mises en lumière de ses personnages, les contrastes propres au peintre, se prètent parfaitement au goût de Pierre. Il retrouve dans l’interprétation de ce peintre la même précision du dessin, la même variété de coloris à traiter que le nécessitent les portraits d’apparat de Rigaud ou de Largillierre. Il aborde donc ces sujets religieux selon sa manière habituelle, avec un burin aussi léger et précis que puissant, au mordant parfois profond. Les éclairages déposés par Coypel sur la tête d’Abraham et sur le personnage d’Isaac dans le Sacrifice d’Abraham, sur les ailes de l’ange et le haut du corps de Marie dans l’Annonciation, sont traduits avec précaution sur le cuivre, de manière non seulement à éviter un rendu métallique mais encore à créer le velouté que nous constatons : les tailles et les contre-tailles légères ne cernent pas les contours, les clairs ne sont pas plaqués sur le cuivre, mais ils naissent des combinaisons de ces tailles. Cette analyse concerne aussi la Nativité, d’après Rigaud, citée plus haut : la clarté centrale se dégageant de l’enfant Jésus et éclairant les visages penchés sur lui, l’angelot illuminé qui, dans sa nuée regarde la scène, sont encore traduits sur le cuivre dans l’imitation de la peinture, comme lorsqu’il s’agit de portraits.

En revanche, on ne reconnaît pas dans le Repentir de Saint-Pierre d’après Antoine Dieu (cat., P. Dr., n° 6), ― semblant être la première planche à sujet religieux que Pierre a gravé ― les marques de son talent. Tiré par Jean Mariette, en un temps où Pierre n’était probablement pas encore installé, ce cuivre, ne présente pas, à l’évidence, les traces de sa maturité. Il a été certainement gravé avant les portraits en 1689 de mesdames Desjardins (cat. n° P. Dr., 104) et Keller (cat., P. Dr., n° 109) et en 1690, de Titon (cat. n° P. Dr., 64).

Pierre respecte exactement la lumière qui glisse sur la tête et sur le grand scapulaire du Saint Bruno en prière, d’après Jean Jouvenet (cat. P. Dr., n° 9), ainsi que les moindres détails du modèle, comme il respecte les modèles de Rigaud, Largillierre et de Troy. Cependant, l’Education de la Vierge, également d’après Jean Jouvenet, (cat. P. Dr., n° 2), ne revêt pas le même éclat que les tableaux et les estampes précédents : l’environnement austère, composé d’un fond à demi obscur d’où la tête et le buste de Saint Joseph se découvrent à peine, ― et bien que mise en lumière par Jouvenet ―, l’apparence sévère de Sainte Anne assise dans un fauteuil non moins sévère, confèrent à ce tableau une atmosphère de gravité. Seule, la Vierge, par sa jeunesse et sa grâce, atténue cette impression. Pierre n’a pas essayé de gommer l’austérité de ce tableau, car sa traduction sur le cuivre, ― en assombrissant trop la partie de la robe de Sainte Anne qui descend le long des genoux ― a plutôt eu pour effet d’augmenter l’impression de sévérité. Néanmoins, la gravure est belle.

Comparant la manière employée par Pierre pour ce sujet religieux avec celle usitée par le graveur pour les portraits, on retrouve dans certains de ceux-ci, particulièrement parmi les portraits en buste des membres du clergé et des magistrats, inscrits dans un ovale, dont il a été déjà question, une certaine austérité, voir une monotonie dans le maniement du burin. Il est possible que le modèle peint manquant d’éclat, la gravure s’en soit ressentie. En outre, souvent, lorsqu’il s’agit d’interpréter le portrait d’un abbé, Pierre, pour mettre en valeur l’aura dégagée par le personnage, traite l’expression du visage d’un burin fin et très soigné, les vêtements et l’environnement étant travaillé en des tailles plus sobres et plus légères. On retrouve aussi cette caractéristique dans la représentation de Saint Bernard de Clairvaux (cf. cat. P. Dr., n° 8), qu’il a semblé opportun de classer parmi les sujets religieux et non dans les portraits. En effet, le modèle ayant pu servir à cette représentation est non seulement inconnu mais certainement inexistant en tant que peinture à l’huile, celle-ci n’étant pas encore utilisée au XIIe siècle.

Quant aux sujets profanes, ils sont pratiquement inexistants. On ne peut citer valablement que la Chartreuse du Val Saint-Pierre (cat. P. Dr., n° 11) et l’achèvement par Pierre de la Famille de Darius aux pieds d’Alexandre, d’après Pierre Mignard,commencée par Edelinck (cat. P. Dr., n° 12). La vue à vol d’oiseau de la Chartreuse du Val Saint-Pierre n’est pas significative du talent de Pierre, la planche étant celle d’un bon et minutieux graveur de topographie ; on ne peut donc comparer le style et la technique utilisés pour cette gravure à ceux employés pour les portraits et les sujets religieux gravés par Pierre. En revanche, le graveur saisit dans le tableau animé de Pierre Mignard, le parti qu’il pourra en tirer pour réaliser la finition de l’ouvrage commencé par Edelinck : traitement des visages, des modelés, des drapés, des lumières, des raccourcis… On retrouve en fait dans ce cuivre tout ce qui constitue son art du dessin et de la gravure au burin. Cette planche porte en elle, le goût, la sensibilité et le savoir-faire des deux meilleurs burinistes de ces années là : tailles précises, sensibles, dans le sens du dessin, lumières bien placées sans éclats métalliques et velouté final de la main de Drevet. Cette interprétation de la composition de Mignard avait été critiquée par Charles-Nicolas Cochin fils en la comparant au travail de Girard Audran dans les Batailles d’Alexandre d’après Le Brun 711

Ces différentes comparaisons démontrent l’aptitude de Pierre à graver aussi bien les sujets religieux et profanes que les portraits et ne peuvent que nous faire regretter un nombre aussi restreint de leur production. Si l’on s’interroge sur les causes qui ont pu motiver ce choix, apparaîssent plusieurs raisons. Pierre ayant commencé sa carrière de graveur avec les portraits de Rigaud, son amitié et sa collaboration avec ce peintre l’ont porté naturellement à se spécialiser dans ce genre, tout en ne dédaignant pas de travailler d’après d’autres peintres. D’autres raisons interviennent probablement : d’une part, le plaisir que lui procurait certainement l’esthétique aboutie d’un portrait gravé telle qu’il la concevait et enfin le côté lucratif qu’offrait ce genre dont les sollicitations étaient nombreuses à l’époque. Comparativement au temps passé à graver un sujet religieux, un portrait gravé par Drevet et de surcroît d’après Rigaud était, sans doute, beaucoup mieux payé, que l’interprétation d’un sujet d’histoire, religieuse ou non.

Notes
711.

Bosse 1745, p. xxiij. Voir La Fortune critique, p. 225.