2. Pierre-Imbert Drevet et le portrait 

Pierre-Imbert s’est fait, avec vingt et un portraits, l’interprète de douze peintres portraitistes en privilégiant, bien entendu, Hyacinthe Rigaud dont il a gravé six portraits. Toutefois, il ne se trouve pas dans son œuvre, d’interprétation de Nicolas de Largillierre et, d’après François de Troy, il n’a réalisé que le portrait présenté dans un ovale d’Isaac-Jacques de Verthamon (cat. P.-I. Dr., n° 34), évêque de Consérans 712 . D’autre part, on remarque que seul un portrait féminin à mi-jambe et en tenue d’apparat a été exécuté par le graveur : Marie Clémentine Sobieska Stuart, d’après Antoine David (cat. P.-I. Dr., n° 15).

Les portraits en buste, enchâssés dans un ovale ou dans un médaillon, représentent plus de la moitié de son œuvre puisqu’ils atteignent le nombre de douze, et le nombre de portraits n’appartenant ni à cette catégorie, ni à celle des portraits d’apparat, ne dépasse pas cinq. L’interprétation par Pierre-Imbert de quatre portraits d’apparat dont trois brossés par Rigaud, constituera l’aboutissement d’une manière de gravure au burin précisément adaptée au portrait qui, bien qu’imitée pendant quelques années encore, n’atteindra jamais la perfection de son initiateur. Malgré leur petit nombre, ces portraits seront retenus par la postérité pour représenter l’art de la perfection en matière de gravure au burin et, en corollaire, le style de Rigaud.

L’imposant portrait de Jacques-Bénigne Bossuet (cat. P.-I. Dr., n° 29), peint par Rigaud entre 1702 et 1705, est donc interprété sur le cuivre par Pierre-Imbert en 1723, alors qu’il avait vingt-six ans. Le peintre, pour illustrer le rang du prélat et son influence auprès du roi et de la cour, l’a placé dans un environnement, pour ainsi dire, royal. Si l’on compare ce portrait à celui de Louis XIV en tenue d’apparat, il ne manque, dans le Portrait de Bossuet, que les attributs royaux, les fleurs de lys, les pattes d’hermine et les mollets découverts, prérogatives des représentations royales. La prestance est la même dans les deux portraits. Une différence notoire cependant est à souligner : l’intelligence, la réflexion, la concentration exprimées sur le visage de Bossuet n’apparaissent pas sur celui, plus formel, de Louis XIV.

De ce magnifique tableau, rien n’échappe au graveur. Désirant sans doute égaler la qualité du Portrait de Louis XIV en tenue d’apparat, gravé par son père, il la dépasse amplement pour offrir un chef-d’œuvre de gravure encore jamais égalé. Pierre-Imbert a respecté la profondeur de champ, la délicatesse des plissés, le moelleux de la fourrure et de la soie, sans qu’à aucun moment son burin ne détruise l’effet de présence voulu par Rigaud et sans que l’expression du prélat n’en souffre. Outre l’œuvre de reproduction accomplie qu’elle représente, cette gravure incarne pour les contemporains, l’œuvre d’un créateur qui, outrepassant les fondements techniques de la gravure au burin qu’il a entièrement assimilés, laisse, pour conduire son burin, libre cours à son intelligence, on peut même dire à son génie, introduisant ainsi une œuvre innovante. Il est intéressant d’observer que seul le nom de Pierre Drevet apparaît en signature et que le graveur, pour revendiquer son travail, inscrit sur un signet dépassant d’un volume la mention graué // par P. // Dreuet. f.s.

L’année suivante, Pierre-Imbert interprète un second portrait d’apparat d’après Rigaud, celui du cardinal et premier ministre Guillaume Dubois (cat. P.-I. Dr., n° 21), que le peintre présente en grande tenue de cardinal. Le manteau se déploie en de multiples et savants drapés. Le rideau surplombant le prélat et son embrasse paraissent soulevés par un courant d’air et certains plis de la mozette semblent avoir été placés là pour augmenter les difficultés que pourrait rencontrer le peintre ; cet ensemble contribue à la décoration et finalement à la beauté du portrait, car il ne nuit pas à l’expression du prélat. Le talent déployé par Pierre-Imbert pour ce portrait ne se dément pas : nos yeux, loin d’être éblouis par les reflets de la mozette d’hermine et la brillance du taffetas de soie répandue au premier plan sur presque la moitié de la hauteur de l’estampe — constituant un exploit technique d’interprétation par le burin — se fixent sur l’expression du prélat à la fois souriante, intelligente et bienveillante.

En 1729, alors qu’il avait trente-deux ans, Pierre-Imbert grave le portrait du financier Samuel Bernard (cat. P.-I. Dr., n° 25). Rigaud installe le financier, grand pourvoyeur d’argent du roi et de la Cour , dans son univers de richesse et donc de pouvoir. Cette magnificence est traduite par la flotte dont il était l’armateur, par la somptuosité de ses vêtements et les deux colonnes réunies par la draperie qui décore le haut du tableau. Rien ne pouvait mieux servir le talent et le goût de Rigaud pour l’expression baroque, que ce sujet. Le burin de Pierre-Imbert a traduit avec une grande sensibilité le coloris, les ombres et les lumières, interprétant magistralement Rigaud.

