Un peu plus du tiers de l’œuvre de Pierre-Imbert, actuellement connu, est consacré aux sujets d’histoire religieuse et profane d’après onze peintres. Comme son père, Pierre-Imbert délaissera ce genre pour s’attacher au portrait, alors qu’il réalisera, dans les dernières années de sa vie, quelques gravures de sujets religieux. La technique employée rejoint celle des portraits, de telle sorte que certains contemporains de Pierre-Imbert déclareront que les personnages de ses sujets d’histoire ressemblent à des statues de bronze 713 .
Il est indispensable de distinguer les sujets gravés alors qu’il était à l’apogée de son talent de ceux ayant servi à son apprentissage. Dans la première catégorie et d’après Antoine Coypel, Pierre-Imbert a réalisé quatre gravures tandis que le reste de son œuvre a été exécuté d’après différents peintres. D’après Antoine Coypel, un seul titre représente l’histoire profane, celui de Minerve guidant Louis XV au Temple de la Mémoire (cat. P.-I. Dr., n° 14),. À vingt-quatre ans, Pierre-Imbert aborde donc cette allégorie dont le style diffère des représentations interprétées jusqu’alors. La composition peinte par Coypel manque, dans la forme, d’un peu de charme et de poésie. Cette Minerve guerrière et démesurée qui occupe le centre de la composition, son bouclier aux angles aigus barrant l’espace, la draperie s’envolant comme une aile d’aigle dans le ciel et la sécheresse des rochers à l’arrière-plan à droite, constituent un sujet austère et malaisé, le graveur ne devant tomber ni dans la mièvrerie en ne traitant pas assez distinctement les nuées, les drapés et les modelés, ni dans la dureté en appuyant trop sur les zones d’ombres. Pierre-Imbert a su ménager des contrastes harmonieux pour éviter une interprétation austère de ce sujet.
Toujours d’après ce peintre, Pierre-Imbert a encore gravé trois sujets d’histoire religieuse dont le style diffère du sujet précédemment décrit. En premier lieu, Adam et Ève en grand format et sa copie en petit format(cat. P.-I. Dr., nos 1 et 2). Le tableau de Coypel, à la composition agréable, est interprété à l’identique avec une grande rigueur, mais en contrepartie sur le plus grand cuivre, le petit cuivre ayant été gravé d’après le plus grand. Pierre-Imbert traduit parfaitement le dessin et les nuances. Il nous offre encore une belle page d’histoire gravée sur cuivre.
Alors qu’il brosse Eliezer et Rébecca 714 (cat. P.-I. Dr., n° 3), Coypel s’éloignant de la tradition classique, représente avec une grande fraîcheur de coloris, des visages animés et des personnages féminins dont la grâce annonce, déjà en 1702, la peinture du XVIIIe siècle. Si le sujet est religieux, le thème est traité avec charme et élégance. Le cuivre a été gravé alors que Pierre-Imbert avait vingt-trois ou vingt-quatre ans. L’estampe est une petite perfection : non seulement l’idée du peintre n’a pas été trahie, mais les délicats coloris posés par Coypel sont respectés. Le graveur a su parfaitement traduire les éclairages, rendre la légèreté des étoffes et la jeunesse des visages par l’extrême finesse et la variété de ses tailles, faisant lui-même œuvre de peintre.
Dans un style approchant celui d’Adam et Ève de Coypel, frère Jean André, peintre moins en vue que lui, réalise, pour l’hôpital général de la place Maubert à Paris, la Résurrection de Jésus-Christ. Dans les deux cas, le haut du tableau est occupé par une lumière intense enveloppant Dieu ou le Christ ; plus bas, sur terre, se situe la scène historique. Pierre-Imbert se fait connaître à dix-neuf ans, en réalisant la gravure de ce sujet (cat. P.-I. Dr., n° 12). Le traitement de l’anatomie des personnages est parfait ; les tailles sont fines, assurées et bien conduites. Néanmoins, la trouée de lumière autour du Christ donne un éclat un peu métallique à la partie haute de l’estampe. Certes, Pierre-Imbert, à l’instar de Jean André, désirant rendre l’éclat de lumière entourant Jésus-Christ, a limité le nombre de tailles, jusqu’à les supprimer totalement. Ce qui était considéré comme chef-d’œuvre en 1716, ne correspond plus nécessairement à nos goûts. Toutefois cette planche demeure un exploit pour un graveur âgé de dix-neuf ans.
La Présentation de l’enfant Jésus au Temple (cat. P.-I. Dr., n° 5), peinte par Louis de Boullogne pour le chœur de Notre Dame 715 , offre une scène animée dans un cadre grandiose, éléments propres aux effets les plus variés de la gravure. Pierre-Imbert comprend le parti qu’il peut en tirer sur le cuivre : par le traitement intéressant de la perspective de l’abside comme point de départ de la lumière éclairant le grand prêtre et la Vierge, par celui des éléments architecturaux de l’arrière plan à réaliser en clair au moyen de tailles moins appuyées, par celui des quatre colonnes torses au décor en relief et des nombreuses figures et leurs drapés… Présentée en largeur, l’estampe a été véritablement un exemple, ― découvert et apprécié par les contemporains de Pierre-Imbert ― des innombrables façons de se servir du burin pour rendre coloris, matières, architectures, expressions… Ils l’ont considéré comme « un chef-d’œuvre de la gravure au burin ». En vérité, il s’agissait bien de l’archétype de la virtuosité de Pierre-Imbert, qui annonçait les portraits d’après Rigaud, de Bossuet, du Cardinal Dubois et de Samuel Bernard.
L’élève de Jean Jouvenet, Jean II Restout, a brossé un Jésus-Christ au Jardin des oliviers (cat. P.-I. Dr., n° 9), largement inspiré du tableau de son oncle et maître. Par rapport à l’Adam et Ève de Coypel et à la Résurrection de Jésus-Christ de Jean André, la partition de la composition n’est plus en deux plans, mais en trois. On retrouve la lumière venant du haut, illuminant ici le Christ placé entre ciel et terre, tandis que ses apôtres dorment en bas au premier plan. Pierre-Imbert a gravé ce sujet dans les dernières années de sa vie, si ce n’est dans les derniers mois. La planche présente des imperfections auxquelles Pierre-Imbert ne nous a pas habitués. La robe du Christ manque de finitions ; le rendu du haut de l’estampe paraît un peu métallique par rapport au rendu obtenu à l’eau-forte mêlée au burin pour le sol et pour les arbres. Sans doute, ces insuffisances sont-elles dues à la maladie du graveur, mais Pierre-Imbert a terminé cette planche puisqu’il l’a signée dans l’image. Cette estampe a été annoncée dans le Mercure de France de juin 1742 716 .
Antoine Dieu offre une composition équilibrée et animée, dans un style classique très pyramidal, avec la Montée de Jésus-Christ au Calvaire, gravée par Pierre-Imbert vers la fin de sa vie (cat. P.-I. Dr., n° 11). La gravure est réalisée dans un format cintré. Ce cuivre aux tailles remarquables par leur précision et leur finesse, restitue à la composition mouvementée d’Antoine Dieu, le relief et la profondeur nécessaires.
Dans un autre genre qui pourrait s’apparenter à un portrait mais qui, en fait, n’en est pas un ― parce que l’objectif du peintre n’était pas la ressemblance du sujet, mais plutôt la mise en scène dans laquelle il l’a placé ―, on trouve, d’après Jean Lingre, Sainte Thérèse d’Avila en extase (cat. P.-I. Dr., n° 13). L’attitude de la sainte, la lumière vive nimbant l’ange, appartiennent à la même source d’inspiration que le Christ au Jardin des oliviers de Jean Restout étudié précédemment. Le tableau a été gravé par Pierre-Imbert avec la finesse qui lui est habituelle.
En dehors de ces pièces, remarquables par l’exemplarité du savoir-faire de Pierre-Imbert, celui-ci a gravé, pour son exercice, des sujets religieux, qui ont été cités en seconde partie. Ces sujets ont été réalisés bien avant 1716, d’après des peintres classiques tels que Charles Le Brun, pour la Présentation de la Vierge au Temple, (cat. P.-I. Dr., n° 4), Raphaël, pour la Dernière Scène (cat. P.-I. Dr., n° 8),copiée probablement d’après l’estampe de Raimondi, Antoine Dieu, pour la Sainte Famillle (cat. P.-I. Dr., n° 6), composée dans un style très pyramidal. L’adolescent a assimilé tous les principes du dessin et son burin est déjà d’une extrême finesse. L’unique épreuve de cette Sainte Famille, retrouvée à Dresde, au cabinet des estampes du Staaliche Kunstsammlungen, semble, seule, présenter des éclats métalliques et quelques maladresses.
Comme son père, et même plus que son père, Pierre-Imbert a excellé au burin dans le genre de l’histoire, donnant à ses estampes un rendu proche de la peinture. Sa grande pratique de la perspective lui a permis de faire « sortir » du cuivre personnages et décor, donnant sa vraie valeur à chacun des éléments de la composition. A l’instar des portraits qu’il a gravés, on y retrouve le même burin créatif, aux tailles puissantes quand cela est nécessaire, légères et cependant acérées, minuscules et à la fois mordantes.
Voir Introduction de Charles-Nicolas Cochin le fils dans Bosse 1745, p. xxiij.
Paris, musée du Louvre, inventaire n° 3505, dimensions : H. 1,25m ; L. 1,06 m.
Paris, Louvre, inv. M.I. 306, dim. : H. 4,30, L. 4,54.
Mercure de France dédié au Roy, décembre 1731, pp. 2850-2851. Voir plus loin, La fortune critique.