Les trois autres portraits réalisés par Pierre-Imbert d’après Rigaud, sont, sans doute, moins prestigieux, mais n’en atteignent pas moins un haut degré d’achèvement. Il s’agit, avant tout, du dernier portrait gravé par Pierre-Imbert, celui de l’abbé René Pucelle (cat. P.-I. Dr., n° 32). Rigaud, voulant probablement honorer cet abbé, également magistrat et apprécié des milieux politiques, a créé spécialement pour la gravure, ce décor solennel qui ne nuit cependant pas au portrait. Pierre-Imbert sait interpréter cette attitude simple et ce visage dont il traduit l’intelligence. Il obtient, en outre, un savant dégradé du coloris, depuis le haut de l’estampe assez obscur, jusqu’au pan de la toge qui déborde la baie, ménageant des lumières sur les cheveux et le visage. On remarque le rendu velouté de l’ensemble de l’estampe. Comme il l’avait expliqué lors de sa requête pour obtenir le logement aux Galeries du Louvre en survivance de son père, sa maladie ne l’empêchait pas de travailler. Cette planche parachève l’œuvre peut important mais exemplaire de ce graveur.

Pierre-Imbert réalise encore d’après Rigaud, deux portraits de petits formats : celui de la Duchesse Douairière d’Orléans (cat. P.-I. Dr., n° 16) et celui du capitaine des Gardes Françaises, Cisternay du Fay (cat. P.-I. Dr., n° 26). Bien que la gravure ne représente les deux personnages qu’en buste, le style de Rigaud se lit immédiatement dans leur prestance et la manière dont leurs vêtements sont disposés. Le savoir-faire de Pierre-Imbert se manifeste par la finesse extrême de l’exécution.

Du très doué Charles-Antoine Coypel (1694-1752), peintre de la même génération que lui, Pierre-Imbert interprète deux portraits au pastel, celui de Louis, duc d’Orléans (cat. P.-I. Dr., n° 20) et celui de la comédienne Adrienne Lecouvreur dans le rôle de Cornélie (cat. P.-I. Dr., n° 35). L’effusion et la douleur interprétées par la comédienne et dépeintes par Coypel, apparentent l’œuvre à un portrait religieux, et peuvent nous paraître désuètes. Cependant le tableau et surtout la gravure ont eu un immense succès à cette époque. Ces deux portraits gravés, présentés respectivement en buste, dans un ovale, révèlent, plus que la maîtrise et la dextérité de Pierre-Imbert, un artiste percevant au plus haut point l’art du pastel, pour en rendre avec son seul burin, la texture, les effets et les harmonies.

On retrouve chez Robert Le Vrac dit Tournières, peintre copiste de Rigaud, l’influence de son maître, dans le portrait de Pierre-Nolasque Couvay : la mine altière, la perruque adroitement arrangée, les nombreux plis du manteau disposés pour la beauté du décor et pour mettre la main droite en valeur (cat. P.-I. Dr., n° 27). Le travail sur le cuivre est impressionnant : tailles et contre-tailles énergiques, serrées et profondes pour les noirs, légères et dans le sens du dessin pour les lumières et les dégradés de gris. Le rendu velouté de l’estampe est encore un bel exemple de gravure sur cuivre.

Un autre peintre portraitiste, Pierre Gobert, moins en vue que De Troy, Largillierre et Rigaud, a permis à Pierre-Imbert de réaliser les trois portraits de Louise Adélaïde d’Orléans (cat. P.-I. Dr., nos 17, 18, 19). Le sujet était difficile en raison des noirs. Le graveur a tiré parti de ce handicap en ménageant, sur la robe et le voile, des reflets émanant du clair intense qui se dégage du visage, du camail, des mains et du livre, par des tailles adroitement espacées et habilement orientées.

L’influence en Europe des trois grands portraitistes français de cette époque, cités plus haut, est illustrée dans ce catalogue, par le portrait de Marie-Clémentine Sobieska, (cat. P.-I. Dr., n° 15), brossé par le peintre anglais Antoine David, résidant en Italie. Considéré au même titre qu’un portrait d’apparat pour la richesse des vêtements et la pose légèrement affectée de la jeune princesse, le portrait reste cependant vivant. Les tailles de Pierre-Imbert suppléent le pinceau, engendrant le velouté, le coloris et la délicatesse d’un portrait peint.

Pour les petits formats comme pour les grands, Pierre-Imbert soigne la ressemblance par rapport au tableau, à l’instar de son père. C’est le cas pour le portrait brossé par Joseph Vivien et gravé en 1733, de Fénelon (cat. P.-I. Dr., n° 22), dont le visage est particulièrement expressif, dans un environnement traité simplement.

Pierre-Jacques Cazes offre à Pierre-Imbert, avec le portrait de Dom Denys de Sainte Marthe (cat. P.-I. Dr., n° 33), l’occasion d’accomplir un portrait qui aurait pu revêtir la forme élégante d’un portrait d’apparat agrémenté d’une draperie, si le sujet n’avait été traité très simplement par le peintre et par le graveur. D’un autre côté, l’aspect du personnage dont le rendu aurait pu être austère, voire sombre, est adroitement mis en relief par le burin à la fois, léger, varié, imaginatif et incisif de Pierre-Imbert. L’expression du regard et le modelé du visage présentent quelque analogie avec le rendu de Nanteuil.

Le portrait de Louis Lavergne de Tressan, archevêque de Rouen, d’après Jean-Baptiste Van Loo, pourait figurer parmi les sujets d’histoire, si le portrait lui-même n’avait été vraiment ressemblant, aux dires des contemporains.Cependant l’exemplarité de la gravure doit plus au traitement de l’environnement de l’évêque qu’à celui de son portrait, représenté dans des dimensions réduites.

Notes
712.

Bourgade, située près de la frontière d’Espagne, entre Languedoc et Catalogne, et qui à l’époque des Drevet, était probablement importante puisqu’elle possédait deux églises cathédrales. Voir cat. P.-I. Dr., n° 34.